Égypte : Un musée digne d'un pharaon

Le nouveau Grand Musée égyptien offre une vitrine monumentale aux trésors de Toutankhamon. Il est aussi le symbole d'une nation qui s'est réapproprié son passé.

De Tom Mueller
Publication 14 nov. 2022, 12:07 CET
Une statue de Ramsès II vieille de 3 200 ans domine l’atrium du nouveau Grand Musée ...

Une statue de Ramsès II vieille de 3 200 ans domine l’atrium du nouveau Grand Musée égyptien (GMÉ), dans la banlieue du Caire. Le bâtiment a exigé deux décennies de travaux, pour un coût estimé à plus de 1 milliard d’euros. Il rassemble pour la première fois la quasi-totalité de la collection provenant du tombeau de Toutankhamon, soit plus de 5 000 artefacts.

PHOTOGRAPHIE DE Paolo Verzone

C'est un directeur de musée peu commun,  qui travaille en tenue de camouflage et bottes de combat. Mais le général de division Atef Moftah n’a rien du directeur de musée tel qu’on se l’imagine. Et le Grand Musée égyptien (GMÉ) n’est pas un musée comme les autres. Vue de loin, la silhouette postmoderne et tentaculaire du bâtiment est si énorme qu’il est difficile de savoir à quoi l’on a affaire. Ses lignes saillantes, dessinant une proue, lui donnent l’aspect d’un énorme navire échoué dans le désert. De plus près, on distingue sur les façades extérieures des motifs pyramidaux faisant écho aux pyramides de Gizeh, qui s’élèvent à un peu plus de 1,5 km de là. Ce style architectural a de quoi désorienter, mais le message est clair : il s’agit d’un musée digne d’un pharaon. 

Ingénieur de formation, le général Moftah est trapu et droit, avec des cheveux courts et une attitude volontaire, bien que son expression aimable et son sens de l’autodérision ne correspondent pas à l’image que je me fais d’un chef militaire. Son attitude calme ne correspond pas non plus à la pression intense qu’il subit.

Le GMÉ est un projet-phare du gouvernement égyptien. Lancée il y a deux décennies, la monumentale entreprise a pris de nombreuses années de retard avec les soulèvements du Printemps arabe et la Covid-19. Dans un pays qui dépend fortement des revenus du tourisme, et où archéologie et politique sont intimement imbriquées, Moftah et son personnel ont pour mission de faire du GMÉ un succès retentissant.

Nous traversons la large esplanade qui précède l’entrée du musée. Le général fait un geste vers les tombeaux imposants qui, au loin, scintillent dans la chaleur. Une voie piétonne pour relier la zone du musée aux pyramides est en chantier. Moftah précise : « Elle sera plus longue que les Champs-Élysées ou les Ramblas. »

 

Chaque nouvelle fouille démontre davantage l’abondance de l’Égypte en témoignages de l’Antiquité, à l’image de ce chantier, tout à côté des pyramides de Gizeh. Le nouveau musée, appelé GMÉ et situé à proximité des célèbres monuments, glorifie le riche patrimoine culturel du pays comme jamais.

PHOTOGRAPHIE DE Paolo Verzone

Pour ce qui est du musée, le général déroule ses statistiques : 45 000 m2 de surface, 12 salles d’exposition, 100 000 objets, un coût total qui dépasse 1 milliard d’euros. « Et nous avons fini à 99 % !  », se réjouit-il en tapant dans ses mains. L’échelle et la théâtralité du GMÉ sont à la mesure d’autres projets archéologiques récents parrainés par le gouvernement égyptien. Parmi ceux-ci figurent la réouverture de l’avenue des Sphinx, à Louqsor, et l’inauguration de nouveaux espaces muséaux majeurs à Charm el-Cheikh, au Caire, à Hourghada et ailleurs.

En avril 2021 s’est déroulée une cérémonie somptueuse, financée par l’État et baptisée la Parade d’or des pharaons. Vingt-deux momies royales, placées sur des véhicules personnalisés évoquant d’anciennes barges funéraires, ont emprunté les rues du Caire, de l’ancien Musée égyptien au récent Musée national de la civilisation égyptienne. À leur arrivée, elles ont été accueillies par le président Abdel Fattah al-Sissi et saluées par vingt et un coups de canon.

Cette parade, estime Khaled al-Anani, ancien ministre du Tourisme et des Antiquités, « a vraiment contribué à sensibiliser les Égyptiens. Elle nous rappelait que nous appartenons tous à une grande civilisation et que nous respectons nos ancêtres. Le Grand Musée égyptien transmettra les mêmes messages d’une façon puissante et nouvelle : fierté, respect, unité, force. »

Naguère entités distinctes au sein du gouvernement national, le ministère du Tourisme et celui des Antiquités ont été fusionnés en 2019, au grand dam de certains égyptologues, selon qui l’archéologie est devenue le valet du tourisme.

Le GMÉ a aussi ses détracteurs, qui craignent que le musée s’adresse davantage aux visiteurs étrangers et à leur argent qu’à l’Égyptien moyen. D’autres disent que l’énorme structure est laide – une succession de hangars d’avion sans grâce – et que la climatisation et l’éclairage auront un coût prohibitif. Mais, quand Moftah et moi passons du soleil brûlant au majestueux atrium du musée, mes doutes s’estompent.

Le spectaculaire jeu d’ombres et de lumières créé par le toit en maille métallique change sans cesse. Le plafond est si élevé qu’une statue de Ramsès II semble anodine – puis, de plus près, on comprend que c’est un colosse haut de 11 m.

Depuis l’atrium central, de larges escaliers bordés de statues de pharaons montent vers les douze salles d’exposition. Avec un pointeur laser, le général indique le bassin peu profond, dans le sol de granit, où coulera bientôt de l’eau pour refroidir les lieux. Il montre les cartouches ornementaux et les carrés d’albâtre doré sur les murs, explique le système d’éclairage avant-gardiste.

Puis il se tourne et son faisceau remonte l’un des escaliers : « C’est là que vit Toutankhamon. »

Deux salles d’exposition sont dédiées en entier au plus célèbre pharaon d’Égypte. Pour la première fois, on y présentera la quasi-totalité de la collection de plus de 5 000 artefacts découverts dans son tombeau. Je demande à en avoir un aperçu. Le général sourit et secoue la tête : « Pas question. Ordres du président Al-Sissi. Personne n’entre avant l’inauguration. »

 

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    Jusqu’à récemment, de nombreux trésors de Toutankhamon, dont cette figurine, étaient conservés dans l’exigu Musée égyptien du Caire, ouvert en 1902. Des objets longtemps entreposés dans ses réserves seront aussi exposés au GMÉ.

    PHOTOGRAPHIE DE Paolo Verzone

    Je me dirige vers les laboratoires de conservation ultramodernes du GMÉ. Ils ont été la première partie du musée à ouvrir, dès 2010. Là sont nettoyées et restaurées des pièces inestimables du tombeau de Toutankhamon avant exposition. Je m’arrête devant un restaurateur qui examine la résine noire sur l’énorme cercueil externe du pharaon. Plus loin, Ahmed Abdrabou, expert en objets en bois doré, rénove un char en orme – un bijou de menuiserie. « Pour un jeune Égyptien, c’est un tel honneur de voir de nombreux trésors du tombeau de Toutankhamon passer par nos laboratoires, affirme-t-il. Mois après mois, notre patrimoine défile devant moi. »

    D’autres restaurateurs, pour la plupart des femmes portant foulard et masque, travaillent sur des bancs. Je m’arrête près de Manar Hafez, qui porte des gants chirurgicaux et tient un objet évoquant un outil de dentiste. Pendant que nous parlons, elle passe doucement ses doigts sur le bois ancien du bouclier de guerre qu’elle restaure – on dirait qu’elle caresse un enfant. « C’était comme un cadavre, quand je l’ai vu pour la première fois – en mille morceaux, sans identité, dit-elle. Lentement, lentement, je l’ai vu revenir à la vie. Parfois, j’ai l’impression que c’est ma fille. »

    En Haute-Égypte, l’été rend les fouilles très pénibles, voire dangereuses. À 10 heures du matin, lorsque je m’enfonce dans le désert sous le soleil, la température avoisine déjà 38°C. Pourtant, une équipe d’archéologues égyptiens travaille d’arrache-pied dans la « Cité d’or perdue », un site étonnamment bien préservé.

    Le directeur des fouilles, Afifi Rohim Afifi, me guide sur ce qui fut une rue animée de la ville, des décennies avant Toutankhamon. « Je m’attends presque à voir un ancien Égyptien tourner le coin de la rue et marcher vers moi », s’amuse-t-il.

    Des ouvriers locaux ont aidé Afifi à identifier quelques-unes de ses découvertes, comme le matraha, un outil en bois pour cuire le pain, et le manama, une pièce à plafond bas où l’on dormait. « Ils m’ont dit qu’ils les utilisaient encore dans leur village. Ils ressentent un lien spirituel fort avec cet endroit et veulent continuer à travailler même après la fin de la saison. »

     

    Des fouilleurs égyptiens, dont le savoir-faire et les emplois se transmettent parfois de génération en génération, écoutent leur chef d’équipe, sur un chantier du plateau de Gizeh, près du Caire. Un siècle plus tôt, le rôle des Égyptiens dans l’archéologie se limitait quasiment aux travaux manuels. Les choses ont commencé à changer quand leur pays a gagné son indépendance de la Grande-Bretagne et a insisté pour qu’aucun objet issu du tombeau de Toutankhamon ne finisse dans des musées ou dans des collections à l’étranger.

    PHOTOGRAPHIE DE Paolo Verzone

    Les Égyptiens ont multiplié les projets archéologiques lors de la dernière décennie. La pandémie, qui a cloué les avions au sol et interrompu la plupart des travaux de terrain menés par des archéologues étrangers, a accéléré le passage à un pilotage local. Les Égyptiens ont comblé le vide et dirigent désormais plus de quarante missions archéologiques dans tout le pays.

    À l’instar de la Cité d’or perdue, nombre de ces sites livrent des découvertes remarquables et une grande quantité d’artefacts : 30 cercueils peints à Louqsor, 40 momies à Tounah el-Gebel, une importante nécropole près de Minieh, et un énorme butin à Saqqarah, dont 250 sarcophages en bois peint, 150 statuettes en bronze, ainsi que des dizaines de momies et statues de chats, de mangoustes, de crocodiles et d’ibis.

    Les autorités égyptiennes sont fières de cette vague de découvertes et de l’attention médiatique qu’elle a suscitée. Chaque nouvelle trouvaille est une publicité gratuite pour l’Égypte et son industrie du tourisme, se félicite Zahi Hawass, un ancien ministre des Antiquités.

    Certains égyptologues sont moins enthousiastes. « En ce moment, l’accent est mis sur l’or, les trésors, les secrets et les gens avec des chapeaux à l’Indiana Jones, tout ce qui plaît au public occidental, tempère Monica Hanna, doyenne par intérim du Collège d’archéologie et du patrimoine culturel de l’Académie arabe d’Assouan. C’est de la chasse au trésor, pas de la véritable archéologie scientifique. »

    Pour autant, Hanna confirme l’intérêt suscité par la parade des momies royales: «Des milliers et des milliers d’Égyptiens nous ont contactés, demandant des livres sur l’Égypte ancienne. Les gens étaient désireux d’en savoir plus sur leurs ancêtres. Mais il n’existe pas de livres en arabe sur les pharaons, ni même sur Toutankhamon. Ainsi, d’une certaine façon, la plupart des Égyptiens se sentent coupés de leur passé. Comment peuvent-ils comprendre pleinement leur histoire et s’y intéresser s’ils n’ont pas accès à la connaissance de celle-ci ? »

     

    Hussein Kamal (au centre, sans masque), le directeur des laboratoires de conservation ultramodernes du GMÉ, détaille à une équipe de restaurateurs certaines caractéristiques du cercueil externe de Toutankhamon. « Tous les Égyptiens ont la passion de l’archéologie, dit-il. Nous sommes tous nés au sein ou près de sites archéologiques. »

    PHOTOGRAPHIE DE Paolo Verzone

    La Vallée des Rois, site du tombeau de Toutankhamon, se situe à un quart d’heure en voiture de la Cité d’or perdue. D’autres archéologues égyptiens de la nouvelle génération y sont à l’œuvre. Zahi Hawass m’a invité à rencontrer son équipe de jeunes fouilleurs. Quand j’arrive, Fathy Yaseen et ses collègues me conduisent vers une tombe qu’ils utilisent comme atelier et zone de stockage. Ils me montrent les 700 amulettes, statuettes et ostraca récemment mis au jour dans des dépôts, près du tombeau de Toutankhamon. Puis ils m’accompagnent vers l’escalier menant à la tombe du pharaon.

    Comme je descends les seize marches, la chaleur et l’éclat du désert s’estompent, et il m’est difficile de ne pas percevoir l’écho de l’Histoire : le cortège funéraire de Toutankhamon, les pilleurs de tombes, Howard Carter et George Herbert, cinquième comte de Carnarvon ; les foules de visiteurs attirés ici ces cent dernières années. En bas, je passe à travers les restes du mur que Carter et Lord Carnarvon ont abattu il y a un siècle. Me voici dans la première des quatre pièces du tombeau – celle que Carter a appelée l’antichambre. Les fresques murales, quoique un peu décolorées, brillent encore. Sur le mur nord, Toutankhamon est enlacé par Osiris, dieu des Enfers. Au sud, la déesse Hathor porte un ankh (symbole de vie) aux lèvres du pharaon.

    Jadis, certaines parties de cette tombe étaient tellement remplies d’objets splendides que les fouilleurs devaient se suspendre à des cordes attachées au plafond pour éviter de les piétiner. Aujourd’hui, tous ces artefacts se trouvent au GMÉ, à quelque 640 km de là. La seule exception est l’imposant sarcophage taillé dans un unique bloc de quartzite, qui contenait les trois cercueils gigognes de Toutankhamon. Mesurant presque 1,5 m de haut et pesant plusieurs tonnes, le sarcophage était manifestement trop difficile à emporter. Quatre déesses de pierre se tiennent aux coins, déployant leurs ailes gracieuses et protectrices autour du sarcophage. Il ne reste rien d’autre des trésors de Toutankhamon.

     

    Gauche: Supérieur:

    Mohamed Megahed, qui dirige le complexe pyramidal du pharaon Djedkarê, à Saqqarah, figure parmi les actuels gardiens du patrimoine culturel égyptien. Le site funéraire a été le théâtre de nombreuses découvertes au cours des dernières années.

    Droite: Fond:

    L’égyptologue Yasmin el-Shazly a longtemps été la conservatrice d’antiquités inestimables, comme ce buste du pharaon Toutankhamon, au Musée égyptien du Caire. « Avant, j’étais totalement subjuguée par ces pièces, assure- t-elle. Je ressens encore leur pouvoir. »

    Photographies de Paolo Verzone
    Gauche: Supérieur:

    Professeur d’égyptologie à l’Université américaine du Caire, Salima Ikram examine un minuscule cercueil destiné à une musaraigne momifiée : « Pour les Égyptiens de l’Antiquité, aucun animal n’était trop petit pour être ignoré, et chacun occupait une place très particulière dans le cosmos. »

    Droite: Fond:

    Lorsque la pandémie a retenu la plupart des archéologues étrangers chez eux, Mostafa Waziri, chef du Conseil suprême des Antiquités égyptiennes, a engagé du personnel local afin de poursuivre le travail. Résultat, le nombre de fouilles dirigées par des Égyptiens a très fortement augmenté.

    Photographies de Paolo Verzone

    Cependant, la momie de Toutankhamon est toujours là. Niché dans un coin du tombeau, dans un coffre en verre à la température régulée, le jeune roi repose sous une couverture blanche. Son visage, usé par le temps, est bien loin de celui du masque mortuaire doré qui le cachait autrefois, avec son emblématique sourire sûr de lui.

    Pour l’égyptologie, cette sépulture constitue une ressource sans pareil. Icône de l’Égypte ancienne, symbole du gouvernement actuel, aimant à devises fortes… Le magnétisme de star de Toutankhamon n’a pas faibli. Mais, ici, dans ce tombeau vidé de ses trésors, privé de ce dont les anciens Égyptiens croyaient qu’il lui faudrait dans l’au-delà, l’enfant-roi semble abandonné.

    Toutefois, Toutankhamon serait sans doute heureux de la manière dont se déroule sa saga. Les Égyptiens croyaient que l’être d’un individu se composait de plusieurs strates, chacune d’entre elles évoluant différemment dans l’autre monde. Le khat (corps physique) devait finir par se décomposer en poussière, malgré des rites de momification très élaborés. Le ba était le caractère unique ou la personnalité du défunt, souvent représenté sous la forme d’un faucon à tête humaine. Le ka était la force vitale et avait besoin de nourriture et de boisson après la mort.

    Une strate particulièrement importante était le ren – le nom. Les Égyptiens répétaient de façon obsessionnelle les noms de leurs morts célèbres, dans des inscriptions, des prières, des formules magiques et des textes funéraires. Ils croyaient qu’en agissant ainsi, le défunt était en quelque sorte ressuscité. Si le nom était oublié, l’âme du défunt serait perdue pour l’éternité – une seconde mort très redoutée.

    Le khat de Toutankhamon a connu des jours meilleurs. Pour son ba et son ka, je ne sais guère. Mais son ren se porte à merveille. Nul pharaon n’a été nommé aussi fréquemment et avec un tel enthousiasme lors des cent dernières années. 

     

    Des déesses ailées protègent chaque coin du sarcophage en pierre de Toutankhamon, qui repose encore dans son tombeau de la Vallée des Rois. On sait que d’autres membres de la royauté égyptienne furent inhumés dans la zone, mais leurs sépultures ne furent jamais localisées, ce qui soulève une question passionnante : est-il encore possible de découvrir d’autres tombeaux comme celui de Toutankhamon ?

    PHOTOGRAPHIE DE Paolo Verzone

    Article publié dans le numéro 278 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine.

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