Découverte : il y a 6 000 ans, des envahisseurs ont été massacrés en Alsace

Au Néolithique, les sites d’Achenheim et de Bergheim ont été le théâtre de massacres collectifs. De récentes analyses scientifiques révèlent l’origine des victimes : elles venaient du Bassin parisien.

De Romane Rubion
Publication 23 sept. 2025, 16:06 CEST
La fosse funéraire 124 d’Achenheim (Bas-Rhin), mise au jour en 2016, contient les squelettes de six ...

La fosse funéraire 124 d’Achenheim (Bas-Rhin), mise au jour en 2016, contient les squelettes de six individus masculins datés du Néolithique et jetés pêle-mêle après un massacre collectif.

PHOTOGRAPHIE DE PHILIPPE LEFRANC, INRAP

En 2016, à Achenheim, dans le Bas-Rhin, près de Strasbourg, des fouilles archéologiques préventives menées par l’Inrap ont permis la mise au jour des squelettes de six hommes, dont un adolescent, entassés au fond d’un silo numéroté 124. Datées entre 4300 et 4150 av. J.-C., ces dépouilles portaient les traces d’une violence extrême : os fracturés, impacts de flèches et coups d’épieu. Quatre bras gauches arrachés, appartenant à d’autres individus, y ont également été découverts.

Cette scène de massacre collectif fait écho à une autre découverte, réalisée en 2012 à Bergheim, dans le Haut-Rhin, où une fosse de la même période contenait huit individus (quatre adultes et quatre enfants) ainsi que sept bras gauches déposés séparément.

Des analyses isotopiques, menées à partir des os, des dents et même des cheveux, combinées à des analyses génétiques sur quatre-vingt-deux individus issus de ces fosses, ont permis de reconstituer leur alimentation, leurs déplacements et leur origine géographique. Publiés fin août 2025 dans Science Advances, près de dix ans après la dernière découverte, ces résultats révèlent l’identité des camps opposés dans ce conflit territorial vieux de 6 200 ans. Les victimes mutilées apparaissent comme des prisonniers de guerre appartenant à un même groupe venu du Bassin parisien, sans doute capturés lors d’une invasion, tandis que les individus inhumés sans mutilations seraient des habitants locaux morts en défendant leur territoire.

 

UNE « CÉLÉBRATION DE VICTOIRE »

Comme le rappelle Fanny Chenal, archéo-anthropologue à l’Inrap, l’hypothèse d’une « célébration de victoire » à Achenheim ne découle pas des analyses isotopiques présentées dans cette étude, mais des recherches menées depuis près de dix ans par les archéologues, notamment Philippe Lefranc, auteur de la découverte du site. Selon lui, « des guerriers auraient été faits prisonniers sur le champ de bataille, puis ramenés au village avant d’être mis à mort selon des pratiques particulièrement violentes [et] jetés dans une grande fosse de plan circulaire », souligne-t-elle. « Le contexte de la découverte vient renforcer cette hypothèse puisque la fosse en question se trouve au centre d’un village protégé par une imposante enceinte défensive, au milieu de ce qui pourrait correspondre à une petite place, vierge de toute autre structure archéologique ».

Bertrand Perrin, néolithicien chez Antea Archéologie et auteur de la découverte de Bergheim, revient pour National Geographic sur la mise au jour des deux fosses alsaciennes. « Dans les deux cas, nous avons très vite compris que nous étions en présence de dépôts exceptionnels, ne serait-ce que parce que le nombre d’individus mis au jour dans chacune de ces deux fosses était très important », explique le spécialiste.

Humérus humain découvert à Bergheim (Haut-Rhin) présentant de profondes traces de coups, témoignant de la violence ...

Humérus humain découvert à Bergheim (Haut-Rhin) présentant de profondes traces de coups, témoignant de la violence extrême exercée sur les victimes du massacre néolithique.

PHOTOGRAPHIE DE FANNY CHENAL, INRAP

Dès les premières observations, les archéologues ont identifié sur les ossements des traces très nettes de violence. « Elles sont particulièrement flagrantes sur le site d’Achenheim où les six individus adultes masculins retrouvés présentent des squelettes polyfracturés, à tel point que, pour chacun d’entre eux, la quasi-totalité des os du squelette est impactée, à commencer par les crânes, réduits en miettes », souligne Fanny Chenal. « On a aussi identifié des traces de perforations sur les os du bassin qui montrent que l’abdomen des victimes a été perforé, de face et à plusieurs reprises, à l’aide d’objets appointés et circulaires dont la nature nous échappe aujourd’hui », poursuit-elle.

Selon Bertrand Perrin, ces premières observations ont aussitôt orienté les archéologues vers « un scénario de sur-violence », ensuite confirmé en laboratoire. Fanny Chenal explique que « la sur-violence, ou overkill en anglais, pourrait se définir comme le fait d’utiliser plus de violence qu’il n’en faut pour donner la mort ». Connue à travers de nombreux exemples ethnologiques, notamment chez les Amérindiens, « l’overkillque l’on identifie principalement en contexte de guerre, traduit donc un véritable acharnement vis-à-vis des victimes allant jusqu’à une forme d’outrage au cadavre », précise la spécialiste.

« Outre la mise en évidence de sur-violence, la particularité de ces deux découvertes est la présence, parmi les individus mis à morts, de membres supérieurs, tous gauches, amputés et jetés dans la structure sans le reste du corps », poursuit l’archéologue. Ces restes sont interprétés, sans grand doute, comme des « trophées de guerre », comparables au prélèvement de scalps chez les Indiens d’Amérique ou encore à l’amputation de membres entiers pratiquée par les Indiens Timucuas de Floride. « La prise de trophées sur les victimes lors d’une bataille permet aux vainqueurs de prouver leur victoire au reste de leur communauté ».

Dans le cadre de l’étude publiée dans Science Advances, « les analyses génétiques nous permettent d’étudier les liens de parenté entre tous les individus découverts alors que les analyses isotopiques vont nous apporter des informations sur la mobilité des populations du passé ainsi que sur leur alimentation », explique Fanny Chenal. Si aucun lien de parenté n’a été mis en évidence à Achenheim, les chercheurs ont en revanche pu établir des relations familiales à Bergheim. Les analyses isotopiques ont également révélé une forte mobilité durant l’enfance de certains individus, originaires du Bassin parisien. « Les adultes découverts ont donc probablement rejoint l’Alsace durant leur enfance, accompagnés de leurs parents. Ils présentent aussi tous des âges de sevrage communs, ce qui peut suggérer qu’ils appartenaient à un même groupe, une même communauté », conclut la spécialiste.

Bien qu’ayant subi une défaite, ces envahisseurs finiront par s’implanter durablement en Alsace. Les vestiges archéologiques montrent en effet que la culture Bruebach-Oberbergen a été progressivement supplantée par celle venue du Bassin parisien. Cet épisode illustre l’une des nombreuses vagues d’invasions qui ont marqué cette région carrefour de l’Europe.

 

LE NÉOLITHIQUE, ENTRE MIGRATIONS ET TENSIONS ?

« Depuis quelques années et même avant le développement des analyses ADN, nous avions repéré qu’au cours du Néolithique et dans toute l’Europe, il y avait eu des mouvements de populations importants », souligne Bertrand Perrin. Les migrations venues du Bassin parisien, vers 4300 av. J.-C., avaient d’abord été mises en évidence grâce à l’étude de la vaisselle en céramique, notamment de ses décors. « Nous ne savions toutefois pas comment ces nouveaux arrivants et les populations autochtones avaient cohabité. Les découvertes de Bergheim et d’Achenheim nous montrent désormais que des conflits très violents ont eu lieu à cette période », poursuit-il. Cette instabilité et ces fortes tensions se traduisent également par l’apparition des premiers habitats fortifiés, dotés d’enceintes défensives.

« Plusieurs autres massacres collectifs avaient déjà été découverts en Europe », à d’autres phases du Néolithique, note Bertrand Perrin. Par exemple, à Talheim, dans le Bade-Wurtemberg (Allemagne), les archéologues avaient découvert trente-quatre squelettes, dont plus de la moitié mutilés, preuve d’un massacre ayant entraîné l’anéantissement d’une communauté. Autre cas marquant : sur le site d’Herxheim, en Rhénanie-Palatinat, près de 500 individus avaient été tués avant d’être consommés. Mais pour le néolithicien, Achenheim et Bergheim se distinguent tant « par leur composition, leur lieu de découvertes, que par l’acharnement constaté sur les ossements des squelettes et par la présence de bras gauches amputés ».

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    Contrairement à une idée répandue, le Néolithique n’était pas seulement un âge d’harmonie marqué par la sédentarisation et l’essor de l’agriculture. « Cette image d’un Néolithique pacifique où les populations vivaient en harmonie entre elles et avec la nature a été complètement revue ces dernières années », explique Bertrand Perrin. Sur les trois millénaires que couvre cette période, « il y a eu des conflits, il y a même eu certainement des événements qui peuvent être qualifiés de guerres, mais on constate également à travers les découvertes archéologiques des moments plus calmes qui ont permis, entre autres, la mise en place de circulation et d’échanges entre communautés à travers toute l’Europe », conclut-il.

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