Seconde Guerre mondiale : comment ce sous-marin japonais est-il arrivé au Texas ?

En décembre 1941, après l’attaque de Pearl Harbor, ce sous-marin de poche s’est échoué à Hawaï. S’en est suivi une lutte acharnée pour savoir qui en aurait la garde.

De Bill Newcott
Publication 14 déc. 2022, 17:09 CET
Le HA-19, sous-marin de poche échoué et abîmé, et premier trophée de guerre américain lors de ...

Le HA-19, sous-marin de poche échoué et abîmé, et premier trophée de guerre américain lors de la Seconde Guerre mondiale, attend d’être enlevé d’une plage d’Oahu peu après le début de l’assaut japonais sur Pearl Harbor.

PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE VIA U.S. NAVAL HISTORY AND HERITAGE COMMAND

Hormis l’épave du cuirassé U.S.S. Arizona, qui gît désormais au fond des eaux de Hawaï, ce sous-marin est très probablement l’artefact le plus saisissant à nous être parvenu de l’attaque de Pearl Harbor.

Tout en lignes sinistres et noires, ce sous-marin de 23 mètres de long pour 40 tonnes qu’on ne connaît que sous son nom de combat, HA-19, était une des unités de première ligne de la flotte japonaise et atteignit Hawaï avant même que la première bombe ne s’abatte sur Pearl Harbor.

Étonnamment, cette relique de la guerre du Pacifique ne se trouve pas à Hawaï, où elle s’échoua au lendemain de cette matinée fatidique, ni même à la Smithsonian Institution. Si vous voulez voir le HA-19, il vous faudra parcourir plus de 5 000 km depuis l’île d’Oahu (ou 1 600 km depuis l’océan le plus proche) pour visiter un musée situé à deux pas de la rue principale de Fredericksburg, ville texane paisible du Hill Country où vivent 12 500 âmes environ.

Le HA-19 n’aurait jamais pu terminer sa course dans cette région principalement connue pour ses pêches, ses pacaniers et son tempranillo sans une suite d’événements mêlant chauvinisme local, habileté législative outrageusement imaginative et influence d’un nom célèbre.

 

PREMIÈRE LIGNE

Le 7 décembre 1941, la marine japonaise lança six porte-avions et 420 avions sur Pearl Harbor. Mais avant cela, il y eut des sous-marins : cinq sous-marins de poche transportant deux hommes chacun et armés d’une paire de torpilles qui devaient marquer le début de l’assaut. Et voilà qu’aujourd’hui, en plein cœur du Texas, je me trouve devant l’un d’eux.

Exposé devant un mur bleu marine au Musée national de la guerre du Pacifique, le HA-19 a un aspect étonnamment imposant pour un sous-marin « de poche ». Ce mastodonte fuselé en acier et équipé d’une seule hélice ressemble à une torpille surdimensionnée surmontée d’un kiosque.

Des bâtiments américains ont endommagé ou détruit quatre sous-marins de poche japonais durant l’attaque de Pearl Harbor. Le lendemain matin, des soldats américains en patrouille furent stupéfaits de découvrir le HA-19 qui gisait au milieu des vaguelettes d’une plage d’Oahu. Un homme, seul rescapé d’un équipage de deux, fut découvert non loin de là, sur la plage.

PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE DE U.S. NAVY VIA NAVAL HISTORY AND HERITAGE COMMAND

Comme ces petits sous-marins devaient faire surface fréquemment pour se ravitailler en air, quatre d’entre eux furent repérés par des navires de patrouille et détruits à l’aide de grenades anti-sous-marines. Mais au sein du commandement, personne ne fit le lien entre la présence de ces appareils et l’imminence d’un bombardement.

De manière ironique, si le HA-19 ne courut pas immédiatement à sa perte, c’est grâce à un dysfonctionnement mécanique. Après un court-circuit, ses batteries se mirent à émettre des gaz dangereux pour les deux hommes de l’équipage. L’adjudant-chef Kiyoshi Inagaki et son second décidèrent d’abandonner le bâtiment, de rejoindre la terre à la nage, armés de couteaux, et de se battre au corps-à-corps jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Seul Kiyoshi Inagaki atteignit la terre ferme vivant. Il rampa sur le sable mais finit par s’évanouir. À son réveil, une patrouille américaine pointait ses fusils sur lui. Malgré ses implorations, les GI refusèrent de le tuer. Et ainsi Kiyoshi Inagaki devint le premier prisonnier de guerre de la Seconde Guerre mondiale.

 

POUR LE MORAL ET POUR L’ARGENT

Pearl Harbor mit l’Amérique en rage et l’humilia. Pour relever le moral des Américains et lever des fonds grâce à des obligations de guerre, le gouvernement rapatria le HA-19 aux États-Unis, l’exposa sur un semi-remorque et le fit parader ainsi dans tout le pays. On se déplaçait en masse pour aller voir cette prise de guerre.

Sur un mur du Musée national de la guerre du Pacifique est accrochée une photo de la première visite du HA-19 à Fredericksburg, prise en 1943 sur Main Street. En arrière-plan on aperçoit l’hôtel Nimitz, construit par le grand-père de l’enfant chéri de Fredericksburg : l’amiral Chester Nimitz, qui se trouvait être le commandant de la flotte du Pacifique (USPACFLT).

Après la reddition japonaise, Chester Nimitz retourna en héros de guerre à Fredericksburg et le HA-19 disparut virtuellement des écrans radar. À la fin de la guerre, le sous-marin fut accueilli à la jetée Navy de Chicago, puis la base aéronavale de Key West demanda à la récupérer. Il y fut exposé durant quelques années avant d’être déplacé au pied du phare de Key West en 1964.

« Pendant le plus clair de ce temps-là, il était en pièces détachées », m’apprend le général Michael Hagge, président du Musée de la guerre du Pacifique et retraité du Corps des Marines alors que nous discutons au premier étage de l’ancien hôtel Nimitz. Comme Chester Nimitz, Michael Hagee est né à Fredericksburg. Et tout comme lui, cet ancien commandant du Corps des Marines est un militaire de premier rang.

Lors de sa tournée de 1943, dont le but était d’inciter les Américains à acheter des obligations de guerre, le HA-10 traversé les rues de la ville texane de Fredericksburg sur un semi-remorque. L’hôtel Nimitz, qui tient son nom du grand-père de l’amiral W. Chester Nimitz, qui se distingua lors de la Seconde Guerre mondiale, fait aujourd’hui partie du Musée national de la guerre du Pacifique, demeure définitive du HA-19.

PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE VIA FLEET ADMIRAL CHESTER W. NIMITZ ET U.S. NAVAL HISTORY AND HERITAGE COMMAND

Dans les années 1980, des férus d’Histoire originaires de Fredericksburg étaient en train de recueillir des artefacts destinés à un musée créé en l’honneur de Nimitz lorsqu’ils découvrirent le HA-19, livré à la rouille, à Key West. Incidemment, les administrateurs du phare de Key West se demandaient alors ce qu’ils allaient faire du HA-19, qui s’insérait mal dans leur récit historique sur les phares et l’archipel des Keys. Ils prévinrent la Navy, qui est aujourd’hui encore propriétaire du sous-marin, qu’ils laisseraient bien volontiers le HA-19 partir pour une nouvelle vie au Texas. C’est ainsi qu’en 1991, le HA-19 effectua un dernier voyage de 2 500 km, par la route, de la pointe de la Floride à la crête d’une colline texane.

Mais Daniel Inouye, influent sénateur hawaïen, avait d’autres idées en tête. Vétéran décoré de la Seconde Guerre mondiale, il réclama le retour du HA-19 à l’endroit de l’échec de sa mission pour qu’on l’expose au Mémorial national de Pearl Harbor. Le Service des parcs nationaux (NPS), chargé de l’entretien du mémorial, accéda à sa requête et ébaucha des plans pour que le HA-19 quitte le Texas.

Mais comme ils ne cessent de le prouver depuis le siège de l’Alamo, les Texans ne se soumettent pas facilement. En 1994, des négociations enfiévrées eurent lieu entre le NPS, la Navy et le musée. Mais il s’avéra que la ville de Fredericksburg avait plus d’un tour dans son sac. Première chose et pas des moindres, la municipalité était en possession du HA-19. Ensuite, selon Michael Hagee, « nous avions les fonds pour restaurer le sous-marin. Ce qui n’était pas le cas du Service des parcs. »

Ce n’est qu’au prix d’une querelle dont seuls les Texans ont le secret que le HA-19 peut résider de manière permanente dans la galerie George H.W. Bush du Musée national de la guerre du Pacifique à Fredericksburg, au Texas.

PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE D’ALPHA STOCK, ALAMY, Alamy

Le Service des parcs nationaux rencontra également une résistance inattendue de la part de groupes de vétérans qui rechignaient à ce que l’on puisse faire une place d’honneur à un sous-marin japonais à quelques mètres seulement de l’épave de l’Arizona. Il ne fut pas inutile non plus que la galerie de musée hébergeant le HA-19 portât le nom de l’ancien président George H.W. Bush, qui l’avait d’ailleurs inaugurée en personne en y coupant un ruban de cérémonie.

Mais Daniel Inouye n’en démordait pas et plaida directement sa cause auprès du président d’alors, Bill Clinton. « S’il y avait bien une chose qu’on pouvait dire au sujet de Clinton, c’est qu’il était un politicien accompli, déclare Michael Hagee. Il a dit : ‘Vous savez quoi ? Prenons tous un peu de recul, attendons dix ans, et alors on réexaminera cela.’ Bien entendu, Clinton savait qu’il aurait quitté la Maison Blanche depuis belle lurette le moment venu. »

Finalement, en 1998, le NPS donna sa bénédiction pour que le HA-19 demeure au Texas. Malgré cela, la législature texane a un plan B redoutable en réserve au cas où la Maison Blanche tenterait un jour de faire changer le HA-19 d’endroit. Selon des propos rapportés à Michael Hagee, quelque part dans la Chambre des représentants du Texas se trouverait un projet de loi déclarant qu’« aucun sous-marin de poche ne peut être transporté sur une route texane ».

Et si les agents fédéraux arrivaient à Fredericksburg en hélicoptère pour hélitreuiller le HA-19 et l’exfiltrer de l’État ? Le plan C est d’ores et déjà sur pied.

« Ce truc est cimenté dans la galerie Bush, explique Michael Hagee. Ce n’est pas près de bouger. »

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