Les histoires de fantômes de la Rome antique, entre terreur et absurde

Plusieurs textes qui nous sont parvenus de la Rome antique parlent de fantômes. Que révèlent ces histoires sur ceux qui les racontaient ?

De Becky Little
Publication 31 oct. 2025, 16:08 CET
La déesse Rome apparait à Jules César sur les berges du Rubicon. Les manifestations de spectres ...

La déesse Rome apparait à Jules César sur les berges du Rubicon. Les manifestations de spectres comme la déesse comptent parmi les histoires surnaturelles les plus courantes de la Rome antique.

PHOTOGRAPHIE DE Richard Westall, Berger Collection Educational Trust, Bridgeman Images

Est-ce que vous croyez aux fantômes ? C’est la question que le grand avocat romain et homme d’État, Pline le Jeune, a posée à l’un de ses amis dans une lettre qu’il écrit autour de 100 apr. J.‑C.

« J’aimerais beaucoup savoir si vous pensez que les fantômes existent ou non », écrit Pline. « S’ils possèdent leur forme propre et une existence divine, ou s’ils sont des images irréalistes tout droit issues de nos propres peurs. »

Pline écrivait à son ami Sura, un sénateur romain. Afin de nourrir ses réflexions, Pline lui raconta trois histoires effrayantes qu’il avait entendues. La première était celle d’un homme à qui une apparition prédisait un succès politique… et la mort. La deuxième parlait d’une maison et de l’esprit frappeur qui la hantait. La troisième contait les incidents qui se seraient produits dans la maison de Pline lui-même, mais nous y reviendrons plus tard.

Les histoires de fantômes apparaissent dans de nombreux textes de la Rome antique. Cependant, à l’inverse des thrillers d’aujourd’hui, elles ne font que quelques phrases. Par exemple, dans le récit de la vie d’un général athénien que fait l’historien romain Plutarque, il mentionne brièvement des thermes grecs, devenus hantés après qu’un meurtre y fut commis.

« Comme nos pères nous l’ont dit, longtemps après [le meurtre], des apparitions continuaient d’être aperçues, et des grognements résonnaient dans ce lieu. On donna l'ordre de bâtir des portes aux bains », écrit Plutarque. « [E]t aujourd’hui encore, les habitants du quartier pensent parfois voir des spectres et entendre d’étranges bruits. »

Mais que pensaient les anciens Romains des fantômes ?

 

DES MAISONS HANTÉES

La lettre de Pline contient « cette fantastique histoire d’une maison hantée par des fantômes [qui] revient tout au long de l’Antiquité », explique Daniel Ogden, professeur d’Histoire antique à l’université d’Exeter et auteur de Magic, Witchcraft and Ghosts in the Greek and Roman Worlds.

Dans sa lettre à Sura, Pline raconte avoir entendu une histoire à propos d’une maison athénienne hantée par un spectre enchainé dont les liens s’entrechoquaient, produisant un bruit effrayant. La maison avait été abandonnée jusqu’à ce que, un jour, un philosophe avait décidé d’y élire résidence.
En écrivant la nuit, à la lumière d’une lampe, le philosophe entendait le raclement des chaînes du fantôme se rapprocher, jusqu’à ce que l’esprit se trouve dans la pièce avec lui.
Daniel Ogden considère que l’histoire de la maison hantée de la lettre de Pline fait partie d’une tradition folklorique qui remonte à la Grèce antique et qui a persisté après la chute de l’Empire romain d’Occident en 476 apr. J.‑C. Les histoires de maisons hantées qui respectent cette tradition comportaient des thèmes récurrents, comme la figure du héros. (Dans les histoires païennes, comme celle de Pline, le héros est un philosophe. Dans une version chrétienne du 5e siècle, le héros est un évêque.)

La plus ancienne histoire de maison hantée de Rome est Mostellaria, ou Le Revenant, une comédie que le dramaturge Plaute écrit vers 200 av. J.‑C. La pièce semble s'inspirer d’une comédie grecque perdue appelée Phasma. Elle daterait de la fin du 4e siècle ou du début du 3e siècle av. J.‑C., suggérant que la tradition des maisons hantées remonte à cette date.

Dans Mostellaria, un esclave tente de convaincre son maitre superstitieux, à peine revenu d’un long voyage, qu’il ne devrait pas entrer chez lui parce que sa maison est hantée. En réalité, il ment afin de couvrir les actes du fils de son maitre, qui organisait des fêtes dans la demeure en l’absence de son père.

 

DES ENTERREMENTS INAPPROPRIÉS

Bien que l’histoire de l’esclave à propos d’un fantôme contienne des contradictions comiques, elle souligne un autre thème récurrent des histoires de fantômes de la Rome antique : des enterrements inappropriés.

« Bien enterrer les défunts était d’une extrême importance », explique Debbie Felton, professeure de lettres classiques de l’université Amherst, dans le Massachusetts, et autrice de Haunted Greece and Rome: Ghost Stories from Classical Antiquity. Dans les histoires de fantômes de la Rome antique, « ne pas être enterré ou l’être de la mauvaise façon était ce qui causait le plus souvent la présence d’un fantôme ».

L’histoire de la maison hantée de Pline implique également un enterrement inapproprié. Au lieu de prendre ses jambes à son cou, le philosophe se laissa guider par le fantôme vers un lieu, à l’extérieur de la maison, où le spectre disparut. Au matin, le philosophe demande aux magistrats locaux de creuser à cet endroit. Ils y découvrent des restes humains enchainés. Après avoir offert au corps un enterrement digne de ce nom, le fantôme a cessé de tourmenter les vivants.

 

DES INTERVENTIONS PRESQUE DIVINES

Même si les Romains n’étaient pas tous hantés par des fantômes, les histoires de la Rome antique suggéraient qu’enterrer correctement tout corps que l’on trouvait n’était jamais une mauvaise idée. Leur fantôme pouvait nous venir en aide à l’avenir. Vers 44 av. J.-C., l’orateur et homme d’État romain, Cicéron, fait le récit d’une telle histoire de fantôme dans le genre folklorique du « mort généreux ».

Dans le dialogue de Cicéron, De Divinatione, De la divination, un poète du nom de Simonide découvre le cadavre d’un homme et lui offre les honneurs dus aux défunts. Après cela, le fantôme du mort récompense Simonide en l’avertissant de ne pas entreprendre un voyage, car le bateau risquerait de couler. Il suit les conseils du fantôme et évite la mort, du moins la sienne. (« Dommage que Simonide n’ait pas averti les autres passagers », remarque Debbie Felton dans son ouvrage.)

Tous les spectres n’étaient pas les fantômes des défunts. Des traces écrites d’anciens Romains qui confiaient avoir assisté à de grandes manifestations semi-divines ont survécu aux aléas du temps. L’historien romain Suétone écrivait que Jules César avait vécu une telle apparition avant de franchir le Rubicon au début de sa guerre civile. Et dans la lettre de Pline adressée à Sura, Pline commence par l’histoire d’une apparition qui prédisait avec succès l’ascension politique d’un homme.

Ces deux histoires considèrent que le succès de ceux qui assistent à ces manifestations est le produit du destin, faisant d’elles plus des outils de propagande et moins des histoires d’épouvante.

 

QUE PENSAIENT RÉELLEMENT LES ROMAINS ?

Tout comme nous aujourd’hui, les croyances des anciens Romains étaient variées quand il était question de la vie après la mort ou du retour du fantôme d’un défunt, ou d’un autre esprit, dans le monde des vivants.

Cependant, les experts remarquent que, sur les trois écrits qui nous sont parvenus sur les maisons hantées, deux sont des comédies ou des satires. En se moquant des histoires de maisons hantées, ces écrits partent du postulat que leur audience est familière avec un tel concept, probablement par le biais d’un récit oral. De plus, leur ton laisse penser que tous ne croyaient pas en de tels récits.

Par exemple, la dernière grande histoire romaine de maison hantée apparait dans un dialogue de Lucien, un satiriste du 2e siècle de la province romaine de Syrie. Dans une partie de son dialogue, Philopseudès ou L’ami du mensonge, un philosophe confie à un de ses adeptes être allé dans une maison hantée de Corinthe. Tout comme le héros de Pline, le philosophe de Lucien dit avoir mis fin aux agissements du fantôme en trouvant son corps et en organisant des funérailles. Cependant, l’adepte, sceptique, ne le croit pas. Il pourrait s’agir là d’un message à l’attention des lecteurs : remettre en question les histoires de fantômes qu’eux aussi ont entendues.

Et que croyait Pline ? On pourrait chercher des indices dans la dernière « histoire de fantômes » de sa lettre, celle qui s’est produite chez lui. Pline écrivait que deux personnes de sa résidence, un garçon esclave et le frère d’un servant, s’étaient réveillés des jours différents et avaient découvert qu’on leur avait coupé les cheveux dans leur sommeil. Les cheveux coupés étaient toujours à côté d’eux, et tous deux affirmaient avoir aperçu des silhouettes mystérieuses la nuit.

Pline termine sa lettre à son ami Sura en l’encourageant à lui fournir une réponse directe pour lui dire s’il pensait que les fantômes existaient ou non, « afin de ne pas me laisser dans le doute et l’incertitude, car le but de ma demande est d’y mettre fin ». Nous ne connaitrons jamais la vérité sur les événements survenus dans la demeure de Pline ni la réponse de Sura, mais Debbie Felton a une théorie.

« Je pense que quelqu’un faisait une farce à Pline, dit-elle, et qu’il ne parvenait pas à la comprendre. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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