États-Unis : l’histoire controversée du mont Rushmore

Confiscations de terres, égos démesurés, tournages contrariés... Retour sur la complexe histoire de la construction du mont Rushmore.

De Amy McKeever
Publication 9 sept. 2025, 09:10 CEST
Le Mémorial national du mont Rushmore, à Keystone, dans le Dakota du Sud, fut sculpté dans ...

Le Mémorial national du mont Rushmore, à Keystone, dans le Dakota du Sud, fut sculpté dans le flanc granitique d’une montagne des Black Hills entre 1927 et 1941. Des problèmes de financement retardèrent l’achèvement du projet.

PHOTOGRAPHIE DE Kerem Yucel, AFP, Getty Images

Le mont Rushmore rend un hommage patriotique à quatre présidents américains (George WashingtonThomas JeffersonTheodore Roosevelt et Abraham Lincoln) avec des visages de près de vingt mètres sculptés dans un flanc de montagne des Black Hills, dans le Dakota du Sud.

Sculpté sur des terres amérindiennes sacrées par un homme lié au Ku Klux Klan, le Mémorial national du mont Rushmore fut entouré de controverses avant même son achèvement le 31 octobre 1941.

Quatre cents hommes, dont beaucoup travaillaient à la mine, travaillèrent avec le sculpteur Gutzon Borglum pour ...

Quatre cents hommes, dont beaucoup travaillaient à la mine, travaillèrent avec le sculpteur Gutzon Borglum pour tailler les visages de quatre présidents des États-Unis sur le mont Rushmore avec de la dynamite, des marteaux-piqueurs et des outils de précision. 

PHOTOGRAPHIE DE Frederic Lewis, Getty Images

Au fil des années, le mémorial a suscité des protestations en raison de son emplacement sur des terres autochtones, des débats pour savoir si un autre chef d’État mériterait sa place sur la montagne, ainsi qu’une controverse hollywoodienne concernant un film d’Alfred Hitchcock partiellement tourné sur le site.

Pour comprendre l’histoire du mont Rushmore en tant que symbole culturel et en tant qu’objet de tensions aux États-Unis, il convient de revenir sur la façon dont le mémorial a vu le jour.

 

CONSTRUIRE SUR DES TERRES VOLÉES

Le mont Rushmore se situe dans la région des Black Hills, dans le Dakota du Sud, près de Keystone. Avant qu’on ne l’appelle mont Rushmore, les Lakotas appelaient Tunkasila Sakpe Paha cette formation de granit, c’est-à-dire la montagne des Six Grands-Pères.

C’était un lieu de prière et de dévotion pour les peuples autochtones des Grandes Plaines, ainsi que l’explique Donovin Sprague, directeur du département d’Histoire du Sheridan College, dans le Wyoming, et membre de la tribu Sioux de Cheyenne River.

L’emplacement des Black Hills a également son importance. Pour les Lakotas, les Cheyennes et les Arapahos, la région était non seulement importante sur le plan spirituel, mais c’était également là que les tribus allaient chercher de la nourriture et des plantes utilisées dans la construction et dans la médecine. « C’est le centre de l’univers de notre peuple », explique Donovin Sprague.

À la fin du 19e siècle, les colons euro-américains commencèrent à s’enfoncer dans les Black Hills, ce qui déclencha une guerre avec la population autochtone. Le gouvernement américain signa le traité de Fort Laramie en 1868, qui accorda aux Lakotas l’usage exclusif des Black Hills. Moins d’une décennie plus tard, cependant, on découvrit de l’or dans la région et, en 1877, les États-Unis violèrent le traité et s’emparèrent des terres.

les plus populaires

    voir plus
    En 1929, des ouvriers du Dakota du Sud utilisèrent de la dynamite pour commencer à donner ...

    En 1929, des ouvriers du Dakota du Sud utilisèrent de la dynamite pour commencer à donner forme au flanc d’une montagne de granit avant d’y sculpter plus finement le visage de quatre présidents américains.

    PHOTOGRAPHIE DE FPG, Hulton Archive, Getty Images

    « Ce qui s’est passé avec les Black Hills est clairement du vol au regard des propres lois des États-Unis », affirme Christina Gish Hill, professeure d’anthropologie à l’Université d’État de l’Iowa, qui a étudié l’importance du mont Rushmore pour les Amérindiens.

    À la suite de cela, colons et chercheurs d’or commencèrent à affluer dans la région. En 1884, Charles F. Rushmore, avocat new-yorkais, s’y rendit pour conclure un contrat concernant une mine d’étain et, par plaisanterie, on rebaptisa la montagne des Six Grands-Pères pour lui donner son nom.

    Mais le litige territorial demeurait. Dans les années 1920, les tribus lakotas poursuivirent le gouvernement des États-Unis pour vol, une bataille légale qui durerait des décennies.

     

    NOUVELLE ATTRACTION TOURISTIQUE

    Dans les années 1920, le Dakota du Sud, désormais un État à part entière des États-Unis, était devenu une destination où les Américains pouvaient se rendre dans leurs nouvelles voitures sans chevaux. On y venait pour voir la Forêt nationale des Black Hills, alors tout juste nommée, et le Parc national de Wind Cave. Le gouverneur Peter Norbeck avait également fait construire la Needles Highway, une route pittoresque serpentant à travers les emblématiques formations de granit des Black Hills.

    En 1947, des touristes contemplent le mont Rushmore, achevé en 1941 après des années de contretemps ...

    En 1947, des touristes contemplent le mont Rushmore, achevé en 1941 après des années de contretemps et de financements retardés.

    PHOTOGRAPHIE DE J. Baylor Roberts

    Mais Doane Robinson, historien de la Société historique du Dakota du Sud, estimait que l’État avait besoin d’autre chose encore pour inciter les touristes à venir. En 1924, ayant eu vent d’une tentative de sculpter les effigies de leaders confédérés dans le flanc de Stone Mountain, en Géorgie, Doane Robinson lança une campagne pour que le Dakota du Sud ait ses propres montagnards.

    Doane Robinson imaginait un hommage au vieil Ouest, avec des sculptures de personnages historiques, comme Meriwether Lewis, William Clark et Red Cloud, un chef lakota. Il prit contact avec le sculpteur de Stone Mountain, Gutzon Borglum, qui transformerait la montagne de granit en ce qu’elle est aujourd’hui.

     

    LE PASSÉ CONTROVERSÉ DU SCULPTEUR GUTZON BORGLUM

    Gutzon Borglum s’était fait connaître pour des sculptures honorant l’histoire américaine ainsi que pour sa personnalité grandiloquente. En Géorgie, il fraya avec le Ku Klux Klan, qui l’aida à financer le projet de Stone Mountain. Mais Gutzon Borglum entra rapidement en conflit avec l’Association du mémorial de Stone Mountain.

    En février 1925, l’association licencia Borglum pour mauvaise gestion des fonds ainsi que pour « son égocentrisme offensant et ses délires de grandeur ». Son éviction fit les gros titres à l’échelle nationale lorsqu’il détruisit les maquettes de Stone Mountain et fuit l’État.

    En août 1925, Gutzon Borglum accepta de travailler sur le mont Rushmore, mais pas de la manière dont Doane Robinson l’avait imaginé. Pour Gutzon Borglum, les sculptures devaient être un témoignage de l’exceptionnalisme américain et il plaidait pour que l’on y figure des présidents ayant joué un rôle essentiel dans l’expansion du pays.

    George Washington, premier président des États-Unis, représenterait leur naissance. Thomas Jefferson, qui fit presque doubler la taille du pays avec l’acquisition de la Louisiane française, symboliserait la conquête de l’Ouest

    Theodore Roosevelt, qui avait supervisé la construction du canal de Panama, symboliserait la croissance économique. Quant à Abraham Lincoln, il fut choisi en raison de sa lutte pour préserver la nation pendant la guerre de Sécession

     

    PROBLÈME DE CONSTRUCTION ET « SALLE SECRÈTE » PAS SI SECRÈTE

    Le président Calvin Coolidge inaugura le site le 10 août 1927. Au cours des seize années suivantes, Gutzon Borglum se disputa avec le gouvernement fédéral au sujet du financement et du contrôle du mont Rushmore, qu’il n’acheva techniquement jamais.

    Gutzon Borglum avait l’intention de sculpter les présidents jusqu’à la taille et de graver une description du mémorial à côté d’eux. Mais quand il apparut qu’il n’y aurait pas assez de place pour celle-ci, il décida de construire une salle derrière les visages pour accueillir des artefacts historiques américains.

    En 1938, Gutzon Borglum entreprit de creuser un tunnel de 21 mètres dans la montagne pour sa « Salle des archives ». Préoccupé par le financement fédéral alors que la guerre approchait en Europe, le gouvernement américain lui demanda de suspendre les travaux de cette salle jusqu’à ce que les quatre visages aient été achevés.

    Le sculpteur Gutzon Borglum travaille sur un modèle en argile du Mémorial national du mont Rushmore ...

    Le sculpteur Gutzon Borglum travaille sur un modèle en argile du Mémorial national du mont Rushmore en 1937.

    PHOTOGRAPHIE DE Ullstein Bild, Getty Images

    Gutzon Borglum était encore en train de peaufiner ces têtes quand sa santé commença à se détériorer. Il mourut le 6 mars 1941, laissant son fils, Lincoln Borglum, poursuivre son œuvre.

    Mais sur la montagne, la surface qu’il était possible de sculpter était limitée – on ne put par exemple pas terminer la main de Jefferson en raison de la qualité de la pierre – et, pire encore, les financements étaient à sec. Le projet fut déclaré terminé le 31 octobre 1941.

    Le tunnel que Borglum avait creusé pour sa Salle des archives demeura vide jusqu’en 1998, date à laquelle le Service des parcs nationaux (NPS) installa un coffre-fort en titane dans le sol, qui fut rempli d’informations sur le mont Rushmore, sur les présidents et l’histoire des États-Unis.

     

    LE MONT RUSHMORE DANS LA CULTURE POPULAIRE

    Cette salle pas si secrète n’est pas ouverte au public mais a fait l’objet de maintes spéculations et figure même dans des films, comme Benjamin Gates et le Livre des secrets, centré sur une conspiration. 

    Mais le mont Rushmore est surtout célèbre pour avoir servi de décor à la scène finale de La Mort aux troussesthriller d’Alfred Hitchcock datant de 1959. Cependant, le tournage lui-même suscita une controverse.

    En 1958, le NPS donna à Alfred Hitchcock la permission de filmer au mémorial à condition qu’il ne serve pas de toile de fond à des scènes violentes. Hitchcock dut promettre que Cary Grant et d’autres acteurs ne courraient pas au sommet des têtes des présidents.

    Alfred Hitchcock tint partiellement sa promesse, filmant certaines scènes dans le parking et dans la cafétéria du mémorial. Puis il tourna la dernière scène du film, une poursuite violente, sur une réplique à l’échelle si réaliste que les spectateurs crurent qu’elle avait effectivement été filmée au mont Rushmore.

    Le NPS et le département de l’Intérieur des États-Unis protestèrent et demandèrent à Metro-Goldwyn-Mayer de retirer la mention au générique de fin les remerciant pour leur coopération.

     

    UN LIEU DE PROTESTATION

    Le mont Rushmore fut ouvert au public alors même que les Lakotas poursuivaient leurs actions en justice. Dans les décennies qui se sont écoulées depuis, le mémorial et ses environs ont cristallisé les tensions, notamment autour du traitement des Amérindiens.

    Des activistes et des membres de différentes tribus amérindiennes bloquent la route menant au mont Rushmore, ...

    Des activistes et des membres de différentes tribus amérindiennes bloquent la route menant au mont Rushmore, dans le Dakota du Sud, le 4 juillet 2020. Ils protestent à la fois contre la visite du président Donald Trump, alors dans son premier mandat, et le fait que le monument a été construit sur des terres autochtones sacrées.

    PHOTOGRAPHIE DE Andrew Cabellero-Reynolds, AFP, Getty Images

    Bien que la perte de ces terres ait été une préoccupation bien plus importante pour de nombreux Lakotas, Cheyenne et Arapahos, Christine Gish Hill explique que certains peuples indigènes souhaitaient que le site reconnaisse leur histoire.

    Les nations autochtones critiquèrent également la manière dont le mont Rushmore racontait leur histoire… et celle de l’expansion des États-Unis. Gutzon Borglum imaginait le site comme un sanctuaire pour la grandeur des quatre présidents figurés et, de ce fait, poursuit Christine Gish Hill, le mémorial devint « un espace de patriotisme sans nuances ».

    L’interprétation que fait le mont Rushmore de l’histoire américaine passe par exemple sous silence le fait que Roosevelt ait supervisé le démantèlement du Territoire indien, en Oklahoma, tandis que Washington et Jefferson étaient propriétaires d’esclaves.

    Ainsi que le fait observer Donovin Sprague, même Lincoln était enthousiaste quant à la conquête de l’Ouest et, en 1862, déploya des soldats américains dans le Minnesota pour réprimer une révolte des Dakotas.

    Le mouvement des droits civiques des années 1960 inspira une vague de protestation chez les Amérindiens de tout le pays. À l’été 1970, les manifestations gagnèrent le mont Rushmore quand quelques dizaines d’activistes de l’organisation United Native Americans escaladèrent le mémorial pour exiger la restitution des Black Hills aux Lakotas.

    Ils campèrent au sommet du mémorial pendant des mois, puis revinrent l’été suivant pour une manifestation plus brève qui conduisit à leur arrestation.

    En 1980, le long litige juridique fut finalement porté devant la Cour suprême des États-Unis. Dans l’affaire historique United States v. Sioux Nation of Indians, la Cour suprême jugea que le gouvernement américain avait pris illégalement le territoire des Black Hills aux Lakotas et reconnut à ces derniers le droit de recevoir 17,1 millions de dollars de dommages et intérêts (56,8 millions d’euros aujourd’hui). Mais les Lakotas déclinèrent cette compensation et militent depuis pour la restitution des Black Hills.

    La dualité du mont Rushmore, terre autochtone sacrée et destination patriotique incontournable, en fait, aujourd’hui encore, un lieu de contestation. Le 4 juillet 2020, plus de cent manifestants se sont réunis à l’occasion d’un meeting de campagne du président Donald Trump pour protester contre le mémorial et rappeler aux participants que le monument avait été construit sur des terres volées.

     

    PROPOSITIONS DE CHANGEMENT

    Des forces commencèrent à militer pour ajouter des visages au mont Rushmore alors que le monument n’était pas encore terminé. La Première dame Eleanor Roosevelt soutint en 1936 une proposition, restée sans suite, de sculpter le visage de la militante des droits des femmes Susan B. Anthony dans la roche.

    L’idée que le mémorial puisse évoluer subsista néanmoins et certains partisans politiques suggérèrent au fil des années que l’on y ajoute John F. KennedyRonald Reagan ou encore Franklin Delano Roosevelt. Donald Trump a quant à lui prétendu à plusieurs reprises qu’il devrait y figurer.

    Si certains ont plaidé pour l’agrandissement du mont Rushmore, d’autres ont pu exiger sa destruction. Alors que les États-Unis se confrontaient à la réalité des statues confédérées et d’autres monuments témoignant de leur passé raciste, certains chefs tribaux et leurs soutiens ont demandé la destruction du mémorial

    Il est peu probable que ce mémorial vieux de plusieurs décennies connaisse quelque changement d’importance que ce soit. Le NPS a écarté l’idée de modifier la vision de Gutzon Borglum pour inclure un nouveau visage, tandis que la communauté amérindienne est divisée sur la question de sa destruction, car certains avancent que le monument pourrait servir à sensibiliser les touristes à la vraie histoire de l’Ouest américain.

    « Je ne vois aucun intérêt à tout démolir, mais ce que je souhaite, c’est qu’une part de l’histoire des Amérindiens ou des Lakotas y soit représentée, déclare Donovin Sprague. Un nombre immense de personnes viennent voir cette sculpture géante mais repartent avec très peu de connaissances » sur l’histoire compliquée qui se cache derrière des monuments comme le mont Rushmore.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

    les plus populaires

      voir plus
      loading

      Découvrez National Geographic

      • Animaux
      • Environnement
      • Histoire
      • Sciences
      • Voyage® & Adventure
      • Photographie
      • Espace

      À propos de National Geographic

      S'Abonner

      • Magazines
      • Livres
      • Disney+

      Nous suivre

      Copyright © 1996-2015 National Geographic Society. Copyright © 2015-2025 National Geographic Partners, LLC. Tous droits réservés.