La Carta Marina, la légendaire carte des mers et des monstres marins du 16e siècle

À une époque où le taux de mortalité atteignait les 50 % chez les voyageurs maritimes partant pour de grands voyages, des légendes et des traditions ont mené les cartographes à imaginer que des dangers extraordinaires se cachaient dans les fonds marins.

De Emilie Lucchesi
Publication 4 janv. 2024, 11:54 CET
La « Carta Marina » originale mesurait deux mètres carrés. Contrairement à d'autres cartes de l'époque, les créatures ...

La « Carta Marina » originale mesurait deux mètres carrés. Contrairement à d'autres cartes de l'époque, les créatures marines dessinées par le cartographe Olaus Magnus n'étaient pas destinées à remplir l'espace, mais servaient d'avertissement.

Carte de Olaus Magnus

Un serpent géant à tête de dragon s'enroule autour d'un navire sans défense au large de la Norvège, un monstre gigantesque serre un phoque dans son bec pointu non loin des îles Féroé, et un homard démesurément grand saisit dans ses pinces un homme qui tente de se débattre sur les côtes écossaises.

Ces images figurent sur la Carta Marina, une carte datant de la fin des années 1530 qui a fait figure d’autorité auprès des cartographes, des auteurs et des chercheurs qui étudiaient les mers européennes. Cette carte a dominé les cinq décennies suivantes, mais il a fallu un siècle de plus pour que les experts reconnaissent que certaines représentations n'étaient pas réalistes, et attendre le début du 18e siècle pour que de nouvelles cartes excluent certains monstres.

« Beaucoup d'images semblent fantastiques. On pourrait facilement imaginer le cartographe les inventer sur place », explique Chet Van Duzer, historien cartographe et auteur de Sea Monsters on Medieval and Renaissance Maps (Monstres marins des cartes médiévales et de la Renaissance).

La « Carta Marina » a été créée par Olaus Magnus, un archevêque suédois. Il a imaginé l'apparence de certains de ces monstres marins, dont la plupart ressemblent à des cétacés modernes. Cependant, Van Duzer affirme qu’un grand nombre d'entre eux ont été copiés d'encyclopédies illustrées, dont certaines étaient basées sur des descriptions remontant à l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien, datant du premier siècle. 

La carte de Magnus est l'une des premières représentations géographiques de l'Europe, réalisée à une époque où les sciences et les découvertes intriguaient, malgré des croyances fantastiques sur le monde naturel encore très présentes. Les humains croyaient en des bêtes qu'ils n'avaient jamais vues, comme les dragons et les serpents de mer. Van Duzer explique que l'autorité de Magnus, combinée au respect des écrits, rendait réaliste aux yeux de ceux qui la voyaient même la représentation la plus folle d'une baleine.

 

LA CRÉATION D’UNE CARTE

L’œuvre de Magnus était une immense carte, dont l'originale mesurait deux mètres carrés et sur laquelle était peinte une illustration écrasée mais détaillée de l'Europe du Nord. Celle-ci comprenait ce qui est aujourd'hui le Danemark, l'Estonie, la Finlande, l'Islande, la Lettonie, la Lituanie, la Norvège, la Suède et les parties les plus septentrionales des îles britanniques.

Magnus naquit en Suède en 1490 dans un milieu privilégié et suivit des études universitaires en Allemagne. La Réforme l'obligea à s'installer en Italie, où il créa la Carta Marina. Nommé archevêque en exil, il travailla sur sa carte pendant douze ans, jusqu'à ce qu'elle soit imprimée en 1539.

La carte n'était pas totalement à l’opposé de sa carrière et de son éducation. Certains des monstres représentés par Magnus proviennent de l'Ancien Testament, comme le léviathan, que l'on retrouve dans les Psaumes, le livre de Job et le livre d'Isaïe. Dans son livre The Underworld : Journeys to the Depths of the Oceans, Susan Casey écrit que cette carte a été conçue à travers le prisme des enseignements de l'Église.

Elle ajoute que l’œuvre de Magnus a vu le jour au moment opportun. L'Europe était entrée dans l'ère des découvertes et l'expansion des matériaux imprimés a permis de faire connaître des idées fantastiques à un public particulièrement curieux. Un siècle s'était écoulé depuis l'invention de l'imprimerie, mais encore peu d'Européens savaient lire. Or la carte de Magnus ne nécessitait pas d’avoir cette capacité et mettait des images sur des monstres que les gens connaissaient par la Bible ou les légendes orales.

Il est possible que ces serpents de mer soient en réalité des calmars géants ou des pinnipèdes, comme les phoques ou les otaries. D'autres affirment qu'il s'agissait de requins, de baleines ou de regalecidés.

Carte de Olaus Magnus

Dans la Carta Marina, les monstres marins n'ont pas un but décoratif comme c'était le cas dans d'autres cartes de la Renaissance. Dans certains cas, Van Duzer explique qu'ils servaient à avertir de la présence de monstres redoutables dans des eaux dangereuses. Dans l'ensemble, ils étaient le reflet d’inquiétudes plus importantes concernant les dangers rencontrés pendant les voyages maritimes à l'époque. 

Ces inquiétudes n'étaient pas infondées. Stephen R. Brown écrit ainsi que le taux de mortalité lié au scorbut lors des voyages au long cours du 16e siècle s’élevait à 50 %. Les accidents, les noyades et les maladies infectieuses faisaient que de nombreuses personnes parties en mer y mouraient. L'océan était un endroit dangereux et la carte de Magnus reflétait à la fois la peur de l'inconnu et le désir de l'apprivoiser.

 

LE SERPENT DE MER

Non loin des côtes norvégiennes, Magnus a dessiné un serpent de mer rouge vif attaquant un navire qui tangue comme s'il était en train de couler.

Ce serpent s'inspire en partie de la tradition et notamment des références bibliques à une créature marine ressemblant à un serpent. Il est également inspiré des descriptions que Magnus a recueillies auprès de marins qui disaient avoir vu un monstre immense près des côtes norvégiennes. Ils affirmaient que ce serpent mesurait soixante mètres de long, environ la taille de cinq autobus de ville, et six mètres d'épaisseur, soit la hauteur d'un tunnel de métro.

Les scientifiques du 16e siècle ont tenté d'identifier ce que cette créature aurait pu être dans la réalité, explique Joseph Nigg, auteur de Sea Monsters : The Lore and Legacy of Olaus Magnus's Marine Map. Il est possible qu’ils aient été des calmars géants ou des pinnipèdes, comme les phoques ou les otaries. D'autres affirment qu’il s’agissait de requins, de baleines ou de regalecidés.

En 1555, Magnus écrit dans son Histoire des peuples du Nord que ce serpent peut sortir la tête de l’eau à côté d'un navire et arracher un marin innocent du pont. Il raconte également qu’il peut se glisser sur la terre ferme pour dévorer le bétail ou se glisser dans l'eau et s’attaquer à la vie marine.

D'autres historiens et cartographes ont reproduit cette créature dans leurs travaux jusque dans les années 1700.

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    La « Carta Marina » originale mesurait deux mètres carrés. Contrairement à d'autres cartes de l'époque, les créatures marines dessinées par le cartographe Olaus Magnus n'étaient pas destinées à remplir l'espace, mais servaient d'avertissement.

    Carte de Olaus Magnus

     

    LE PISTRIX

    Les monstres marins de la « Carta Marina » étaient universellement célèbres pour leur cruauté et leur détermination à faire du mal à tous les humains qu'ils rencontraient. Les pistrix étaient particulièrement dangereux et agressifs. Dans son ouvrage datant de 1555, Magnus écrit qu'ils mesuraient soixante mètres de long, avec une queue large en forme de fourche, des pieds semblables à des nageoires, et un visage ressemblant à ceux des phacochères et dont le sommet était percé de deux évents.

    Selon Van Duzer, ces animaux et la plupart des autres créatures marines qui figurent dans la « Carta Marina » sont inspirés de descriptions de baleines. Les baleines étaient bien connues des humains, mais ils ne les voyaient qu'à la surface de l'océan. La carte représente également une baleine échouée dont la viande et les os ont été récupérés par les Hommes.

    Magnus disait que les pistrix pouvaient frapper un navire avec leur queue ou le couler simplement en se jetant sur le pont.

    Magnus a inclus dans la Carta Marina des conseils pour se protéger de ces créatures, explique Van Duzer. Près de la côte islandaise, deux cachalots foncent sur un navire. « À l'arrière du navire, un homme se tient debout. On pourrait penser qu'il tient un fusil, mais il s'agit en réalité d'une trompette », explique-t-il. « Magnus a écrit que l'un des seuls moyens de faire fuir un monstre marin était de souffler dans une trompette. »

    D'autres cartographes disaient de même et Nigg affirme que pendant des décennies, leurs cartes reprenaient le pistrix de Magnus. 

    En 1555, Magnus a décrit dans son livre des créatures appelées pistrix, mesurant soixante mètres de long, avec une queue large en forme de fourche et des pieds semblables à des nageoires, dont les visages ressemblaient à ceux des phacochères et dont le sommet de le la tête était percé de deux évents.

    Carte de Olaus Magnus

     

    LA BALEINE GÉANTE

    Selon la « Carta Marina », les eaux entre la Norvège et l'Islande étaient extrêmement dangereuses. Au large des côtes norvégiennes, Magnus représente le traître Moskstraumen, un véritable courant qui existe encore aujourd'hui. Entre les serpents et les cachalots, Magnus a dessiné la baleine géante, une bête impitoyable et trompeuse.

    La baleine géante est issue d'une légende millénaire qui remonte à la lettre d'Alexandre le Grand à Aristote vers l'an 300. L'histoire ancienne raconte que deux marins s'étaient arrêtés sur ce qu'ils croyaient être une île. Une fois arrivés, ils établirent un campement et allumèrent un feu. Leurs ennuis commencèrent alors.

    « Il s'est avéré qu’ils n’étaient pas sur une île, mais sur une baleine. La baleine a senti le feu et a plongé dans les profondeurs de l'océan, emportant les hommes avec elle », explique Van Duzer.

    Sur la « Carta Marina », la baleine géante peut faire penser à un croisement entre un stégosaure et un rhinocéros, mais il s'agissait probablement d'un type de baleine que nous connaissons aujourd'hui. Selon Van Duzer, ceux qui savaient lire à l'époque étaient plus enclins à croire ce qu'ils lisaient. « Il y avait un grand respect pour les textes imprimés et les images qui les accompagnaient », explique-t-il.

    Il a fallu plus d'un siècle pour que certains monstres, comme le serpent de mer, soient considérés uniquement comme des créatures légendaires. De nombreux autres monstres ont disparu des cartes au cours du siècle suivant, les cartographes ayant réussi à intégrer des images plus réalistes de la vie marine sur leurs cartes.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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