Caché dans la jungle, ce soldat japonais a refusé de se rendre pendant trente ans

Hirō Onoda s'est caché dans la jungle de 1944 à 1974, refusant de croire que le Japon avait pu se rendre et que la Seconde guerre mondiale était terminée.

De Morgane Joulin
Publication 7 févr. 2024, 13:57 CET

Hirō Onoda explique dans ses mémoires qu’il « croyais sincèrement que le Japon ne se rendrait jamais, tant qu’un seul Japonais serait encore en vie. Et réciproquement, si un seul Japonais était encore en vie, le Japon ne pouvait s’être rendu ». 

PHOTOGRAPHIE DE ZUMA Press, Inc. / Alamy Banque D'Images

Il est le plus connu des soldats japonais restants, aussi appelés « stragglers » (traînards en anglais), ces soldats qui ont continué à se battre après la capitulation du Japon en août 1945. 

Hirō Onoda est né le 19 mars 1922 dans le petit village de Kamekawa au Japon, onze ans après le début de l’ère Taishō. Cette période est considérée comme « un moment de libéralisation culturelle et politique, surtout pour les années qui suivirent la fin de la Première Guerre mondiale », souligne Arnaud Nanta, directeur de recherche au CNRS et professeur à l’Institut d’Asie Orientale. Issu d’une famille de six enfants, Onoda rentre à dix-sept ans dans la vie active en travaillant pour une société d’import-export. 

À vingt ans, il est appelé comme tous les jeunes de son âge, à effectuer son service militaire. Il est sélectionné par l’armée impériale japonaise pour être formé au combat de guérilla. Il rejoint la trente-troisième compagnie à Futamata, une annexe de l’école militaire Nakano. Dans celle-ci, on lui apprend les codes militaires Senjinkun, connus pour avoir été d’« une grande sévérité concernant les soldats japonais, qui étaient exhortés à "ne jamais reculer face à l'ennemi" », relate Arnaud Nanta. « Cela peut expliquer pourquoi certains Japonais continuèrent à se battre après la défaite, parfois par patriotisme, mais sans doute plus souvent par crainte d'être réprimés par leur propre armée au cas où ladite annonce de la défaite aurait relevé de la propagande alliée ».

En décembre 1944, il est missionné par son supérieur, le major Yoshimi Taniguchi, sur l’île de Lubang aux Philippines, alors occupée par le Japon. Entre temps, Onoda a été fait sous-lieutenant du renseignement et spécialiste des techniques de guérilla. Avec trois autres compagnons, le soldat Yuichi Akatsu, le caporal Shōichi Shimada et le soldat Kinshichi Kozukail, ils ont pour ordre de détruire une piste d’atterrissage qui permettrait aux forces ennemies de débarquer et de reprendre le territoire. Mais les trois soldats échouent et l’île passe aux mains des Américains. Les troupes japonaises sont toutes anéanties ou faites prisonnières. Ils décident donc de se réfugier dans la forêt, car ils avaient pour ordre de ne jamais se rendre et d’attendre l’arrivée des renforts.

Portrait de Hirō Onoda (droite) et son plus jeune frère Shigeo Onoda (gauche), alors qu'ils étaient jeunes officiers.

PHOTOGRAPHIE DE Domaine Public

En août 1945, des tracts sont envoyés un peu partout sur l’île pour informer les straggler de la reddition de l’armée japonaise. Mais Onoda et les soldats restés avec lui n’y croient pas, pensant qu’il s’agit là d’une « propagande yankee ». Ils se cachent dans la jungle et se nourrissent de noix de coco, de riz volé et de peaux de bananes, convaincus que l’ennemi voulait les affamer à mort.

Leur existence n’est découverte qu’en 1950, lorsque Yuichi Akatsu décide de se rendre aux autorités philippines et de rentrer au Japon. Des équipes de recherches sont alors déployées sur l’île, pour tenter de retrouver les soldats. Hirō Onoda pense qu’il s’agit de soldats japonais, forcés de les retrouver contre leur gré. Des appels à reddition sont envoyés avec des photos de sa famille, mais il croit à un montage. Il croit également que les avions qu’il entend survoler la région durant la guerre de Corée (1950-1953), étaient une contre-offensive japonaise. 

En juin 1953, Shōichi Shimada est blessé lors d’un affrontement avec des pêcheurs philippins. Soigné par Onoda, il est finalement tué dans une fusillade avec un groupe lancé à la recherche des stragglers. Il ne reste donc plus que Onoda et Kinshichi Kozukail. Dans ses mémoires intitulées Au nom du Japon, Onoda confie que son ami et lui « avaient développé tant d'idées fixes, [qu’ils étaient] incapables de comprendre quoi que ce soit qui ne s'y conformait pas ». Il explique qu’il « croyais sincèrement que le Japon ne se rendrait jamais, tant qu’un seul Japonais serait encore en vie. Et réciproquement, si un seul Japonais était encore en vie, le Japon ne pouvait s’être rendu ». 

En 1959, les deux hommes sont déclarés légalement morts au Japon et aux Philippines, ce qui met fin aux recherches. Lors d’un affrontement avec les troupes philippines en 1972, Kozuka meurt, touché par balle. Hirō Onoda se retrouve seul et plus isolé que jamais. Il restera encore dix-huit mois dans la jungle.

 

UNE VIE DE SERVICE

Il est finalement retrouvé en 1974 par un explorateur nippon du nom de Norio Suzuki, qui était parti à sa recherche. Onoda refuse de le suivre hors de la jungle et maintient qu’il ne partira pas tant que son supérieur hiérarchique ne lui aura pas commandé lui-même. Tokyo envoie alors des membres de sa propre famille pour lui faire entendre raison, en vain. 

La même année, le major Yoshimi Taniguchi alors devenu libraire, est retrouvé par le gouvernement japonais. Il enfile son ancien uniforme et se rend dans la jungle pour ordonner à Onoda de déposer les armes. Le 9 mars 1974, la guerre fantôme de Hirō Onoda prend donc officiellement fin, trente ans après le début de sa mission sur l’île de Lubang. Dans Au nom du Japon, il revient sur cet épilogue : « pour la première fois, je compris réellement la situation : mes trente années de guérilla pour l’armée japonaise venaient de prendre brutalement fin. C’était terminé. »

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    Hirō Onoda, un soldat japonais de la Seconde Guerre mondiale qui avait refusé de se rendre avant d'en avoir reçu l'ordre de son supérieur, et qui avait tenu plus de 29 ans dans la jungle de l'île de Lubang, aux Philippines, a été rapatrié par avion à Tokyo après que son ancien commandant l'a persuadé de se rendre. Onoda, qui vivait de bananes et de noix de coco, en dehors de ce qu'il pouvait voler aux habitants de l'île de Lubang, est âgé de 52 ans lorsqu'il descend de l'avion pour saluer ses parents et son frère, qui continuaient de croire en son retour.

    PHOTOGRAPHIE DE ZUMA Press, Inc. / Alamy Banque D'Images

    À son retour au Japon en 1974, il est accueilli en héros par une foule de huit mille personnes. Il explique que durant ces trente ans passés dans la jungle, il n’avait qu’une chose en tête : « exécuter les ordres ». Lui et ses compagnons auraient tué plus de trente Philippins durant cette période. Mais le Président philippin de l’époque, Ferdinand Marcos, le gracie.

    Après sa reddition, Hirō Onoda ne se reconnait plus dans les idées de son pays, qui ont « complètement changé après la seconde guerre mondiale », selon ses dires. En effet, le Japon a changé « du tout au tout avec la Constitution du Japon de 1946 », explique Arnaud Nanta. Le pays vit notamment « le retour du personnel politique libéral qui avait marqué les années 1920 ». Impérialiste convaincu, Onoda estime que ce nouvel « état d’esprit » est « contraire au sien », c’est pourquoi il décide de partir vivre au Brésil, où il élève du bétail. Mais en 1984, il épouse une Japonaise et retourne vivre dans son pays d’origine. Il y fonde le camp « Onoda Nature School », dans lequel il enseigne les techniques de survie qui l’ont aidé à tenir dans la jungle. En 2014, Onoda s’éteint tranquillement dans son sommeil à l’âge de quatre-vingt-onze ans. 

    Son histoire insolite a inspiré un film : 10 000 nuits dans la jungle, qui a reçu le césar du meilleur scénario original en 2022. Le film dépeint cette guerre fantôme, imaginée durant près de trente années par le soldat oublié. Drôle de destin pour cet homme, pour qui sa « mission était devenue toute [sa] vie ».

    Onoda remet son sabre au président philippin Ferdinand Marcos lors de sa reddition le 11 mars 1974.

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