À quand remonte notre amour pour les glaces ?

Il y a 4 000 ans, les Chinois savouraient déjà une espèce de sirop glacé pour se rafraîchir.

De Alfonso López
Sur ce carrelage valencien du 18e siècle, on voit un serveur en veste marron qui porte ...

Sur ce carrelage valencien du 18e siècle, on voit un serveur en veste marron qui porte un plateau d’espumas heladas, des mousses glacées d’Espagne. Cette photo a été prise au musée national des arts décoratifs de Madrid.

PHOTOGRAPHIE DE Oronoz, Album

Les techniques de réfrigération modernes semblent indispensables à la confection des desserts glacés. Pourtant, les gourmandises froides sont dégustées depuis des milliers d’années. Dans le monde antique, partout on s’en délectait, de Chine en Mésopotamie.

Il y a 4 000 ans, les Chinois savouraient déjà une espèce de sirop glacé. Des siècles plus tard, vers 400 avant J.-C., le sharbat devient un régal populaire en Perse. La boisson comprend des sirops de cerise, de coing et de grenade jadis refroidis au moyen de la neige. Les mots modernes « sherbet », « sorbet » et « sirop » puisent leur origine linguistique du mot sharbat.

Une glacière qui date du 18e siècle au musée national de la céramique à Naples.

PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

Selon les récits historiques, Alexandre le Grand, qui a conquis la Perse en 330 avant J.-C. appréciait particulièrement la glace mélangée à du miel. Les Grecs, et plus tard les Romains, ont pris le pli de refroidir leurs boissons. Au cours des premières années de l’empire romain, l’empereur Néron servait des sorbets à base de fruits écrasés dans du miel et mélangés à de la neige pendant les banquets. Bien des siècles plus tard, dans les années 1290, Marco Polo ramena de Chine des recettes de glaces à base de lait.

 

LES PRINCIPAUX INGRÉDIENTS

Ces ancêtres de la glace moderne n’auraient pu être dégustés sans la neige des régions montagneuses et les rivières ou lacs glacés. Après avoir rassemblé les produits froids, les manutentionnaires les emballaient avec de la paille et des branches pour réduire la vitesse de fonte en les transportant de la montagne vers les zones urbaines.

La glace et la neige étaient alors stockées dans des chambres froides mises en place par différentes civilisations avec, toujours, la même idée en tête : il fallait absolument que ces endroits soient dépourvus de chaleur et de lumière. On se servait souvent de fosses profondes pour isoler la glace dans la paille ou la sciure pour la garder à l’abri de la chaleur.

L’acquisition de glace était une opération à la fois laborieuse et complexe, ce qui en faisait un produit très précieux dans l’Antiquité. Au Moyen-Âge, la neige était toujours apportée des montagnes et conservée dans des chambres froides à travers l’Europe. Au 17e siècle, plusieurs propriétés s’étaient dotées de glacières privées et, vers la fin du 18e siècle, de grandes glacières commençaient à être édifiées dans les villes, alors que les marchands ambulants vendaient de gros blocs de glace en porte-à-porte.

Dans quelques villes, le commerce de la glace était réglementé par les autorités qui fixaient les prix et prévoyaient des sanctions en cas de vente illégale. Il y avait 43 « vendeurs de glace » à Naples en 1807. Conformément aux règles en vigueur, les marchands ne pouvaient fournir de la glace qu’en été.

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    D’UN POINT DE VUE SCIENTIFIQUE

    Il est difficile de savoir à quel moment exactement les produits laitiers ont commencé à être utilisés dans les desserts glacés. Certains historiens culinaires pensent que cette tradition est née en Asie avant d’être introduite en Europe par Marco Polo, alors que d’autres sont fermement convaincus qu’il s’agit d’un mythe. La transformation du lait et de la crème en un dessert onctueux avait lieu grâce à une réaction endothermique. Les cuisiniers plaçaient les ingrédients dans un récipient en métal qui était à son tour déposé dans un seau rempli de glace et de sel (ou de salpêtre). Le sel modifie les propriétés de la glace et abaisse son point de congélation. Celle-ci absorbe alors l’énergie qu’il lui faut pour fondre. La glace puise la chaleur du mélange crémeux qui se solidifie par la suite.

    La première preuve d’utilisation de cette technique en Europe est mise en évidence dans un traité publié en 1550 par Blas de Villafranca, un médecin espagnol résidant à Rome. Cette technique a connu un essor rapide en Italie. C’est par ces mots que le Napolitain Giambattista della Porta a décrit le procédé dans son ouvrage Magia naturalis (Magie naturelle) : « Lors des fêtes, ce qu’on apprécie par-dessus tout, c’est boire du vin très frais, surtout en été. Je vais vous apprendre comment le vin peut être non seulement refroidi mais congelé également. Si frais même que vous pourrez uniquement le boire à petites gorgées, en le sirotant. Versez du vin dans un récipient et ajoutez de l’eau pour qu’il gèle plus rapidement. Puis mettez de la neige dans un pot en bois et saupoudrez-la de salpêtre. Remuez le récipient dans la neige, vous verrez que la congélation se fera progressivement. » C’est cette recette de vin glacé qui a fortement inspiré la fabrication du sorbet.

    À Naples, le climat et la culture ont agi de concert pour rendre le sorbet plus célèbre que partout ailleurs en Europe. En 1690, le premier manuel anonyme sur les sorbets, New and Quick Ways to Make All Kinds of Sorbets With Ease, a été publié à Naples. À en juger par les ingrédients qui composent les recettes, il semble qu’il ait été utilisé au sein d’une famille d’aristocrates. Puis The Modern Steward (1692-1694) a été publié par Antonio Latini, vice-roi espagnol à Naples, qui a écrit un livre de cuisine et de gestion du foyer avec une section sur les glaces.

    Des triplées savourent leurs glaces en 1920. Les desserts glacés ont connu un essor remarquable en Europe et aux États-Unis après l’invention du système de réfrigération.

    PHOTOGRAPHIE DE TRANSCENDENTAL GRAPHICS/GETTY IMAGES

    Les premières glaces européennes auraient été confectionnées en Italie à la même époque. Les recettes se sont répandues en France au 17e siècle puis en Angleterre où elles ont eu un véritable succès. Le mot anglais « ice cream » est apparu pour la première fois dans les années 1670. On dit que la glace a fait partie d’une série de plats élaborés servis pour la Saint-Georges à Windsor en 1671.

     

    UN ENGOUEMENT SANS LIMITES

    Contrairement aux sorbets, la fabrication de la crème glacée était une activité très laborieuse. La glace devait être cassée à la main puis emballée avec du sel gemme pour remplir une grande cuve avant d’y placer un pot contenant de la crème, du lait, du sucre et des arômes. Le mélange était ensuite agité à la main pendant des heures jusqu’à la formation de la crème glacée. Souvent, celle-ci était extraite et versée dans des moules en forme de fruits ou de fleurs. Préparer la glace puis la servir étaient deux opérations extrêmement coûteuses. Pour cela, ce dessert dépassait largement les moyens de la plupart des Européens et était surtout très apprécié par les membres de la famille royale.

    Le sorbet a gagné en popularité dans les grandes villes européennes au cours du 18e siècle. Les classes moyennes, de plus en plus importantes, ont découvert les plaisirs des desserts glacés dans les boutiques locales. En plus des sorbetti (glaces barattées lors de la congélation), il y avait les granitas (glaces pilées à base de fruits) et les sorbetti con crema (glaces mélangées à du lait – les ancêtres du gelato et de la crème glacée). Les manufactures royales de porcelaine comme celle de Sèvres aux environs de Paris ont commencé à fabriquer des coupes de crème glacée pour les boutiques et les maisons à mesure que l’engouement pour le sorbet se répandait au sein des familles plus modestes.

    Le premier livre de recettes entièrement dédié aux glaces est L’Art de bien faire les glaces d’office, publié en France en 1768. La folie des glaces a tôt fait de se répandre dans les colonies nord-américaines mais est tout de même restée un luxe au cours du 18e siècle, même après la révolution américaine. Les archives d’un marchand new-yorkais montrent que le président George Washington a dépensé environ 200 dollars (soit près de 180 euros) en glaces pendant l’été 1790. Cette somme équivaut à plusieurs milliers d’euros aujourd’hui.

    En 1843, la New-Yorkaise Nancy M. Jonhson dépose un brevet pour la première sorbetière manuelle de l’histoire. Il suffisait de tourner la manivelle pendant 45 minutes (cela prenait moins de temps que de tout préparer à la main) pour que la glace soit prête. La machine s’est vendue très rapidement. Les modèles, y compris ceux de White Mountain, ont par la suite été améliorés.

    PHOTOGRAPHIE DE Iconographic Archive, Alamy

    La glace devient enfin abordable aux États-Unis. En 1843, la New-Yorkaise Nancy M. Johnson invente une sorbetière qui réduit considérablement le temps de production. Les entreprises américaines améliorent petit à petit ce modèle grâce à la conception de nouvelles machines qui ont simplifié la production de glace et en ont réduit les coûts.

    En 1851, Jacob Fussell, un laitier de Baltimore, a mis en place les premières usines de glace, augmentant ainsi la disponibilité du produit. Après la guerre civile, la popularité de la glace a atteint son apogée partout aux États-Unis. Les vendeurs de glaces et les fontaines à sodas se sont multipliés à travers le pays. Cette gourmandise glacée, jadis réservée aux reines et aux rois, devient désormais accessible à tous.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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