Scythes : ces squelettes racontent le violent déclin d'un empire

Les Scythes étaient un ensemble de peuples indo-européens, en grande partie nomades, qui régnaient par-delà la Grande Muraille de Chine. L'analyse récente d'un cimetière vieux de 2000 ans montre les tensions politiques qui existaient entre ces peuples.

De Andrew Curry

Les archéologues ont remarqué cette blessure en forme de losange, probablement infligée par une pointe de flèche, sur le crâne d'un jeune homme entrerré à Tunnug 1 en Sibérie il y a 2 000 ans. Les chercheurs pensent que les blessures physiques relevées dans le cimetière de Tunnug 1 témoigneraient de l'effondrement de l'empire Xiongnu.

PHOTOGRAPHIE DE Trevor Wallace

L'effondrement de l'empire d'un ancien peuple nomade aurait déclenché des siècles de violence à travers la steppe eurasiatique et des archéologues pensent avoir trouvé un cimetière des victimes de cette période méconnue.

Depuis quatre ans, une équipe helvético-russe d'archéologues mène des fouilles sur une colline funéraire, un kourgane, de la république russe de Touva dans le sud de la Sibérie. Baptisé Tunnug 1, ce kourgane figure parmi les plus anciens et les plus grands construits par les Scythes, un peuple nomade dont la domination s'est établie sur les steppes à cheval entre l'Europe et l'Asie à partir de 1 100 avant notre ère.

À mesure que les archéologues s'enfonçaient dans le versant sud du tertre, ils ont découvert un ensemble de tombes plus récentes, datées entre 100 et 400 de notre ère. Ils ne s'attendaient pas à ce que leurs fouilles révèlent de grandes surprises, mais y voyaient simplement une bonne occasion d'en savoir plus sur les régimes, les traditions funéraires et l'espérance de vie de ces nomades des steppes de cette période.

Vue partielle du cimetière de Tunnug 1 sur la steppe sibérienne. Les archéologues ont travaillé pendant l'automne 2019 en pensant que l'eau gelée contenue dans le sol faciliterait l'excavation, mais ils ont dû pomper une eau glacée recouverte d'une épaisse couche de glace pour poursuivre leurs fouilles.

PHOTOGRAPHIE DE Trevor Wallace

Seulement voilà, lorsque Marco Milella, archéologue à l'université de Berne en Suisse, et ses collègues ont examiné des dizaines de squelettes extraits de Tunnug 1, ils étaient bien forcés d'être surpris. « Je n'ai jamais travaillé avec une population de squelettes caractérisée par autant de violence, » témoigne Milella. « Ce n'était pas tellement surprenant au premier, puis nous en avons trouvé un autre, et encore un autre. Un grand nombre de ces individus a vécu des interactions violentes… et les preuves ne se limitent pas aux adultes mâles, on les retrouve également chez les enfants. »

Dans une étude publiée récemment par le Journal of Physical Anthropology, Milella et ses collègues utilisent plus de 100 blessures squelettiques pour dresser le portrait d'une société des steppes ancrée dans la violence. Sur les 87 individus enterrés dans ce petit cimetière, plus de 20 présentaient les signes d'un traumatisme osseux, comme des incisions, des trous percés par une pointe de flèche ou d'épée ainsi que des écrasements. Les victimes allaient du jeune enfant à la femme âgée, mais la majorité d'entre eux étaient des préadolescents et des adultes. (À lire : Mythologie : les fières Amazones ont bel et bien existé.)

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    Cinq pointes de flèche extraites du Burial 33 (Tombe 33) dans le cimetière Tunnug 1. Elles étaient probablement stockées dans un carquois qui s'est décomposé au fil des millénaires.

    PHOTOGRAPHIE DE Trevor Wallace

     

    RETOUR AU CHAOS

    Ces preuves de violence pourraient nous en apprendre plus sur des événements survenus loin des prairies du sud de la Sibérie. Les individus enterrés dans le cimetière ont vécu une période de profonde mutation. Quelques siècles plus tôt, la région appartenait à un peuple nomade, les Xiongnu, dont les vagues de pillage à l'est et au sud ont incité les empereurs chinois à débuter la initier de la Grande Muraille de Chine. À l'époque, les auteurs chinois éprouvaient à la fois mépris et admiration pour leurs voisins nomades.

    « Il est dans leur tradition de garder leurs troupeaux en temps de paix et de vivre de la chasse, mais en période de crise ils brandissent les armes et se lancent dans des expéditions de pillage et de mise à sac. Il semble que ce soit là leur nature innée, » écrivait avec un dédain certain l'historien chinois Sima Qan au premier siècle avant notre ère, une centaine d'années avant les premiers enterrements de Tunnug 1.

    Lors de l'effondrement de l'empire Xiongnu vers 100 avant notre ère, le chaos s'est emparé de la steppe. Au lieu de s'attaquer à l'Empire chinois naissant, les guerriers de la région se sont montés les uns contre les autres. « Ce que laisse apparaître l'échantillon de Tunnug 1, c'est probablement le déclin de la stabilité politique dans la région à l'aube de la chute de l'empire Xiongnu, » explique le directeur des fouilles Gino Caspari, également archéologue à l'université de Berne.

    Un chaman de Touva dépose des offrandes et demande l'aide de ses ancêtres lors de l'ouverture de la saison des fouilles à Tunnug 1 en 2019. Les croyances des Touvains sont généralement partagées entre animisme et bouddhisme.

    PHOTOGRAPHIE DE Trevor Wallace

     

    DES VIOLENCES SANS FIN

    Grâce à la datation carbone des os, les archéologues ont montré que les enterrements de Tunnug 1 avaient démarré vers 100 avant notre ère et s'étaient poursuivis pendant plusieurs siècles. Cela suggère que les défunts seraient les victimes d'une succession de raids ou de petites batailles étalés dans le temps plutôt que d'un seul et unique massacre.

    « Ce sont les signes d'une guerre intestine, d'une succession de représailles violentes, » indique Christopher Knuesel, archéologue à l'université de Bordeaux non impliqué dans l'étude. Néanmoins, ajoute-t-il, l'utilisation prolifique de la violence semble évidente, surtout pour un cimetière utilisé pendant des siècles.

    « Ce genre de découverte se fait généralement dans les fosses communes, » explique-t-il. « C'est très inhabituel pour des tombes individuelles. »

    Le nombre réel de morts violentes était probablement encore plus important, car une blessure peut être fatale sans pour autant laisser de traces sur les os. Les spécialistes de l'analyse des squelettes anciens, appelés bioarchéologues, estiment que pour chaque squelette présentant des traces visibles de blessures, trois autres étaient tués sans qu'aucune marque ne soit laissée sur leurs os. « Ce que nous observons sur les squelettes est une sous-estimation ; un grand nombre de lésions n'apparaissent pas sur le squelette, » explique Milella.

    D'ailleurs, les chercheurs ont trouvé des pointes de flèches aux côtés de certains os non marqués de plusieurs squelettes de Tunnug 1, ce qui suggère qu'elles s'étaient logées dans du tissu mou et ont fini par tomber avec la décomposition de la chair.

    Ils ont également mis au jour les dépouilles d'hommes et de garçons présentant des incisions sur l'avant de leurs colonnes vertébrales, au niveau du cou, sans aucune blessure sur les bras et la partie supérieure du corps caractéristiques des combats rapprochés ou de l'autodéfense. Cette combinaison suggère que leurs gorges ont été tranchées, lors d'une exécution ou d'une cérémonie macabre. « Au moins une partie de ces décès sont à lier à des meurtres rituels, » indique Milella.

    Cet homme d'âge moyen a été enterré à Tunnug 1 entre 100 et 300 avant notre ère. Une analyse plus poussée a permis d'identifier des coupures sur ses vertèbres. Un récipient en fer et un pot en céramique ont également été découverts à ses côtés, ils contenaient probablement de la nourriture et des offrandes pour l'au-delà.

    PHOTOGRAPHIE DE Trevor Wallace

     

    DES BRUTES ?

    La violence était peut-être banale chez ces nomades des steppes, mais de précédentes fouilles ont montré qu'ils savaient également faire preuve de compassion. Dans les années 1990, Eileen Murphy, alors archéologue à l'université Queen's de Belfast, en Irlande, a mené des fouilles sur un site similaire de la république de Touva où elle a également trouvé des preuves de traumatismes et de violences sur de nombreux squelettes. Cependant, ajoute-t-elle, les dépouilles qui se démarquaient étaient celles de personnes ayant reçu des soins tout au long de leur vie.

    « Beaucoup de preuves montraient que des individus atteints d'un handicap dès l'enfance avaient survécu jusqu'à l'âge adulte, » rapporte Murphy, qui n'a pas pris part à la récente étude. « Il y a une dimension affective chez les peuples des steppes, ce n'était pas simplement des brutes. »

    Le fait que les tribus plus récentes enterraient encore leurs morts dans une colline funéraire scythe construite plus de mille ans avant leur époque « témoigne d'une certaine continuité, » observe Milella. « Le kourgane lui-même a toujours été utilisé à des fins funéraires. C'est probablement un lieu spécial et symbolique. Ce laps de temps est fascinant. »

    Durant la période des enterrements de Tunnug 1, aux premiers siècles de notre ère, l'effondrement de l'empire Xiongnu a engendré de puissantes répercussions à travers d'autres empires en Asie, mais aussi en Europe. À l'autre bout du continent, les écrivains romains évoquaient à la même période des tribus guerrières en provenance d'Asie Centrale. Les offensives des Goths, des Alains et des Huns vers l'ouest ont fini par pousser l'Empire romain à son point de rupture.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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