Antiquité : la chute d’un empire inscrite dans des arbres vieux de 3 200 ans

L’empire des Hittites a tenu tête à l’Égypte avant de finir par disparaître. Une étude qui vient d’être publiée lève le voile sur les circonstances de cet effondrement.

De Tom Metcalfe
Publication 14 févr. 2023, 16:44 CET
Hattusa_Gate

Des lions sculptés dans la pierre encadrent une porte de l’antique ville d’Hattusa, ancienne capitale des Hittites située dans le centre de la Turquie. Les Hittites étaient un puissant empire du deuxième millénaire avant notre ère. Ils se sont battus contre les Égyptiens et les Assyriens avant de « disparaître » autour de l’an 1198 avant notre ère.

PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE D’ALI BALIKCI, ANADOLU AGENCY / GETTY IMAGES, Anadolu Agency, Getty Images

D’après une étude réalisée récemment en Turquie sur des arbres vieux de 3 200 ans, l’effondrement mystérieux de plusieurs civilisations de l’âge du bronze, de 1200 à 1150 avant notre ère environ, coïnciderait avec une grave sécheresse survenue en Anatolie centrale, cœur du puissant empire hittite et région parmi les plus affectées.

Lors de ce que l’on appelle communément l’« effondrement de l’âge du bronze », l’empire hittite et la civilisation mycénienne, ainsi que plusieurs puissances moindres et les routes commerciales qui les reliaient, se sont effondrés. Cela a conduit à l’anarchie, à des soulèvements, à des guerres civiles, à des rivalités entre pharaons en Égypte, tandis que l’Assyrie et la Babylonie subissaient famines, épidémies et invasions.

Depuis 200 ans, les spécialistes du sujet s’expliquent mal cet effondrement et ont avancé toutes sortes d’hypothèses : éruptions volcaniques ou séismes ; piraterie, migrations ou invasions ; faillites politiques et économiques ; maladies, famines ou changement climatique ; et même diffusion du travail métallurgique du fer dans une région dominée par le bronze. 

Des archéologues réalisent des fouilles à Gordion qui a été pendant plus d’un siècle la capitale de l’ancien royaume de Phrygie, dans le centre de la Turquie. Le « tumulus du roi Midas » est visible en arrière-plan.

PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE D’EVRUM AYDN, ANADOLU AGENCY / GETTY IMAGES, Anadolu Agency, Getty Images

Mais des recherches publiées le 8 février dernier dans la revue Nature révèlent que le changement climatique a peut-être joué un rôle plus important dans l’effondrement de l’âge du bronze qu’on ne le pensait jusqu’alors.

En examinant des rondins d’arbres enfouis pendant plus de 3 000 ans, une équipe de recherche américaine a découvert que le cœur de l’empire hittite, situé en Anatolie centrale, a été frappé par une grave sécheresse en 1198, en 1197 et en 1196 avant notre ère ; soit précisément au début de l’effondrement de l’âge du bronze.

Cette découverte vient étayer les théories selon lesquelles la transition vers un climat plus sec et plus froid dans l’est de la Méditerranée aurait bouleversé la production alimentaire et entraîné des pénuries qui ont exacerbé les problèmes culturels et économiques qui agitaient déjà la région.

 

 

UN EMPIRE « SORT DE L’HISTOIRE »

L’empire hittite a régné en maître sur la majeure partie de l’Anatolie et de l’actuelle Syrie de 1650 à 1200 avant notre ère environ. On s’en souvient surtout parce qu’il s’est opposé à l’Égypte en 1274 avant notre ère lors de la bataille de Qadesh, non loin de l’actuelle ville syrienne de Homs, afin notamment de s’emparer de la région de Canaan.

Mais après cela, les Hittites ne sont plus jamais aventurés si loin vers le sud, et l’étude qui vient de paraître fournit une explication plausbible à cela : il semblerait que leur empire se soit rapidement effondré après la sécheresse prolongée qui s’est abattue sur l’Anatolie centrale de 1198 à 1196 avant notre ère et qui a très vraisemblablement perturbé l’indispensable approvisionnement en céréales assuré par les fermes hittites.

Selon Sturt Manning, auteur principal de l’étude et professeur d’archéologie à l’Université Cornell, cela a forcément dû entraîner des pénuries alimentaires ; et celles-ci ont pu se combiner à d’autres facteurs qui ont mené l’empire hittite à sa perte peu après l’an 1200 avant notre ère : guerres, troubles sociaux ou encore épidémies…

« On ne peut relier ces choses avec certitude, car nous n’avons aucun témoignage direct, explique Sturt Manning. Mais que l’empire soit sorti de l’Histoire entièrement et pour de bon à un moment donné entre les années 1190 et les années 1180 [avant notre ère] semble une coïncidence extraordinaire. »

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    Vue aérienne du « tumulus du roi Midas », à Gordion, où on a analysé du bois vieux de 3 200 ans.

    PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE DE MUTAFA KAYA, XINHUA / GETTY IMAGES, Xinhua, Getty Images

     

    DES ARBRES ANTIQUES DANS UN TOMBEAU DE MIDAS

    Pour découvrir ce qui est arrivé à l’empire hittite, l’équipe de Sturt Manning s’est intéressée au royaume de Phrygie, apparu dans la même région quelques siècles plus tard. Selon certaines études, les Phrygiens étaient des envahisseurs originaires de ce qu’on appelle aujourd’hui les Balkans quoique de nombreux archéologues pensent qu’ils descendaient en fait des Hittites.

    Sturt Manning est un expert renommé dans le domaine de la dendrochronologie, discipline qui permet de déterminer l’année exacte de la formation des anneaux de croissance (ou cernes) des arbres. Avec son équipe, il a examiné des rondins découverts sous un tumulus géant près de Gordion, la capitale phrygienne, à 80 kilomètres environ au sud d’Ankara. Ce tumulus est associé au légendaire roi Midas, celui qui transformait en or tout ce qu’il touchait, et d’après Sturt Manning, le tombeau royal qui se trouve en-dessous pourrait être le plus ancien édifice en bois jamais découvert.

    Celui-ci était constitué de cent rondins de genévrier abattus au 8e siècle avant notre ère qui ont ensuite été préservés par le tumulus. Il est à noter que les genévriers ont une longévité hors du commun (ils peuvent vivre plus de 1 000 ans) et les chercheurs ont identifié dix-huit rondins d’arbres qui étaient en vie au moment où la région était au cœur de l’empire hittite.

    L’équipe a mesuré les anneaux de croissances annuels visibles sur les rondins et ont examiné le taux de carbone 13, un isotope qui indique le taux d’humidité dans l’air au moment où ils se sont formés, contenu dans leurs cellules. Ces deux types de preuves ont été agrégés pour créer une sorte d’« archive de la sécheresse » en Anatolie centrale entre 1500 et 800 avant notre ère environ.

     

     

    LA FIN DES EMPIRES 

    Avant la parution de ces toutes nouvelles recherches, les études indiquaient que le climat de la région s’était asséché et refroidi au cours des 300 années qui ont suivi l’an 1200 avant notre ère. C’était sans compter sur la nouvelle archive de la sécheresse créée par les chercheurs qui signale une grave sécheresse en 1198, 1197 et 1196 avant notre ère.

    Sturt Manning fait observer que l’empire hittite aurait probablement pu survivre à une sécheresse plus courte comme cela avait déjà été le cas ; mais au lieu de cela, l’empire a succombé à une sécheresse qui a duré trop longtemps. « Si vous êtes à la tête d’un gouvernement dans ces régions, alors vous vous attendez à des sécheresses occasionnelles et vous vous y préparez, décrit-il. Mais ce que vous ne prévoyez pas, ce à quoi vous ne vous préparez pas, c’est d’avoir une sécheresse plusieurs années de suite. »

    Eric Cline, historien et archéologue de l’Université George-Washington, n’a pas pris part à la présente étude mais son ouvrage 1177 avant J.-C., le jour où la civilisation s’est effondrée, paru en 2015 en France, faisait déjà la part belle à cette période, en l’occurrence à l’année 1177, année clé où tout s’est effondré selon lui mais qui pourrait très bien être remplacée par les nouvelles dates données par l’étude.

    « L’effondrement de l’âge du bronze et les sécheresses ont sans aucun doute débuté dès avant 1177 avant notre ère, précise Eric Cline. Le fait d’avoir de nouveaux éléments de preuves indiquant une sécheresse survenue de 1198 à 1196 avant notre ère s’insère bien dans le scénario général de l’effondrement. »

    D’après Lorenzo D’Alfonso, archéologue et historien à l’Institut d’études du monde antique de l’Université de New York et à l’Université de Pavie, qui n’a pas pris part aux recherches, des carottes de glaces extraites au Groenland révèlent qu’une sécheresse mondiale est survenue encore plus tôt et se serait abattue sur les Hittites vers 1250 avant notre ère.

    D’anciennes traces écrites indiquent que les Hittites ont mis en œuvre de nouvelles techniques visant à stocker l’eau après cela ; mais il ne semble pas qu’ils aient réduit leur production céréalière pour autant. Celle-ci a en fait plutôt augmenté selon Lorenzo D’Alfonso. Ainsi on devine que l’empire hittite a été particulièrement touché par cette seconde sécheresse survenue cinquante ans plus tard.

    « Quand cette sécheresse est arrivée, ils étaient déjà en régime de surproduction », constate Lorenzo D’Alfonso.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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