Le jardin d’Éden a-t-il vraiment existé ? Des archéologues ont mené l'enquête
Les archéologues bibliques mobilisent les textes anciens et les technologies modernes pour tenter de dévoiler des indices sur l’un des plus grands mystères du christianisme.

Peinture à l’huile de 1828 intitulée Le Jardin d’Éden, par Thomas Cole. Cole faisait partie de la Hudson River School, un mouvement artistique américain du milieu du 19ᵉ siècle. Les peintres paysagistes de cette école furent fortement influencés par le romantisme.
Lorsque Dieu bannit Adam et Ève du jardin d’Éden, la Bible rapporte qu’il plaça à l’entrée des chérubins qui agitent une épée flamboyante, destinée selon les exégètes à empêcher leur retour dans ce paradis terrestre. Mais cette expulsion explicite de l’humanité n’a pas empêché archéologues, théologiens et voyageurs de tenter d’en retrouver l’accès.
La Bible fournit une description géographique saisissante de l’Éden, donnant ainsi aux chercheurs un point de départ. On apprend d’abord que l’Éden se trouvait « à l’orient » et qu’« au milieu du jardin » se dressaient l’arbre de vie et l’arbre de la connaissance du bien et du mal, ce dernier portant le fruit défendu qu’Ève accepta de goûter malgré l’interdiction divine, entraînant leur bannissement (Genèse 2:9 ; Genèse 3:3).
Le passage de la Genèse 2:10-14 précise encore la localisation de ce merveilleux jardin : « un fleuve sortait d’Éden pour arroser le jardin, et de là il se divisait en quatre bras », parmi lesquels le Tigre et l’Euphrate, situés en Asie du Sud-Ouest, ainsi que le Pishon et le Gihon, dont les chercheurs n’ont pas encore identifié l’emplacement.
Ce degré de précision est inhabituel dans la Bible et conférait une aura d’authenticité au récit, donnant aux premiers lecteurs l’assurance que l’Éden était bel et bien un lieu réel.
« Les chercheurs ont depuis longtemps exercé leur imagination pour déterminer si les auteurs de la Genèse avaient en tête un lieu réel, même de manière générale, ou quel paysage aurait pu inspirer ce récit », explique Joel Baden, professeur de théologie et d’études religieuses à l’université Yale.
Les spécialistes modernes doutent de l’existence historique du jardin d’Éden, y voyant plutôt un mythe destiné à expliquer le monde tel qu’il est aujourd’hui. Pourtant, certains archéologues poursuivent encore la quête du décor réel qui aurait nourri l’un des récits les plus célèbres de la Bible.

Carte de 1690 illustrée par Joseph Moxon et intitulée Paradis ou le Jardin d’Éden. Sur cette carte, le jardin d’Éden est situé à droite, dans le pays d’Assyrie. Les archéologues émettent l’hypothèse que la véritable localisation de l’Éden se trouve en Mésopotamie, près des fleuves Tigre et Euphrate.
Certains marqueurs géographiques de l’Éden peuvent encore être repérés aujourd’hui. Le système fluvial Tigre–Euphrate se trace facilement sur une carte et a joué un rôle central dans le développement de la société mésopotamienne antique. Le Tigre prend sa source dans les montagnes du Taurus, à l’est de la Turquie, puis descend le long de la frontière turco-syrienne avant de traverser l’Irak. Dans le sud du pays, il rejoint l’Euphrate et les deux cours d’eau réunis se jettent dans le golfe Persique.
Le Pishon et le Gihon sont plus difficiles à localiser. La Genèse précise que le Pishon « entoure tout le pays de Havila, où il y a de l’or », tandis que le Gihon « entoure le pays de Koush ». Les chercheurs identifient Havila à l’Arabie du Sud, région réputée pour ses métaux précieux. L’emplacement de Koush est plus ambigu, « car le nom est utilisé dans la Bible pour deux régions distinctes : l’une en Mésopotamie, l’autre en Afrique, autour de la Nubie », explique Joel Baden.
La tradition éthiopienne associe le Gihon au Nil Bleu, sur la base de la référence au « pays de Koush » (habituellement identifié au Soudan et à l’Éthiopie). Cependant, cette hypothèse ne correspond pas à la géographie décrite dans la Genèse. L’idée selon laquelle le Pishon et le Gihon seraient le Nil et le Gange est également rejetée : « ces fleuves n’ont jamais porté ces noms et la géographie ne correspond pas », souligne Baden. Le Gange se trouve à environ 3 800 kilomètres de là, et ni le Nil ni le Gange ne sont reliés au Tigre et à l’Euphrate, contrairement à ce qu’indique la Genèse.
Certains chercheurs estiment que le Pishon et le Gihon étaient des rivières saisonnières ou disparues, dont il ne subsisterait que des lits asséchés. Dans un article publié dans Biblical Archaeology, l’archéologue James Sauer a avancé que le Pishon pourrait correspondre au Wadi al-Batin, un lit fluvial intermittent reliant l’ouest de l’Arabie saoudite au Koweït.
L’ÉDEN ÉTAIT-IL EN MÉSOPOTAMIE ?
Si la plupart des archéologues rejettent l’existence historique d’Adam et Ève, un courant dominant parmi les spécialistes considère que les auteurs de la Genèse se sont inspirés des propriétés fertiles uniques des marais du sud de l’Irak. Le récit du jardin d’Éden serait donc un mythe, mais nourri par la richesse de la culture mésopotamienne ancienne, ce qui fait de cette région la candidate la plus sérieuse pour localiser l’Éden.
La Mésopotamie était célèbre pour les familles prospères qu'elle abritait, et pour ses jardins royaux idylliques, riches en plantes et en arbres, qui ont pu inspirer la description biblique.
Le Tigre et l’Euphrate viennent étayer cette hypothèse : leurs crues alimentaient une vaste plaine inondable, connue sous le nom de Croissant fertile. Cette région couvrait l’Irak actuel, mais aussi des parties de la Turquie, de la Syrie, du Liban, de la Palestine, d’Israël et, selon certains, de l’Égypte. Lors des saisons pluvieuses, les rivières inondaient les vallées et transformaient des sols arides en terres cultivables.
Grâce à son climat relativement stable et à ses ressources hydriques fiables, le Croissant fertile a permis l’essor de l’agriculture, des cités et des premières structures politiques. Cette région est ainsi connue comme le « berceau de la civilisation », expression forgée au 19ᵉ siècle par l’égyptologue James Henry Breasted, qui soutenait que la civilisation humaine y avait pris naissance, en opposition à l’opinion dominante de l’époque qui privilégiait la Grèce et Rome.
L’ÉDEN A-T-IL DISPARU SOUS L'EAU ?
Dans les années 1980, l’archéologue d’origine allemande Juris Zarins a avancé l'hypothèse que le jardin d’Éden puisse reposer aujourd’hui sous le golfe Persique. Selon lui, le Gihon correspondrait au fleuve Karoun, en Iran, et le Pishon au système du Wadi al-Batin. Zarins a adopté une nouvelle approche en analysant des images satellites de la NASA, révélant les lits asséchés de deux grands fleuves qui coulaient jadis de l’Arabie centrale et méridionale vers le sud-ouest du golfe Persique.
Le changement climatique et l’élévation du niveau de la mer jouent un rôle clé dans cette hypothèse. À la fin de la dernière glaciation, la mer Rouge était en grande partie asséchée, ce qui étendait la région identifiée au pays de Koush jusqu’à l’extrémité sud-ouest de la péninsule Arabique. À l’époque de la rédaction de la Genèse, la fonte des neiges et des glaces de montagne aurait fait de ces cours d’eau des fleuves majeurs.
Cependant, aucune fouille sous-marine n’est venue confirmer la théorie de Juris Zarins, qui reste controversée parmi les archéologues et les spécialistes de la Bible. Dans ses travaux sur l’Éden, l’archéologue biblique Joel Klenck estime que « la théorie de Zarins contredit la Bible » : alors que Juris Zarins suppose que les quatre fleuves se jetaient dans l’Éden, la Genèse précise clairement que tous « sortaient » de l’Éden.
Ces débats reposent toutefois sur une hypothèse : celle que le jardin d’Éden fut un lieu réel, localisable sur une carte ou exhumable par l’archéologie.
L’ÉDEN ÉTAIT-IL UN LIEU RÉEL ?
Alors que certains archéologues continuent de rechercher la localisation du jardin d’Éden, nombre de spécialistes doutent qu’il ait jamais existé.
Pour Francesca Stavrakopoulou, professeure à l’université d’Exeter, le jardin d’Éden était un espace symbolique, inspiré des jardins royaux antiques, et conceptuellement situé à Jérusalem même. De son côté, Mark Leutcher, professeur de judaïsme ancien et de Bible hébraïque à l’université Temple, explique que pour les auteurs et lecteurs antiques, l’Éden ne représentait pas un lieu unique. Le jardin symbolisait en réalité l’ensemble du monde ouest-asiatique.
« Il incarne des idées précieuses pour les sociétés humaines, mais les transmet à travers un langage symbolique et métaphorique », précise Leutcher. « Autrement dit, le jardin d’Éden représente tout l’univers culturel allant des côtes de la Méditerranée jusqu’aux frontières orientales des empires assyrien et babylonien. »
Ancré dans les paysages du Proche-Orient ancien, le jardin d’Éden reste nimbé de mystère. Mais, des millénaires plus tard, la foi en son existence perdure, surpassant et éclipsant les preuves qu’il n’ait jamais existé.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
