À quoi ressemblait vraiment Jules César ?

Alors que ses représentations sont nombreuses, les experts peinent à déterminer le réel portrait du plus célèbre des généraux romains.

De Mary Beard
Publication 7 janv. 2022, 09:40 CET, Mise à jour 10 janv. 2022, 10:03 CET
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Afin de créer ce portrait, l’artiste David Samuel Stern a photographié un buste de César datant d’environ 1512 au Metropolitan Museum of Art de New York. Trois de ces photos ont été converties en gamme de tons rouges, verts et bleus. Elles ont ensuite été imprimées sur un vélin translucide, découpées en bandes puis tissées à la main. Enfin, grâce à un rétroéclairage, l’image finale a été obtenue. « L’image collective que nous nous faisons de César ne ressemble certainement pas à son réel physique », affirme M. Stern.

PHOTOGRAPHIE DE PORTRAIT TISSÉ : DAVID SAMUEL STERN. PHOTOGRAPHIÉ AU METROPOLITAN MUSEUM OF ART, NEW YORK

En septembre 2007, un archéologue français a fait une heureuse découverte. Il plongeait dans les eaux troubles du Rhône, à Arles, en quête de vestiges antiques conservés dans le lit du fleuve. Il en a remonté une tête de marbre grandeur nature délicatement sculptée. Alors qu’il la sortait de l’eau, comme lors d’une découverte banale, le directeur de l’équipe s’est exclamé : « Putain, mais c’est César ! »

En d’autres termes, il s’agissait du portrait de l'empereur romain le plus célèbre : Jules César, conquérant de la Gaule, dictateur charismatique, autocrate populiste et, pour finir, victime d’un assassinat aux ides de mars en 44 av. J.-C ; un évènement immortalisé par William Shakespeare et de nombreux autres écrivains et peintres. Il était l’une des personnalités de l’Antiquité que les générations suivantes auraient le plus souhaité rencontrer, peut-être au même titre que Cléopâtre. Découvrir ce à quoi ressemblait réellement César s’avère être toutefois un véritable casse-tête.

En quinze ans, depuis sa sortie de l’eau, cette tête a été le sujet d’expositions d’art et de programmes télévisés. Elle a même décoré un timbre.

Remonté du Rhône, ce célèbre buste est exposé au musée départemental Arles antique. Il a même figuré sur un timbre.

PHOTOGRAPHIE DE Boris Horvat, AFP/GETTY IMAGES

Actuellement, elle est fièrement exposée au musée départemental Arles antique, immortalisée dans d’innombrables photos de visiteurs émerveillés. L’histoire raconte que cette sculpture a été érigée en l’honneur de César, de son vivant, par les loyaux habitants d’Arles. Elle aurait ensuite été jetée au fleuve après son assassinat, alors qu’elle était considérée comme un bien trop sensible au vu du nouveau climat politique. Dès que César a commencé à être mentionné au passé, plus personne n’a souhaité de statue de lui. C’est donc seulement deux millénaires plus tard qu’elle a été miraculeusement sauvée de sa tombe sous-marine.

Jusque là, tout va bien. Toutefois, une question demeure. Comment pouvons-nous savoir qu’il s’agit bien de Jules César ? Aucun nom n’est rattaché à cette tête. Pourquoi pensons-nous donc qu’il s’agit de lui ? Il existe environ quatre-vingts têtes découvertes en Europe et aux États-Unis ayant été déclarées comme le réel portrait de César. Comment décider lesquelles le sont vraiment ? Les auteurs de l’époque relevaient que, pour manifester son pouvoir, César inondait le monde romain de son image. Seulement, comment peut-on reconnaître sa réelle image parmi les autres centaines de milliers de potentiels portraits romains qui ont subsisté, alignés sur les étagères de nos musées ?

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    Avant la mort de César en 44 av. J.-C., plusieurs pièces en argent ont été frappées. Il s’agit de la seule preuve tangible de ce à quoi il ressemblait.

    PHOTOGRAPHIE DE ASHMOLEAN MUSEUM/HERITAGE IMAGES/GETTY IMAGES

    Cette énigme tourmente les archéologues depuis des siècles. Elle est d’autant plus difficile à résoudre qu’aucun des potentiels portraits ne porte de nom. En règle générale, lorsqu’un portrait de marbre porte une inscription indiquant le nom de Jules César, il s’agit d’un faux. La seule preuve tangible permettant de vérifier l’apparence de César sont des pièces en argent frappées juste avant son assassinat. Elles dépeignent un visage caractériel et décharné, un cou ridé, une pomme d’Adam proéminente et une couronne de laurier. Selon l'une des biographies qui lui ont été consacrées, rédigée près d’un siècle et demi après sa mort, César prêtait attention à la disposition des lauriers afin de dissimuler sa calvitie, dont il avait honte. Le problème pour les archéologues, c’est qu’ils essaient de faire concorder les bustes en trois dimensions avec ces minuscules représentations, gravées sur ces pièces.

    Certains archéologues ont supposé que cette tête en pierre verte sculptée, originaire d’Égypte, avait été commandée par Cléopâtre, l’amante de César.

    PHOTOGRAPHIE DE DEAGOSTINI, GETTY IMAGES

    L’éventail des potentielles représentations de César est bien plus diversifié qu’on ne le croit. L’une d’entre elles est un « César vert » particulièrement séduisant, originaire d’Égypte. Après avoir transité par les mains de la famille royale de Prusse, il est aujourd’hui exposé à Berlin. Il a été taillé et poli dans une pierre verte. Il est si impressionnant que certains historiens, un peu trop optimistes, ont imaginé qu’il aurait pu être commandé par Cléopâtre elle-même, ayant été l’amante de César pendant une courte période. Il est tout aussi probable qu’il s’agisse du portrait d’un notable égyptien imitant le style de César, comme d’autres experts plus raisonnables l’ont suggéré.

    Une autre de ses représentations est une statue du portrait en pied de l’empereur, la favorite du dirigeant fasciste italien Benito Mussolini. Il considérait Jules César comme son ancêtre idéologique. Il aimait tant cette statue qu’il en a fait faire des répliques grandeur nature, exposées dans plusieurs lieux en Italie. Il a déplacé l’originale dans la salle du conseil de la ville de Rome, où elle se trouve encore aujourd’hui, présidant les discussions autour des règles d’urbanisme et du contrôle de la circulation. Toutefois, rares sont les historiens qui supposent aujourd’hui qu’il s’agit d’une statue de César, certainement pas sculptée de son vivant.

    Il en existe une autre, tirée du lit du fleuve Hudson à New York en 1925. Personne ne sait comment elle s’y est logée. Elle a probablement été « égarée par-dessus bord » lors d’une traversée en bateau et ne constitue sûrement pas une preuve que les Romains ont atteint le continent américain. Pourtant, pendant un temps, elle a été saluée comme le Jules César de l’Amérique. Ça n’a pas duré très longtemps. Elle a fini sa course dans un musée suédois, sous le nom du « Romain inconnu ». 

    Deux œuvres ont toutefois été les vedettes du spectacle de César. Elles ont été considérées comme la véritable représentation de l’empereur pendant une grande partie du 19e et 20e siècles. La première, achetée en 1818 à un collectionneur britannique l’ayant trouvée en Italie, se trouve aujourd’hui au British Museum. Elle y est entrée en tant que Romain inconnu mais vers les années 1840, elle a été identifiée comme la représentation de Jules César lui-même, avec certitude. Elle a donc occupé une place de choix au musée, et ce, grâce à son cou ridé, sa pomme d’Adam et ses joues creusées, traits qui semblaient correspondre aux images des pièces en argent. 

    Pendant des décennies, ce visage a fait la couverture de presque tous les livres sur César. Il a même été salué dans une prose élogieuse de ses admirateurs modernes. « Ce buste représente la personnalité la plus forte ayant jamais existé », a écrit l’un d’eux. « Il est impossible de trouver un défaut à ce portrait. » John Buchan, expert, diplomate et auteur du livre Les 39 marches, le jugeait comme « la plus noble représentation de la contenance humaine ».

    L'authenticité de ce buste a toutefois fini par être ébranlée. Après des décennies de doutes croissants, l’œuvre a été officiellement déclarée comme fausse au début des années 1960. Elle présentait des traces d’abrasion et de teinture artificielle destinées à la faire paraître des siècles plus vieille que son âge véritable. Elle devait certainement représenter Jules César, imitant le véritable portrait des pièces en argent, mais elle a été sculptée à la fin du 18e siècle. Elle a été attribuée à une exposition itinérante sur la Rome antique et apparaît de temps à autre dans les expositions consacrées aux faux célèbres.

    Ce portrait, autrefois occupant une place de choix au British Museum, a été déclaré faux dans les années 1960. Il fait désormais partie d’une exposition itinérante.

    PHOTOGRAPHIE DE The Trustees of the British Museum

    Néanmoins, un autre portait de César attendait de prendre sa place sous les feux de la rampe. Il avait été excavé près de Rome, par Lucien Bonaparte, archéologue dévoué et jeune frère de Napoléon. Lorsque les temps se sont faits durs, il a été vendu et conduit chez son nouveau propriétaire hors de Turin, où il a gardé son anonymat pendant une centaine d’années (baptisé « vieil homme inconnu »). Dans les années 1930, un archéologue italien, profitant peut-être de la passion de Mussolini pour l’empereur, l’a fermement identifié comme étant un portrait de Jules César, érigé de son vivant. Il était si précis que l’expert affirmait que la forme étrange de sa tête, qui aurait pu être considérée comme une maladresse d’un sculpteur incompétent, était en réalité la représentation de déformations congénitales du crâne de César (une clinocéphalie et une plagiocéphalie pour être précis). Il n’existait aucune autre preuve de l’état du crâne de César hormis cette sculpture. Pourtant, qu’importe s’il était question de forme circulaire ou non, le portrait excavé par Bonaparte a non seulement soulevé la même admiration que celui du British Museum, mais il a aussi donné l’illusion qu’il permettait de faire autre chose que de regarder l’homme dans les yeux : il était le témoin de sa condition médicale.

    Cependant, cette tête aussi a fini par tomber. Ce n’est pas tant parce qu'elle serait fausse ou que ce ne serait pas du tout César, mais plutôt parce que malgré cet engouement, il s’agirait d’une œuvre rudimentaire. L’hypothèse la plus probable est qu’elle serait la copie romaine postérieure d’un buste de César contemporain. Elle ne serait donc pas le produit d’une minutieuse observation et sa forme curieuse ne serait rien de plus qu’une forme curieuse.

    C’est là que la statue du Rhône fait son entrée. La ville d’Arles entretenait des relations politiques avec César, puisqu’il y avait installé certaines de ses troupes. Le cou de la sculpture possède bien les rides et la pomme d’Adam est assez proéminente, bien que sa face ne soit pas réellement décharnée comme le montrent les pièces. Elle représentera le visage de César pour quelques décennies et décorera un grand nombre de couvertures de livres. Tout compte fait, c’est peut-être lui. Je suppose tout de même que, tôt ou tard, des doutes émergeront et un buste similaire sera retrouvé et prendra sa place. 

    La véritable image de Jules César nous échappe toujours de peu. Chaque génération trouve son nouveau César.

    Mary Beard est professeure de lettres classiques à l’Université de Cambridge. Elle est l’auteure de nombreux livres sur la Rome antique, notamment le best-seller SPQR : Histoire de l’ancienne Rome. Son livre le plus récemment paru est The Twelve Caesars.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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