Découverte d'un crâne d'enfant d'un mystérieux ancêtre de l'Homme

Des dents et des fragments d'un crâne d’enfant découverts dans une grotte sud-africaine labyrinthique relancent le débat sur les coutumes d’Homo naledi et soulèvent une question de taille : nos lointains ancêtres avaient-ils des rites funéraires ?

De Maya Wei-Haas
Publication 6 nov. 2021, 09:30 CET, Mise à jour 6 nov. 2021, 20:19 CET
The Chute

L’anthropologue Marina Elliott est assise à l’entrée des grottes de Rising Star, en Afrique du Sud. Son équipe a découvert de nouveaux ossements dans un recoin des profondeurs de ce vaste réseau de tunnels.

PHOTOGRAPHIE DE Robert Clark

Tapie à environ 45 mètres sous terre, Becca Peixotto comprime son corps entre les parois rocheuses d’une crevasse étroite du système karstique de Rising Star pour en contourner un méandre. Centimètre par centimètre, elle dégage son corps de l’anfractuosité et se met quasiment la tête en bas pour pouvoir atteindre un rebord où l’attend un trésor archéologique : les dents et les fragments osseux d’un enfant ayant vécu il y a plus de 240 000 ans, un cousin énigmatique des humains nommé Homo naledi.

Cette découverte vient s’ajouter aux quelque deux mille os et dents d’Homo naledi récupérés dans les grottes de Rising Star depuis 2013, date à laquelle des spéléologues sont tombés pour la première sur des fossiles. Les restes de l’enfant, qui serait mort entre l’âge de quatre et six ans, comprennent six dents et vingt-huit fragments de crâne.

D’ordinaire, les précipices abrupts et les goulots d’étranglement qui obligent les spéléologues à expirer complètement et à compresser leur cage thoracique pour pouvoir avancer compliquent déjà les découvertes. Mais les contorsions qu’ont dû faire Becca Peixotto, archéologue de l’Université Américaine de Washington D.C., et ses collègues ont battu tous les records.

Leur aventure labyrinthique a mené à la découverte des restes de « Leti », qui signifie « le disparu » en tswana, et soulève une question obsédante au sujet de nos cousins mystérieux : comment et pourquoi se sont-ils aventurés si loin dans cette grotte sombre et sinueuse ?

« Aucun membre de l’expédition ne s’attendait à ce que nous découvrions des ossements de naledi à cet endroit », affirme John Hawks, paléoanthropologue de l’Université du Wisconsin à Madison. « Nous nous enfonçons dans des endroits qui se trouvent à des mètres et des mètres au fond de passages impraticables. »

La découverte de l’enfant, décrite dans une étude parue récemment dans la revue PaleoAnthropology, fait partie d’un effort spéléologique entrepris en 2017 et 2018 qui visait à explorer les profondeurs extrêmes de la grotte. Les auteurs ont cartographié plus de 300 mètres de corridors inexplorés et décrit ce réseau labyrinthique dans une seconde étude. Leur travail a révélé qu’il n’existe qu’une entrée pour atteindre la salle Dinaledi depuis le complexe principal. C’est dans cette salle qu’on a retrouvé la plupart des restes d’Homo naledi. Les derniers ossements en date sont les plus profonds à y avoir été découverts, ils ont été déposés à plus de 30 mètres de l’entrée.

Selon les auteurs de l’étude, ces découvertes montrent qu’il est possible que les dépouilles des défunts aient été apportées délibérément par d’autres Homo naledi qui voulaient se débarrasser convenablement de leurs morts. « Nous ne voyons aucune autre raison au fait que ce crâne d’enfant se trouve à un endroit extraordinairement difficile à atteindre », déclarait Lee Berger, paléoanthropologue de l’Université de Witwatersrand et explorateur National Geographic en charge des fouilles, lors d’une conférence de presse.

Pourtant, certains scientifiques n’ayant pas pris part aux recherches ne sont pas tout à fait convaincus. Pour les paléoanthropologues et les archéologues, si Homo naledi transportait bien ses morts dans la grotte comme l’affirme l’étude, cela aurait de vastes implications. En effet, le fait de réserver un traitement de ce type aux morts implique un niveau de complexité culturelle que nous pensions propre à notre espèce.

« Notre réaction à la mort, notre amour pour les autres, nos rapports sociaux avec eux, combien cela dépend-il du fait d’être humain ? », se demande John Hawks.

 

DÉDALE GÉOLOGIQUE

Le mélange curieux de traits modernes et anciens observé chez Homo naledi a mis les chercheurs en effervescence après l’annonce de la découverte de l’espèce en 2015, car il témoigne d’une évolution humaine plus complexe que ce qu’on pensait. Mais une des choses les plus époustouflantes au sujet de ces hominidés de petite stature est la difficulté qu’on a eu à récupérer leurs ossements, et donc le mal qu’ils ont dû se donner pour arriver si loin dans la grotte.

La salle Dinaledi contient les restes d’au moins quinze individus de l’espèce Homo naledi. L’un d’eux a été reconstitué ci-dessus.

PHOTOGRAPHIE DE Robert Clark

En 2013, la première équipe de fouilles était exclusivement féminine : six spéléologues expérimentées et surtout assez fines pour arriver à se mouvoir dans cette « cage à écureuil » géologique. Au fil des années, des expéditions financées en partie par la National Geographic Society ont permis de reconstituer une vingtaine d’individus de l’espèce Homo naledi, dont quinze ont été trouvés dans une unique cavité de la salle Dinaledi.

En général, lorsqu’on trouve autant de corps au même endroit, c’est qu’on a affaire à une « trappe à cadavres », une caverne ouverte sur la surface où tombent animaux et humains peu méfiants. Mais d’ordinaire on y trouve une multitude d’animaux, comme la ménagerie qu’on a découverte dans la grotte de Malapa en Afrique du Sud. Or à Rising Star, les ossements appartiennent en grande majorité à Homo naledi.

Nombreuses sont les explications qui, comme celle-ci, laissent l’équipe spéléologique sur sa faim. Il est invraisemblable que les individus découverts aient été traînés par des carnivores, car leurs ossements ne portent pas de traces de morsure. Il semble que les dépouilles n’aient pas non plus été déposées par un courant aquatique puisque certains membres ont été découverts quasi-intacts, notamment une main dont les os étaient placés comme ils pourraient l’être dans la vie : la paume en supination et les doigts recroquevillés.

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    Sur ce cliché pris lors d’une campagne de fouilles en 2013, Marina Elliott explore une salle annexe avec la paléontologue Ashley Kruger. Elle est l’une des six chercheuses qui ont été en mesure d’atteindre la salle Dinaledi grâce à leurs compétences et à leur morphologie.

    PHOTOGRAPHIE DE Elliot Ross

    Mais il était forcément dangereux d’entrer dans la grotte, a fortiori en traînant un corps. L’inspection minutieuse du seul point d’accès du complexe indique qu’il existait deux moyens de descendre à l’époque d’Homo naledi : une déclivité presque verticale de 12 mètres qu’on appelle la « glissière » et un réseau de crevasses à peine franchissables dans une des parois de cette glissière.

    L’équipe a initialement émis l’hypothèse qu’Homo naledi avait jeté ses morts dans la glissière verticale menant à la cavité. Mais des fouilles supplémentaires ont révélé trois autres sites (dont celui où se trouvait l’enfant) encore plus bas dans la grotte.

    « Les ossements d’Homo naledi n’ont pas pu se retrouver là sans qu’Homo naledi ait été présent en personne dans ce sous-complexe, ce qui signifie que des Homo naledi vivants descendaient par la glissière et entraient dans cette grotte », soutient John Hawks.

     

    UN NUAGE DE QUESTIONS

    Cependant, pour d’autres scientifiques cela ne tient pas la route. La cartographie et les ossements découverts « ne prouvent pas encore que les restes ont forcément été déposés dans un acte délibéré par d’autres humains », pour reprendre les mots de Paul Pettitt, archéologue de l’Université de Durham. Il ajoute toutefois que ces découvertes « rendent cela plus probable ».

    Lui et d’autres chercheurs indiquent qu’il y a d’autres explications à exclure avant de pouvoir affirmer cela. Aurore Val, post-doctorante de l’Université de Tübingen, se dit que ces hominidés se servaient peut-être de ces grottes et qu’ils sont tout simplement morts là.

    Elle prend en exemple les babouins, à qui il arrive de passer la nuit (et parfois de mourir) dans des grottes. Les babouins morts sont en général soit très jeunes, soit âgés, et ils décèdent d’une multitude de causes naturelles. Dans une étude publiée il y a peu, Aurore Val et ses collègues ont découvert que les Homo naledi de Rising Star et les babouins de Misgrot, autre grotte d’Afrique du Sud, connaissaient une répartition statistique similaire selon l’âge. « Je ne suis pas en train de dire qu’on a résolu le problème, déclare-t-elle. Mais je pense que ça mérite qu’on s’y intéresse. »

    Les scientifiques commencent seulement à lever le voile sur les nombreux secrets des grottes de Rising Star et ont hâte de découvrir ce qu’elles leur réservent.

    PHOTOGRAPHIE DE Robert Clark

    Davantage de recherches sont nécessaire pour documenter de manière exhaustive la géologie de la grotte et les changements qu’elle a connu depuis des milliers d’années. De plus, selon Andy Herreis, paléoanthropologue et géoarchéologue de l’Université de La Trobe, la datation de Leti et d’autres fossiles pourrait permettre de savoir à quoi ressemblait la grotte quand les dépouilles y ont été déposées. « Les grottes sont des endroits complexes. Des passages s’ouvrent et des accès s’effondrent au fil du temps », nous écrit celui qui est aussi explorateur National Geographic.

    D’après Marina Elliott, autrice de l’étude et anthropologue de l’Université Simon Fraser en charge des fouilles de 2013 à 2019, la grotte a beau avoir quelque peu changé (éboulements et rétrécissement de certains passage dû à l’accumulation de strates minérales), la structure de la salle Dinaledi est relativement stable depuis des centaines de milliers d’années.

    Le débat n’est pas clos pour autant. Si on venait à confirmer qu’Homo naledi bravait les passages tortueux de la grotte pour mettre ses morts à l’abri, cela représenterait un changement de paradigme pour de nombreux chercheurs. Homo sapiens est la seule espèce qui enterre délibérément ses morts, bien que Néandertal ait parfois pu le faire.

    Après tout, peut-être qu’on ne devrait pas s’étonner que d’autres hominidés se soient adonné à cette pratique.

    « En tant qu’humains, nous aimons vraiment nous sentir spéciaux et nous n’aimons pas du tout quand d’autres espèces empiètent sur cela », explique Marina Elliott. Nombreux sont les cas où la science a cru que certaines caractéristiques étaient propres à Homo sapiens (comme le fait de fabriquer des outils) avant de se rendre compte que d’autres hominidés ou primates les possédaient aussi.

    Marina Elliott reconnaît que de beaucoup de questions restent sans réponse et que ces nouvelles études ne font qu’épaissir le mystère. « Mais c’est de toute évidence ce qu’il faut, assure-t-elle. Cela nous donne du grain à moudre. »

    La National Geographic Society, dévouée à la mise en valeur et à la protection des merveilles de notre monde, a financé le travail de Lee Berger. Pour en savoir plus sur le soutien de la Society aux explorateurs, cliquez ici.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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