En Mongolie, la ruée vers l’or va de pair avec la crainte de déranger les esprits

Dans ce pays majoritairement bouddhiste, des centaines de milliers de personnes cherchent à s’enrichir rapidement avec l’orpaillage illégal. Une activité qui comporte des dangers physiques… et moraux.

De Manon Meyer-Hilfiger, National Geographic
Publication 4 août 2021, 10:28 CEST
Les profonds trous d'extraction qui dominent le paysage des mines d'or d'Uyanga, Overhangai, Mongolie, créent un ...

Les profonds trous d'extraction qui dominent le paysage des mines d'or d'Uyanga, Overhangai, Mongolie, créent un terrain inhospitalier et dangereux.

PHOTOGRAPHIE DE Mette M. High

En Mongolie, plus de 100 000 hommes, femmes et enfants s’acharnent à creuser le sol en quête d’or. Depuis les années 90, ces travailleurs illégaux espèrent faire fortune rapidement, dans ce pays où pauvreté et précarité sont monnaie courante. Sur place, ils sont surnommés les « ninjas ». Ce n’est pas tant parce que trouver de l’or s’apparente à un sport de combat, mais plutôt parce qu’ils transportent sur leurs dos des bassines d’orpaillages. Ils ressemblent ainsi aux tortues ninjas, un dessin animé populaire en Mongolie.

 Mette M. High, anthropologue, a passé deux ans dans la province d’Uyanga, où près de 10 000 chercheurs d’or se pressent. Là-bas, pas besoin de produits chimiques toxiques comme le mercure ou le cyanure pour extraire le précieux métal. Pas d’inquiétudes non plus concernant la nature illégale de l’activité : le gouvernement ferme largement les yeux sur la question. Mais les dangers demeurent nombreux. Il y a ceux physiques, d’une part. Et il y a aussi les risques moraux et religieux. Car creuser des trous d’une quinzaine de mètres dans le sol n’est pas sans conséquences sur la vie spirituelle des Mongols. C’est la conclusion de son livre « Peur et fortune : le monde des esprits et l’économie émergente de la ruée vers l’or mongole », parue aux éditions Cornell University Press. 

Mette M. High,  anthropologue, autrice du livre « Peur et fortune : le monde des esprits et l’économie émergente de la ruée vers l’or mongole », éditions Cornell University Press.

PHOTOGRAPHIE DE P. Rutty

Comment la ruée vers l’or a-t-elle commencé ?

Beaucoup d’habitants travaillaient dans les mines du temps de l’URSS. Au début des années 90, avec la chute de l’Union soviétique, ils se sont retrouvés au chômage. Comme ils avaient de l’expérience, ils se sont mis à chercher de l’or sans licence, de manière illégale.  Ils ont inspiré des milliers de personnes à faire de même. Notamment de nombreux éleveurs qui avaient tout perdu lors de conditions climatiques extrêmement difficiles au début des années 2000. L’orpaillage ne nécessite que très peu d’investissements, de technologies ou de compétences. Tout le monde peut tenter sa chance – y compris des enfants. Et c’est très rémunérateur. En 2010 après mon travail de terrain, j’avais calculé qu’un mineur peut gagner 4,15 USD par jour (soit 83 dollars par mois ndlr) et ce n’est que le gain de base. À titre de comparaison, le salaire national moyen de l’époque était de 29 dollars par mois. Aujourd’hui encore, la ruée vers l’or continue et se réplique dans d’autres parties du pays, notamment dans le désert de Gobi.

 

Quels risques ces orpailleurs sont-ils prêts à prendre ?

Il y a d’une part le risque d’accidents. Là où les mineurs travaillent, le paysage est lunaire. Les trous creusés pour aller chercher l’or font en moyenne 16 à 18 mètres de profondeur. Là-bas, tout le monde connaît quelqu’un qui est tombé dans un de ces puits de mine, résultant en des blessures parfois très graves. Cela a été le cas pour une mère de famille qui m’a hébergée. Elle s’est brisé le fémur – aujourd’hui elle est handicapée et ne peut plus marcher. Il y a aussi les violences entre orpailleurs, les bagarres qui éclatent quand ils ont trop bu ou bien qu’ils sont épuisés à la fin d’une longue journée de travail et qu’ils n’ont rien trouvé. Et il y a enfin les risques considérés comme liés à la religion.

 

Pourquoi cette question religieuse est-elle importante ?

La Mongolie, où la religion est globalement très présente sous différentes formes, est riche de ses minéraux : cuivre, charbon, or. Mais ils sont appréhendés de différentes manières. Chez les bouddhistes, l'or est pensé comme un objet unique, adoré et révéré des esprits qui gardent les sutras – soit les discours du Bouddha. Ces esprits peuvent avoir des boucliers et des épées en or. Ils vivent dans des maisons élaborées, recouvertes d'or. Ils sont extrêmement puissants. C'est une vision assez générale dans le Bouddhisme. Plus régionalement dans la province d’Uyanga, ces esprits sont aussi dépeints comme des êtres vivant sous terre. Quand les ninjas vont extraire l'or du sous-sol, ils sont vus comme pénétrant et détruisant la demeure de ces esprits, leur volant ce qu’ils ont de plus précieux. Quand on fait de telles actions, les conséquences peuvent être terribles. Les orpailleurs se disent qu’il y a des implications.

 

N’est-ce pas mineur comparé aux dangers bien réels de la ruée vers l’or ?

La religion n’existe pas dans le vide. Elle coexiste avec tous ces dangers de la mine. Elle leur donne un sens. C’est une des raisons qui explique sa puissance. Pour les Mongols que j’ai rencontrés lors de mon terrain de recherche, c’est donc un aspect très important. Et puis le danger et la douleur physique sont des réalités, mais il ne concerne que le « ninja ». Au contraire, avec cette atteinte à la vie des esprits, l’orpailleur pourrait porter malchance à toute la société. Ainsi, les orpailleurs ne parlent pas ouvertement de leur métier. Ma propre famille d’accueil , qui travaille en tant qu’éleveurs, a d’ailleurs mis du temps à me dire que leur propre fils cherchait de l’or. Ils me l’ont finalement avoué à reculons.

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    Les mineurs vivent dans des communautés de yourtes au bord des tas de déchets le long de la rivière Ongi, dans la province d'Ovorhangay, en Mongolie centrale. Là où il y a de l'eau stagnante, ils fouillent les déchets à la recherche de traces d'or. Des milliers d'artisans mineurs fouillent les déchets ou résidus miniers antérieurs à la recherche de poussière et de pépites d'or. Dans tout le pays, la Mongolie connaît une véritable ruée vers l'or. Jusqu'à 300 000 mineurs artisanaux ou ninjas utilisent des techniques d'exploitation pour extraire l'or des cours d'eau dans tout le pays

    PHOTOGRAPHIE DE Ted Wood, Aurora Photos, Cavan Images, Alamy

    Vous écrivez aussi que l’argent est perçu différemment s’il vient de la mine d’or…

    Oui. La monnaie mongole n’a pas de pièces, seulement des billets. Ceux qui viennent de la mine sont couverts de poussière et de boue. Ils sont souvent très froissés. Ils sont donc associés à l’extraction de l’or, et considérés comme dangereux moralement. La malchance pourrait se transférer vers les objets achetés via ces billets. Dans certains magasins, les gérants dévaluent cet « argent pollué » et les « ninjas » doivent payer leur pain plus cher, par exemple. Dans la famille d’éleveurs qui m’hébergeait, ces billets étaient conservés à part. En général, ils servent en priorité à acheter des biens qui ne durent pas, comme de la vodka ou des cigarettes, pour éviter de trop grands risques. Les gens ont peur d’acheter une yourte – elle risquerait de ne pas tenir le coup lors de la prochaine tempête – ou une moto – un accident est considéré comme probable- avec l’argent de la mine. Certains vont donc voir le moine local pour une cérémonie de purification de cet argent avant d’investir dans des biens de long terme. Mais même avec ces précautions, la pureté de cet argent n’est pas garantie.  Il y a toujours un risque.

     

    Aujourd’hui, comment est-ce que les moins bouddhistes gèrent cette question ?

    Dans la région où j’ai travaillé, la province d’Uyanga, près de 10 000 orpailleurs affluent pour extraire l’or. Les moines se disent que cette ruée vers le précieux métal se passera quoiqu’il arrive. Qu’ils n’y peuvent pas grand-chose. Donc autant faire de cet événement une occasion pour éveiller et impliquer les orpailleurs. Ainsi, à plusieurs étapes de la vie de la mine, ils font des cérémonies et des offrandes pour apaiser les esprits. Au tout début, les moines étudient les jours de bon augure pour commencer à creuser les puits de mine. On ne doit en aucun cas commencer à piocher un jour de mauvais augure – on risquerait alors d'accélérer la malchance associée à cette activité. Les ninjas creusent ensuite à la main ces trous de 16 à 18 mètres de profondeur. Une fois cette action terminée, les orpailleurs demandent souvent une autre cérémonie, car c’est là que les affaires vraiment dangereuses vont commencer : la recherche de l’or. Les ninjas peuvent aussi demander des cérémonies suite à des accidents par exemple, par peur que cela ne présage d'autres actes de colère de la part des esprits. Les moines ne chôment pas !

     

    La ruée vers l’or permet aussi aux moines de se refaire une santé financière.

    Cette situation a en effet permis, en quelque sorte, de revitaliser le bouddhisme dans la région, après des années d’interdiction sous l’URSS. À l’époque, l'Union soviétique faisait la chasse aux religions. Les monastères étaient fermés ou détruits, les moines tués ou envoyés dans des camps en Sibérie. Avec la chute de l’URSS et les richesses créées par la ruée vers l’or, de nouveaux monastères ont été construits. Ainsi dans la région où j’ai travaillé, on est passé d’un monastère au milieu des années 2000 (il avait survécu à l’URSS sans être détruit, juste fermé) à quatre monastères cinq ans plus tard. L’argent venu des mines leur permet de se développer, d’attirer de nouvelles personnes pour devenir lamas (enseignants religieux du bouddhisme ndlr), ou encore d'inviter des moines bouddhistes d'Inde ou de Chine dans leurs monastères.

     

    Certains moines persistent-ils à condamner la ruée vers l’or ?

    Oui, mais pas dans les régions aurifères !  À Oulan-Bator, la capitale, ils sont plus orthodoxes, et considèrent cela comme un acte injustifiable. Ils disent qu’aucune offrande ni cérémonie ne devraient être faite dans la mine. Mais s’ils voyaient débarquer des milliers d’orpailleurs dans leur région, ils changeraient peut-être d’avis.

    Plus généralement, les moines sont inquiets de la tournure individualiste que prend la société mongole. Les habitants sont maintenant mus par un fort désir d’indépendance, que l’or peut satisfaire. Mais pour les moines, c'est une incompréhension fondamentale de ce qu'est la liberté. Selon eux, la liberté consiste à reconnaître notre dépendance aux autres.  C'est aussi la possibilité de pratiquer la religion, car beaucoup ont connu les interdictions et persécutions de la période soviétique. Ils trouvent que la morale se délite.

     

    Qu’en est-il des chercheurs d’or?

    La mine d’or est effectivement une terre d’individus en quête d’indépendance. Elle est aussi un endroit plus égalitaire, loin des traditions pastorales patriarcales. Chez les éleveurs, l’homme le plus vieux est au sommet de la hiérarchie. C’est lui qui dans la yourte s’assoit près de l’autel pour les dieux – une place interdite aux jeunes. On lui témoigne beaucoup de respect, en utilisant notamment de nombreux titres honorifiques, des verbes et des noms particuliers. Il n’y a rien de cela dans les mines.  La ruée vers l’or, en plus d’offrir un revenu relativement élevé, ouvre la porte à une manière de vivre alternative, où tout le monde est mis sur le même plan. Dans mon étude, j’ai voulu montrer toute cette complexité de la ruée vers l’or en Mongolie. Là-bas, une peur puissante des conséquences de l’orpaillage va de pair avec l’enthousiasme et l’espoir que suscitent ces richesses. Ces deux sentiments cohabitent.

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