Comment l’humanité a-t-elle survécu au petit âge glaciaire ?

Du 16e au 19e siècle environ, une grande partie de la Terre a été frappée par un froid glacial persistant, une période qui a rebattu pour un temps les cartes de la géopolitique occidentale.

De Kieran Mulvaney
Publication 22 févr. 2024, 11:30 CET
Pendant le petit âge glaciaire, l'hémisphère Nord a connu de longues périodes de températures si froides ...

Pendant le petit âge glaciaire, l'hémisphère Nord a connu de longues périodes de températures si froides que les récoltes échouèrent et que les rivières gelèrent. Ce fut le cas de l'Escaut, représenté ici à l'extérieur d'Anvers, en Belgique, dans une peinture à l'huile de 1593 réalisée par Lucas van Valckenborch.

PHOTOGRAPHIE DE incamerastock, Alamy Stock Photo

Des milliers de personnes qui marchent et s’amusent sur la Tamise gelée. Des soldats à cheval qui s’emparent de navires bloqués dans la glace. Des populations indigènes, raquettes aux pieds, qui tentent de déjouer les intrusions des Anglais. Des jugements de femmes accusées d’être des sorcières alors que leurs communautés s'efforcent d'expliquer les mauvaises récoltes et le froid extrême.

Voilà quelques-unes des images qui définissent le petit âge glaciaire, une période, au cours du dernier millénaire, qui a duré plusieurs siècles pendant lesquels certaines parties de l'hémisphère Nord étaient confrontées à un froid persistant. Quelles en étaient les causes ? Combien de temps a-t-il duré ? Comment les populations se sont-elles adaptées à cette emprise glaciale, et quelles leçons pouvons-nous en tirer alors que nous entrons dans notre propre période de changement climatique ?

 

QU’EST-CE QUE LE PETIT ÂGE GLACIAIRE ? 

Le petit âge glaciaire n’était pas un véritable âge glaciaire : le refroidissement moyen ne fut probablement que de l'ordre de 0,5 degré Celsius, soit 1 degré Fahrenheit, et le froid n’était pas constant. Dagomar Degroot, professeur d'histoire de l'environnement associé à l'université de Georgetown et auteur de l'ouvrage The Frigid Golden Age (L'âge d'or glacial), a décrit cette période comme une série de « petits âges glaciaires ».

Bien que certains chercheurs soutiennent qu'elle aurait pu commencer plus tôt, selon la définition donnée par la NASA, cette période débuta vers 1550 et consista en trois pics de froid, vers 1650, 1770 et 1850, entrecoupés d'intervalles relativement chauds.

Les scientifiques n'ont pas encore élucidé les causes exactes du petit âge glaciaire. Les théories vont de la diminution de l'activité solaire à l'augmentation des éruptions volcaniques, en passant par le génocide des populations indigènes d'Amérique du Nord. Les forêts remplacèrent les terres agricoles et environ sept milliards de tonnes de carbone furent éliminées de l'atmosphère. Selon une étude réalisée en 2022, l'élément déclencheur initial fut, contre toute attente, un afflux d'eau extrêmement chaude qui remonta des tropiques vers le nord à la fin des années 1300 et fit disparaître les glaces de l'Arctique dans l'Atlantique Nord.

 

DES CONSÉQUENCES À GRANDE ÉCHELLE

Quelles qu'en soient les causes, les conséquences du petit âge glaciaire se répercutèrent dans l'Histoire. La question de leur ampleur est controversée.

Le froid permit sans aucun doute au roi suédois Charles X Gustave de faire traverser un détroit gelé à ses troupes afin de s'emparer de l'île danoise de Fionie en 1658, et aux troupes françaises de s'emparer d'une flotte hollandaise qui s'était figée dans la glace en 1795, un événement décrit comme étant la seule fois dans l'histoire où des hommes à cheval purent s’emparer d'une flotte de navires. La peur et l'anxiété que les mauvaises récoltes à répétition suscitaient provoquèrent une vague de « procès en sorcellerie » et d'antisémitisme en Europe.

Le petit âge glaciaire pourrait, dans une moindre mesure, avoir joué un rôle dans l'effondrement de la dynastie Ming en Chine, en partie à cause des pénuries alimentaires qui entraînèrent des soulèvements paysans. La baisse des températures et l'augmentation simultanée de la couverture de glace sur terre et sur mer aurait également contribué à la disparition des colonies nordiques du Groenland. L’hypothèse que le son unique des violons Stradivarius était dû au fait que le bois utilisé par Antonio Stradivari était plus dense qu'à l'accoutumée en raison du froid, a également été mise en avant.

Au-delà des grandes vagues historiques qu'il a pu déclencher, le petit âge glaciaire fut particulièrement brutal pour les paysans et les citadins pauvres. Dans son livre The Little Ice Age, l'auteur Brian Fagan décrit des « villageois alpins [vivant] de pain fait de coquilles de noix broyées mélangées à de la farine d'orge et d'avoine ». Un autre récit de 1648 fait état des « cris et larmes des pauvres, qui professent qu'ils sont en train de mourir de faim ».

Certaines périodes du 17e et du début du 18e siècle furent particulièrement difficiles. Selon Ariel Hessayon, du Goldsmiths College de l’Université de Londres, l'hiver 1684 fut si rigoureux que le roi Charles II autorisa une collecte solidaire, à laquelle il contribua lui-même. Cela permit à l'Angleterre de mieux résister à l'hiver que certains de ses voisins. Malgré cela, écrit Hessayon, « des citoyens de tout le pays moururent, ainsi que des bêtes, des oiseaux et des poissons. Les enterrements furent suspendus parce que le sol était trop dur à creuser. Les arbres se cassaient et les plantes périssaient. »

 

L'ADAPTATION AU FROID

Il faut noter que certains parvinrent à s'adapter. À Londres, la Tamise gela à plusieurs reprises à cause du froid, à tel point que des « foires hivernale » furent organisées. On y jouait au football, assistait à des combats d'ours ou participait à des concours de tir à l'arc au milieu d'étals qui vendaient de tout, du chocolat chaud aux tartes.

Le gel de la Tamise aurait pu être un désastre pour les bateliers de la ville, qui « offraient essentiellement un service de taxi fluvial le long de la rivière », explique Hessayon lors d'une interview. Ceux-ci profitèrent donc des foires pour développer d'autres sources de revenus. « Ils s'adaptèrent en faisant du commerce sur la glace et n'avaient plus à payer de loyer sur la Tamise gelée. »

De leur côté, les Mojaves, dans l'actuelle Californie, firent face à une plus grande variabilité climatique aux 16e et 17e siècles en « développant une culture commerciale remarquablement décentralisée », explique Degroot. Ils créèrent également des paniers, des poteries et d'autres récipients résistants afin de transporter des marchandises sur de longues distances, « de sorte qu'en cas de pénurie de nourriture dans une région, ils pouvaient compenser en faisant du commerce avec une autre ».

La réponse des Mojaves au changement climatique fut reproduite à plusieurs milliers de kilomètres de là par les Provinces-Unies, qui connurent un « âge d'or » pendant les années les plus difficiles du petit âge glaciaire, en grande partie grâce à la mise en place d'un système commercial résistant et diversifié, explique Degroot.

« Ils pouvaient transporter des marchandises provenant de nombreuses régions différentes, y compris, et surtout, des céréales qui venaient de différents ports de la Baltique », explique-t-il. Par conséquent, lorsque des conditions météorologiques extrêmes entraînaient une pénurie de céréales, « ils étaient en mesure d'exploiter cette situation en important des produits de base des régions où ils étaient cultivés ».

En Nouvelle-Angleterre, les nations Wabanaki profitèrent des hivers froids et enneigés pour lancer des attaques, en raquettes, sur les colons anglais, jusqu'à ce qu’au début du 18e siècle, ces derniers adoptent la technologie et l'expertise indigènes et envoient des centaines d'« hommes en raquettes » patrouiller sur les terrains de chasse Wabanaki.

 

DES ENSEIGNEMENTS À TIRER

Il est surprenant de constater que les zones de l'Arctique où l’on chassait la baleine furent les régions où le commerce s'améliora et où les conflits s’atténuèrent, explique Degroot. « Lorsqu'il se mit à faire plus froid et que la glace s'étendit, les ressources furent plus proches les unes des autres et plus accessibles », explique-t-il. En conséquence, les conflits armés qui avaient caractérisé la chasse à la baleine dans l'Arctique diminuèrent.

Il y a peut-être là une leçon à tirer pour ceux qui observent le changement climatique actuel, dit-t-il avant d’ajouter qu’il s’agit « exactement du contraire de la façon dont l'Arctique est souvent discuté dans les cercles de sécurité nationale aujourd'hui, où les gens supposent que le dégel de l'Arctique pourrait entraîner beaucoup plus de concurrence et de conflits dans la région ».

Malgré l'importance des effets du petit âge glaciaire, Degroot note que l'ampleur du refroidissement fut moindre par rapport au réchauffement que nous connaissons actuellement. Hessayon estime qu'il est d'autant plus important de comprendre cette période et la manière dont les populations s'y sont adaptées.

« Il existe une très grande quantité de matériel potentiel à étudier et qui nous apprend beaucoup sur le passé et, espérons-le, sur les façons de gérer la crise actuelle », explique-t-il.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
 

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