Rome antique : les gladiateurs affrontaient bel et bien des lions
Pour la première fois, des traces de morsures laissées par un grand félin, probablement un lion d’Afrique, ont été identifiées sur des os d'un gladiateur de la Rome antique.

Si les artistes ont toujours représenté des gladiateurs romains affrontant des fauves, comme on peut le voir sur cette mosaïque créée en l’an 320 de notre ère à Rome, on n’avait encore jamais découvert de preuves physiques suggérant que cette pratique ait effectivement existé. Cela est chose faite.
Des gladiateurs affrontant des lions... Il est aujourd’hui encore difficile de ne pas convoquer cette image lorsque l’on pense aux arènes de la Rome antique. Mais hormis des représentations sous forme de mosaïques ou de sculptures, et à l’exception de quelques mentions dans des textes antiques, il n’existait quasiment aucune preuve physique que cela ait jamais été réel. Ce n’est plus le cas.
Pour la première fois, des traces de morsure laissées par un grand félin, possiblement par un lion d’Afrique (Panthera leo leo), ont été identifiées sur des os qui auraient appartenu à un gladiateur mort voilà près de 1 800 ans. Ces restes découverts il y a vingt ans dans une tombe romaine d’York, en Angleterre, ont récemment été réexaminés par des chercheurs britanniques afin de déterminer l’origine des trous qu’ils présentent.
Cet individu est « la seule personne du monde romain » à avoir été découverte avec des traces de morsures dues à un superprédateur, comme un lion, ainsi que le rappelle John Pearce, maître de conférences au King’s College London et membre de l’équipe à l’origine de l’étude publiée dans la revue PLOS One. Il s’agit également de la première preuve physique que l’on importait des fauves dans ce coin reculé de l’Empire romain pour les faire participer à des jeux dans des arènes.
Les chercheurs ont comparé des scans 3D en haute résolution de ces traces de morsures à d’autres traces laissées par des grands félins actuels à qui l’on a donné de la viande sur un os. « Après élimination, [les morsures] sont clairement soit celles d’un lion, soit celles d’un léopard », affirme John Pearce.

Un lion est-il à l’origine du trou percé dans cet os humain ? Des chercheurs ont comparé ce spécimen découvert dans un cimetière anglais de l’époque romaine à des traces de morsures faites par des grands félins actuels sur des os et ont découvert que ce trou était sans aucun doute permis l’œuvre d’un lion ou d’un léopard.
Selon Tim Thompson, anthropologue médico-légal à l’Université nationale d’Irlande à Maynooth qui a dirigé l’étude, les traces de morsures ont été causées à peu près au moment du décès ; ce qui signifie que l’on n’a pas affaire à un cas de lion qui aurait rongé les os d’une personne morte depuis longtemps.
« Il n’y pas de traces de guérison, ce qui tend à indiquer [que la morsure est survenue avant la mort], explique-t-il dans un e-mail. Si elles avaient été réalisées de manière posthume, nous nous attendrions à observer une couleur différente au bord des fractures dues aux morsures ainsi qu’une disparition des petits morceaux d’os à l’intérieur des perforations. »
Une chose demeure plus incertaine : l’individu décédé était-il effectivement un gladiateur ou bien une autre personne morte en affrontant un lion dans une arène romaine ? Quoi qu’il en soit, certains spécialistes s’accordent déjà à dire que cela offre un aperçu plus riche du déroulement de ces spectacles violents.
UN CIMETIÈRE POUR GLADIATEURS ?
Le squelette en question a été découvert il y a vingt ans à Eboracum (actuelle ville d’York). Eboracum fut une importante forteresse et cité romaine de la province de Bretagne de l’an 71 à l’an 400 de notre ère. Selon toute vraisemblance, d’après les chercheurs ayant examiné les strates du sol, cet individu serait mort et aurait été inhumé entre le milieu et la fin du troisième siècle de notre ère.
Bien qu’aucune pierre tombale, ni quelque signe que ce soit n’aient été découverts dans le cimetière, l’équipe à l’origine de l’étude est convaincue qu’il s’agissait du lieu d’inhumation réservé aux gladiateurs. La majorité des près de soixante-dix restes découverts là présentent des signes de « confrontations violentes » typiques chez les gladiateurs. Beaucoup étaient également décapités, un rituel répandu en Angleterre pour ceux qui avaient été gravement blessés au combat.
« Nous avons constaté que beaucoup d’autres squelettes du cimetière étaient décapités, cela ressemble à une sorte de coup de grâce pour le vaincu », explique John Pearce.
Cependant, certains experts expriment des doutes quant à cette affirmation.
« Techniquement, les gladiateurs se battaient contre des gladiateurs », rappelle Michael Carter, professeur d’Histoire grecque et romaine et de latin à l’Université Brock, dans l’Ontario, au Canada. « Il pourrait s’agir d’un venator, un chasseur ou combattant de bêtes, quelqu’un qui se spécialisait dans le combat contre les grands félins et les ours. Mais à mon avis, il est plus probable qu’il s’agisse d’un criminel condamné à mort dans l’arène. »
Dans la Rome antique, la damnatio ad bestias, littéralement « la condamnation aux bêtes », était une forme répandue de punition pour les criminels, pour les chrétiens et pour d’autres encore qui avait lieu dans les arènes avant les jeux de gladiateurs. On y eut peut-être également recours à des fins de sacrifices religieux, ainsi que l’écrit Alison Futrell, historienne de l’Université d’Arizona, dans un livre intitulé The Roman Games.
Les restes sont très probablement ceux d’un venator, abonde Barry Strauss, auteur, historien et titulaire de la chaire d’humanités Bryce-et-Edith-M.-Bowmar à l’Université Cornell. Cependant, ainsi qu’il le fait remarquer dans un e-mail, Eboracum se trouvait aux confins de l’Empire romain.
« Les règles en vigueur à Rome ne s’appliquaient pas nécessairement dans un endroit aussi reculé qu’Eboracum. Donc bien que l’homme n’ait probablement pas été un gladiateur, il se peut malgré tout qu’il en ait été un. Le fait d’être enterré dans un cimetière de gladiateurs constitue sans aucun doute un argument en faveur de cette hypothèse. »
« Quoi qu’il en soit, nous pouvons affirmer avec assurance qu’à York, une confrontation violente entre un humain et un grand fauve n’allait pas avoir lieu ailleurs que dans une arène », explique John Pearce.
DES FAUVES EN ANGLETERRE
Comment un lion d’Afrique ou un autre grand félin a-t-il pu arriver en Angleterre ? La réponse n’est pas aussi invraisemblable qu’il n’y paraît.
Eboracum abritait la Sixième légion de l’Empire romain, dont plusieurs soldats venaient d’Afrique du Nord. À cet égard, John Pearce fait observer que les poteries romaines découvertes à York comprennent des éléments associés à cette région, ce qui suggère que des artisans africains accompagnaient la légion quand elle occupait la Bretagne (Britannia).
« De temps en temps, l’empereur fait une apparition, raconte-t-il. Nous savons que Septime Sévère s’y est rendu à peu près à cette époque. Il est concevable qu’un lion ait pu être envoyé à York pour un spectacle important, voire même simplement pour divertir les troupes. »
Les lions coûtaient cependant cher. Un édit de l’empereur Dioclétien datant de l’an 301 de notre ère plafonnait le prix d’un lion d’Afrique du Nord à 150 000 denarii, une pièce d’argent romaine de base. Dominic Rathbone, professeur d’histoire antique au King’s College de Londres, écrit dans un e-mail que cette somme se situe « quelque part entre 250 000 et 500 000 livres Sterling [300 000 à 600 000 euros] en équivalent moderne ».
Un prix exorbitant mais jugé acceptable dans un monde où l’on considérait les spectacles de ce type comme des divertissements de grande valeur.
Ces nouvelles découvertes ont une valeur immense pour les archéologues et les historiens étudiant les légendes entourant les jeux gladiatoriaux et les chasses organisées dans des amphithéâtres à travers l’Empire romain. Les chercheurs espèrent que cette découverte incitera à chercher l’emplacement de l’amphithéâtre d’Eboracum, qui gît toujours quelque part sous la ville d’York.
« Pour moi, c’est totalement fascinant, s’émerveille Michael Carter. Cela confirme un peu ce que nous savions déjà, mais c’est extrêmement intéressant d’avoir enfin un cas concret dont nous pouvons désormais parler. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
