Pourquoi manger du porc est-il interdit dans certaines religions ?

Les hypothèses pour expliquer cette interdiction religieuse se multiplient, mais le mystère persiste.

De Manon Meyer-Hilfiger
Publication 18 juin 2025, 16:11 CEST
Élevage de porcs à Samarinda, à Bornéo, en Indonésie

Élevage de porcs à Samarinda, à Bornéo, en Indonésie

PHOTOGRAPHIE DE imageBROKER.com / Alamy Banque D'Images

Dans une petite rue du centre ville de Marseille, entre les étals des primeurs qui débordent de coriandre et de menthe, les tomates entassées en pyramide précaire, et les gousses d’ail fraîches, quelques boucheries climatisées proposent bœuf, agneau, volaille, mais pas de porc. Ici, comme dans tous les établissements cashers ou halahs, vendre cette viande reviendrait à transgresser un interdit plurimillénaire, explicitement mentionné dans le Lévitique, l’un des livres de la Torah, et dans le Coran.

Ces textes restent pourtant assez silencieux quant aux raisons du tabou. « Vous ne mangerez pas le porc, qui a la corne fendue et le pied fourchu, mais qui ne rumine pas: vous le regarderez comme impur » somme le Lévitique. « Il vous interdit la chair d'une bête morte, le sang, la viande de porc et ce sur quoi on a invoqué un autre qu'Allah » souligne la sourate Al-Baqara.

Cela fait donc des siècles que les humains se penchent sur la question, et que les théories se multiplient. La plus populaire ? Manger du porc comporte des risques pour la santé - vous l’avez sans doute entendue au détour d’une conversation. Avec le climat chaud et sec du Proche-Orient, la viande de porc est, à l’époque des textes religieux, particulièrement difficile à conserver. En plus, le cochon adore se vautrer dans les immondices, et les humains l’ont remarqué depuis longtemps. Qui donc oserait manger du porc dans ces conditions ? Dès le début du 2e millénaire avant notre ère, des textes associent les cochons aux égouts. Plus tard, au 12e siècle de notre ère (bien après la rédaction des textes religieux donc), Moïse Maïmonide, l’un des plus grands philosophes juifs du Moyen Âge, affirme que l’interdit religieux est fondé justement sur la saleté du porc. « Au 19e siècle, cette théorie connaît un regain de popularité avec la découverte des microbes » observe Max Price, archéologue à l’université de Durham et auteur d’un livre sur le sujet. Aujourd’hui encore, tout le monde sait qu’il faut se méfier du porc mal cuit, sous peine de tomber plus ou moins gravement malade.

L’affaire semble donc pliée – sauf pour les spécialistes. Tout ça n’explique en réalité pas grand-chose. « Tomber malade ne crée pas automatiquement une interdiction » explique Max Price. Les bactéries ne sculptent pas les croyances, en tout cas pas toute seules. Et puis, « dans ce même climat chaud et sec du Proche-Orient, d’autres peuples, à la même époque, consomment du cochon » souligne Michel Pastoureau, historien, directeur d'études émérite à l'École pratique des hautes études, et spécialiste de l’animal.

Alors, est-ce une banale histoire d’argent qui aurait pu mettre le cochon au ban ? À l’époque des textes religieux, le porc était sans doute un piètre investissement économique. Il ne produit ni laine, ni cuir, au contraire du bœuf ou du mouton. L’animal aurait donc, selon certains chercheurs, été abandonné par les plus aisés, et finalement frappé d’une interdiction religieuse.

Ou bien est-ce parce qu’il nous ressemble trop ? « Tout semble montrer que le cochon est, avec les grands singes, l’un des plus proches cousins de l’Homme » affirme Michel Pastoureau. « Déjà, dès l’Antiquité, les médecins avaient remarqué la parenté entre les humains et les cochons. Au Moyen Âge, dans les écoles de médecine, l’apprentissage de l’anatomie humaine passait par la dissection du porc, l’Eglise interdisant cette pratique sur les cadavres humains. Les scientifiques de l’époque avaient remarqué les grandes similitudes entre les organes des Hommes et des porcs. Aujourd’hui, on utilise les organes des cochons pour les greffes » poursuit le spécialiste. « Manger du porc reviendrait, d’une certaine manière, à être un peu anthropophage. Voilà qui pourrait expliquer le tabou ». L’historien reste néanmoins prudent. « C’est une hypothèse parmi d’autres».

« Je pense qu’il n’y a pas d’explication simple ou unique » renchérit Max Price. Peut-être est-ce un mélange de toutes les raisons évoquées plus haut. Avec, en prime, une banale rivalité de voisinage qui aurait pu mettre de l’huile sur le feu, et donner de l’importance à ce tabou. 

Direction le Proche-Orient, vers 1200 avant J.-C, pour le comprendre. À cette époque, les Israélites, ancêtres du peuple juif, commencent à bouder le porc. Les archéologues retrouvent en effet, dans les lieux où ils sont installés, de moins en moins d’os de cochons, jusqu’à ne plus en voir du tout. Au contraire, à quelques kilomètres de là, d’autres villages, peuplés par les Philistins, continuent d’en manger. Or, les Israélites, on ne sait pas trop pour quelle raison, détestaient les Philistins. Ils les méprisaient : on le constate dans les écrits qui nous sont parvenus. « Ils rabaissaient leurs choix de vie, déplorant par exemple le fait que leurs fils ne soient pas circoncis » illustre ainsi Max Price. L’archéologue pense donc que le tabou autour du porc s’est en partie construit autour de cette volonté de se différencier des voisins honnis. « C’est ce qui aurait pu donner au tabou relatif au porc sa puissance particulière, et expliquer pourquoi cette interdiction est si différente des autres lois alimentaires dans le Lévitique » poursuit-il.

Quoi qu’il en soit, on ne sait toujours pas avec certitude pourquoi les livres religieux posent cet interdit. Ce qui est certain, néanmoins, c’est que le tabou a depuis été instrumentalisé pour stigmatiser les communautés juives puis musulmanes. Pourtant, chaque culture a ses interdits, plus ou moins conscients, et plus ou moins expliqués.  « En Europe par exemple, personne ne mange de chien depuis des siècles, alors que cela se fait encore ailleurs » souligne Michel Pastoureau. « Et personne ne sait pourquoi ».

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