Notre-Dame de Paris : le chantier mis à l'arrêt par la pandémie

Un an après, quel avenir pour la cathédrale de Notre-Dame, alors que les plans de reconstruction ont été interrompus par la pandémie ?

De Kristin Romey
Publication 15 avr. 2020, 12:10 CEST
Vue sur Notre Dame après le feu qui ravagea une partie de la cathédrale le 15 avril ...

Vue sur Notre Dame après le feu qui ravagea une partie de la cathédrale le 15 avril 2019.

PHOTOGRAPHIE DE Razvan, istock via Getty Images

De mémoire récente, la célébration de ce Vendredi saint en la cathédrale Notre-Dame de Paris ne ressemblait en rien aux éditions précédentes : la lumière du soleil inondait la nef dépourvue de toit, les célébrants portaient un casque de sécurité pour se protéger des éventuelles chutes de débris et des combinaisons jetables pour éviter la contamination au plomb. Néanmoins, la vénération de la Sainte Couronne d'épines, la relique sacrée rapportée de la Terre sainte par Louis IX au 13e siècle, s'est déroulée comme lors des siècles passés dans le cadre des cérémonies du Vendredi saint.

Ce n'était que le second service assuré dans les vestiges fragiles de la cathédrale depuis la destruction par le feu de son emblématique flèche et de la majeure partie de son toit il y a tout juste un an. Cependant, contrairement à la messe de la Dédicace organisée au mois de juin dernier, deux mois jour pour jour après l'incendie, à laquelle avaient pu assister quelques dizaines de fidèles, seule une poignée de célébrants se tenaient cette fois dans la cathédrale, à bonne distance les uns des autres. En plus des casques de sécurité, certains portaient des masques chirurgicaux destinés à stopper la transmission du virus qui avait à cette date infecté plus de 100 000 citoyens français et tué plus de 12 000 malades.

Ce Vendredi saint était le premier à être célébré au sein du centre spirituel ravagé par les flammes de la ville de Paris, mais également le premier à l'être pendant l'épidémie de coronavirus. Les mots prononcés par l'archevêque de Paris, Michel Aupetit, semblaient lourds de sens en s'élevant depuis l'autel de fortune aménagé dans la cathédrale pour rejoindre le ciel du printemps :

« Aujourd'hui nous sommes dans cette cathédrale à demi effondrée pour dire que la vie est toujours là. »

 

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    UN AVENIR INCERTAIN

    Le confinement de la France face à l'épidémie de coronavirus ne rend que plus hasardeux le sort de la cathédrale Notre-Dame de Paris. En 2019, des experts évaluaient déjà à 50 % le risque qu'un effondrement supplémentaire total ou partiel se produise.

    De plus, alors que le président de la République, Emmanuel Macron, envisageait une mise en route rapide des travaux de reconstruction pour un achèvement à l'horizon 2024, année des Jeux olympiques de Paris, celle-ci a dû être retardée en raison du travail colossal que représentait l'élimination des déchets toxiques provenant du toit en plomb de la cathédrale. Puis s'est posée la question de l'échafaudage installé il y a quelques années dont la masse de métal déformée par la chaleur surplombe dangereusement la structure endommagée de l'édifice et dont le démontage était prévu pour la fin du mois dernier.

    Gauche : Ce négatif sur papier ciré donne un aperçu de la façade de Notre-Dame de Paris en 1863.

    Droite : Photo non datée de l'intérieur de la cathédrale.

    PHOTOGRAPHIE DE Charles Nègre, Avec l'aimable autorisation de The Getty's Open Content Program gauche Et Library Of Congress Prints And Photographs Division droite

    Cependant, depuis le 16 mars, les mesures prises pour limiter la propagation du virus ont entraîné la suspension de l'ensemble des travaux sur la cathédrale. Déjà coupée de la communauté qu'elle a vu grandir pendant des siècles, la cathédrale est désormais privée des équipes en tenue Hazmat chargées d'éliminer le plomb et des cordistes, ses « écureuils », qui avaient pour délicate mission le démontage de l'échafaudage. D'un œil méfiant, des ingénieurs observent à distance les systèmes de surveillance laser capables de détecter le moindre mouvement structurel qui pourrait prédire l'effondrement de ce chef-d'œuvre de l'architecture gothique. Des patrouilles de gardiens arpentent les alentours. Des voleurs ont déjà profité du confinement pour tenter de dérober des blocs de pierre de l'édifice sacré.

    « Tous les aspects de la sécurité de Notre-Dame m'inquiètent, » déclare Lindsay Cook, professeure d'art médiéval et d'histoire de l'architecture au Vassar College. « Tout ce qui a été dit ces derniers mois porte à croire que la situation est encore très fragile. Il me semble que la laisser en l'état ne sera qu'une source de problèmes dans le temps. »

    DES TEMPS DIFFICILES

    Comment savoir à quoi ressemblera le résultat final de la reconstruction de Notre-Dame et quand celle-ci s'achèvera ? Dans le monde actuel, à l'heure où les directives évoluent d'une semaine à l'autre, c'est impossible à prédire. Il est toutefois possible d'esquisser une réponse en s'inspirant du destin connu par une autre cathédrale emblématique, également détruite par le feu, pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Tout comme Notre-Dame de Paris, la cathédrale de Cologne en Allemagne est un gigantesque chef-d'œuvre de l'architecture gothique à la fois considéré comme le centre spirituel d'une ville majeure et le symbole d'une nation. Sa construction sur les berges du Rhin a débuté en 1248, soit 85 ans après la pose de la première pierre de la cathédrale Notre-Dame sur le sol de l'île de la Cité à Paris. Inspirée d'une autre grande cathédrale gothique française, la construction du principal lieu de culte catholique de Cologne a connu des hauts et des bas avant d'être abandonnée au 16e siècle. À l'instar de Notre-Dame, la cathédrale de Cologne a fait l'objet d'un regain d'intérêt et d'une reconstruction avec l'émergence du style néogothique au 19e siècle ; c'est à cette période qu'elle est hissée au rang de symbole des ambitions allemandes passées et présentes. Pendant quelque temps dans les années 1880, la cathédrale de Cologne est le plus haut bâtiment de la planète et reste à ce jour la plus haute église à deux tours au monde, culminant à 157 mètres de haut.

    Cependant, à l'inverse de Notre-Dame de Paris qui n'a pas enregistré de dégâts majeurs pendant la Seconde Guerre mondiale malgré les bombardements infligés par l'armée allemande et les Alliés, la cathédrale de Cologne a été touchée à 14 reprises par les raids aériens américains et britanniques entre 1942 et 1943. À la fin de la guerre, 90 % du centre-ville de Cologne était en ruines. La cathédrale alors dépourvue de toit et percée d'impacts de balles se dressait seule au beau milieu d'une ville totalement rasée.

    Une messe tenue dans les ruines de la cathédrale de Coventry en 1944 après la destruction de la structure par les raids aériens de l'armée allemande.

    PHOTOGRAPHIE DE Hans Wild, The LIFE Picture Collection via Getty Images

    Dans l'après-guerre, le sort des cathédrales européennes endommagées a été influencé par différents facteurs tels que la géographie, la politique et le degré de destruction : les ruines de la cathédrale Saint-Michel de Coventry, par exemple, n'ont pas été restaurées et ont plus tard été intégrées à un lieu de culte moderne afin de rappeler les ravages causés par la guerre. Dans la moitié est de l'Europe sur laquelle s'est refermé le Rideau de fer, de nombreuses églises gothiques, comme la Sophienkirche de Dresde, étaient perçues comme des symboles du passé socialiste de l'avant-guerre et ont simplement été détruites au bulldozer.

    Juste après la guerre, sur le territoire vaincu et occupé d'Allemagne de l'Ouest, les efforts de reconstruction ont varié d'une ville à l'autre. Soutenus par un riche diocèse et les financements de la communauté catholique internationale, les citoyens de la ville de Cologne ont choisi de faire de la reconstruction de leur cathédrale une priorité. En 1948, avant même la formation d'un gouvernement national allemand en vue de l'arrivée du plan Marshall, l'abside principale de la cathédrale de Cologne qui accueille le maître-autel avait été reconstruite afin de célébrer les 700 ans de l'édifice. En 1956, 11 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, des messes étaient données sous la nouvelle nef de la cathédrale.

    Cette illustration du 18e siècle montre une cathédrale de Cologne en ruines avant sa restauration du 19e siècle.

    PHOTOGRAPHIE DE Image de PWB Images, Alamy Stock Foto

    Contrairement aux travaux de stabilisation réalisés à la hâte sur la cathédrale de Cologne au cours des dix années qui ont suivi la guerre, la reconstruction de Notre-Dame sera guidée par une série de conventions visant le patrimoine culturel adoptées par la communauté internationale dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale. Ces conventions décrivent méticuleusement les méthodes et les matériaux à utiliser pour les restaurations modernes, autant de restrictions qui rendent hautement improbable le plan de reconstruction en cinq ans souhaité par Emmanuel Macron, ou même un plan étalé sur dix ans. D'ailleurs, à en croire l'avis donné par l'architecte en chef de la cathédrale de Cologne quelques jours après l'incendie, il faudra plusieurs dizaines d'années de travaux pour que la bien-aimée Notre-Dame retrouve son éclat d'antan.

    Un autre enjeu majeur est la manière dont la France et l'Union européenne choisiront d'attribuer leurs ressources après la crise du coronavirus qui, selon toute prévision, débouchera sur la récession économique la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale. Les 900 millions d'euros promis par les donateurs dans les jours qui ont suivi l'incendie de 2019 vont-ils se matérialiser dans leur intégralité ? Les appels à consolider le filet de protection sociale relégueront-ils la reconstruction de la cathédrale au second plan ?

    Le premier service religieux organisé dans la nouvelle cathédrale de Coventry au mois de mai 1962. Les ruines de la cathédrale d'avant-guerre ont été laissées telles quelles et intégrées au bâtiment d'après-guerre.

    PHOTOGRAPHIE DE Eyles/Mirrorpix/Getty Images

    D'après Sheila Bonde, professeure d'histoire de l'art médiéval, d'architecture et d'archéologie à l'université Brown, c'est la même question qui a occupé les débats de nombreux pays européens confrontés à des lieux de culte détruits par les affrontements de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. « Faut-il reconstruire le cœur d'une ville à travers son centre symbolique ou est-il préférable de financer des services sociaux ? » interroge Bonde. « Je pense que des décisions difficiles devront être prises afin de trouver un compromis entre ces deux nécessités. »

    Finalement, quel rôle la nouvelle Notre-Dame aura-t-elle à jouer dans une Europe post-COVID-19 ? Astrid Swenson est professeure d'histoire à l'université de Bath Spa et auteure de divers ouvrages sur l'histoire de la cathédrale de Cologne. Elle attire notre attention sur le fait que cette cathédrale, pourtant symbole du nationalisme allemand sous l'ère nazie, a été présentée sous un nouveau jour après la Seconde Guerre mondiale, celui d'une renaissance paneuropéenne dans le sillage d'une guerre qui avait déchiré le continent.

    Seul le temps nous dira si la cathédrale Notre-Dame de Paris servira de point de ralliement à une Union européenne en sortie de crise du coronavirus ou si elle symbolisera la fierté et l'exception à la française jusqu'à faire s'abattre la vague de nationalisme qui avait déjà commencé à fracturer l'Union européenne bien avant que le coronavirus ne pénètre ses frontières.

    « Je ne sais pas si le timing de la reconstruction de Notre-Dame est important ou si ces grandes reconstructions d'une architecture passée pourraient être utilisées pour donner de nouveaux symboles, » se demande Swenson. « Cela pourrait se produire après la pandémie, ou alors la priorité pourrait être donnée à la justice sociale. Je ne sais pas s'il est possible de reproduire ces mécanismes que nous avons vus par le passé. »

    Après une pause, Swenson lâche dans un soupir : « Les historiens ne sont vraiment pas doués pour les spéculations, n'est-ce pas ? »

    Notre-Dame : l'épreuve du feu
    Notre-Dame : l'épreuve du feu sera rediffusé le 15 avril à 21 h sur National Geographic.
    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
     

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