Des éruptions volcaniques auraient contribué à la propagation de la peste noire

Une étude récente tente de répondre à une énigme ancienne : pourquoi la peste noire s’est-elle abattue sur l’Europe à ce moment précis et comment se fait-il qu’elle se soit propagée si rapidement ?

De Carolyn Wilke
Publication 6 déc. 2025, 14:11 CET
La peste noire s’est abattue sur l’Europe en 1347 à la possible faveur d’éruptions volcaniques survenues ...

La peste noire s’est abattue sur l’Europe en 1347 à la possible faveur d’éruptions volcaniques survenues au niveau des tropiques. Il n’a alors fallu que quelques années pour qu’elle progresse vers le nord. Cette image d’un manuscrit enluminé montre l’inhumation de victimes de la peste à Tournai, en Belgique, en 1353.

PHOTOGRAPHIE DE Pierart Dou Tielt, Bibliothèque royale de Belgique, Heritage Images, SCIENCE PHOTO LIBRARY

En 1347, la peste noire atteignit l’Europe méridionale. De là, elle se propagea rapidement dans toute la péninsule italienne, tuant la moitié de la population dans certaines régions. Des récits de témoins parlent de familles entières succombant à la peste, de victimes enterrées dans des fosses communes et de la terreur qui s’empara des villes.

De nos jours, les effets de la peste sont bien connus et les chercheurs ont largement étudié Yersinia pestis (la bactérie qui en est à l’origine) ainsi que les rats et les puces qui la transmettent. Mais une analyse récente met en cause de nouveaux acteurs : les volcans.

On ignore encore pourquoi la maladie, qui infecta probablement ses premiers hôtes humains au début du 14e siècle et qui ravagea des communautés entières en Asie centrale dans les années 1330, n’atteignit le bassin méditerranéen qu’en 1347. Mais une nouvelle étude, publiée dans la revue Communications Earth & Environment, établit un lien entre la chronologie de la peste noire et de son explosion dans la péninsule italienne et une activité volcanique qui refroidit le climat, provoqua des famines et entraîna des importations de céréales susceptibles d’avoir, elles aussi, introduit la peste.

« Il y a cette série de facteurs qui se sont tous alignés. Et si l’on enlève ne serait-ce que l’un d’eux, cela ne se serait pas produit », explique Hannah Barker, historienne de l’Université d’État de l’Arizona à Tempe qui n’a pas pris part à la présente étude. L’épidémie de peste qui accabla l’Europe médiévale fut donc le fruit d’une rencontre entre changement climatique, interactions animales et actions humaines.

 

DES INDICES TIRÉS DES CERNES DES ARBRES ET DE CAROTTES DE GLACE

Ulf Büntgen, géographe de l’Université de Cambridge, a découvert de nouveaux indices sur le rôle joué par le climat dans la survenue de l’épidémie alors qu’il travaillait sur des relevés climatiques obtenus à partir de cernes d’arbres. Lui et ses collègues se sont servis de ces données pour reconstituer l’historique des températures et des précipitations de ces 2 000 dernières années. « La datation est d’une précision remarquable », se réjouit-il.

En consultant les archives climatiques établies à partir d’arbres de toute l’Europe, Ulf Büntgen a remarqué que les températures de l’ensemble du bassin méditerranéen furent légèrement plus fraîches que la moyenne de 1345 à 1357. « Rien de très saisissant », concède-t-il. Mais il souhaitait comprendre l’origine de de ce refroidissement. Il soupçonnait une activité volcanique et donc des rejets d’aérosols refroidissant le climat. Il s’est donc tourné vers des spécialistes des carottes de glace, qui préservent des archives chimiques des conditions atmosphériques de la Terre. Au niveau de couches datées autour de l’an 1345, des carottes du Groenland et de l’Antarctique présentaient des niveaux élevés de sulfure, un élément émis lors des éruptions. Cela suggérait la survenue à cette période d’une éruption ou d’une série d’éruptions, probablement au niveau des tropiques.

Curieux de potentielles implications sociétales, Ulf Büntgen s’est associé à l’historien du Moyen Âge Martin Bauch pour poursuivre la reconstitution de cette histoire. Ce dernier a découvert des traces d’activité volcanique dans les archives historiques. En Chine et en Bohême, des témoins parlent d’éclipses de Lune qui, selon le calcul des orbites, ne purent pas avoir lieu à ce moment-là. Selon cet historien de l’Institut Leibniz d’Histoire et de culture d’Europe de l’Est, à Leipzig, il est donc possible qu’un ciel chargé de particules ait modifié l’apparence de la Lune depuis la Terre et ait donné lieu à ces témoignages étranges.

Cette vague de froid de plusieurs années affecta probablement aussi les récoltes dans tout le bassin méditerranéen et suscita des actions humaines qui purent accélérer la propagation de la peste. Selon Martin Bauch, les cités-États italiennes accordaient une grande importance à la sécurité alimentaire. Après les famines du siècle précédent, elles avaient développé des réseaux commerciaux de longue distance afin de pouvoir acquérir du blé en Afrique du Nord et dans la région de la mer Noire, à l’ouest.

D’après des archives historiques, administratives et juridiques, le prix des céréales augmenta alors subitement et les craintes quant à la sécurité alimentaire semblent avoir atteint leur apogée en 1346 et 1347. « Même des acteurs majeurs tels que Venise et Gênes éprouvent soudain le besoin d’importer autant de céréales que possible », raconte Martin Bauch.

Selon Hannah Barker, quelques années plus tôt, une guerre commerciale entre ces cités-États et les Mongols, qui contrôlaient la majorité du nord de la mer Noire, interrompit les importations céréalières depuis cette région. Mais alors que les Mongols mouraient de la peste et que Venise et Gênes désespéraient d’obtenir du blé, les deux camps s’investirent de moins en moins dans la guerre commerciale et permirent ainsi de fait aux navires de transporter leurs marchandises – et la peste – vers les cités-États italiennes. Les puces porteuses de pathogènes peuvent survivre grâce à la poussière des céréales et au sang des rats et des souris présents sur les navires céréaliers. « Le retour à la paix et la reprise du commerce céréalier sont ce qui a causé sa propagation », explique-t-elle.

Dans l’ensemble, les cités-États parvinrent à éviter la famine, ainsi que le rappelle Martin Bauch. « Mais elles introduisent alors dans leurs villes le pire danger imaginable ». Les Vénitiens expédièrent une partie des céréales importées vers Padoue et Trente, ce qui eut peut-être pour effet de déclencher des épidémies de peste dans ces villes. Dès la fin de l’années 1348, de nombreux endroits en Italie et sur le pourtour méditerranéen avaient été frappés par la peste noire.

 

LIENS AVEC LE CLIMAT

Dans un article publié en 2021, Hannah Barker avait déjà établi un lien entre le commerce céréalier et la propagation de la peste. Mais le lien avec l’activité volcanique n’était pas encore connu. « C’est une preuve supplémentaire du fait que la collaboration entre historiens et paléoscientifiques produit de bonnes choses », affirme Timothy Newfield, historien des maladies à l’Université de Georgetown, à Washington, qui n’a pas pris part aux recherches. Selon lui, il est de coutume pour les historiens d’effectuer leurs recherches, d’écrire et de publier seuls. Ce travail de recherche « relève les exigences quant à la façon dont nous étudions le rapport entre les pestes passées et le climat ».

Pour Kyle Harper, historien à l’Université d’Oklahoma à Norman n’ayant pas pris part aux présentes recherches, les études de cette sorte, qui combinent sources historiques et relevés climatiques, peuvent aider les chercheurs à mieux comprendre les moteurs de l’émergence et de la transmission des maladies.

Bien que la mortalité due aux infections par Yersinia pestis ait drastiquement chuté, l’importance scientifique de cette bactérie demeure. Les antibiotiques, les vaccins et l’accès à l’eau potable ont largement fait reculer la mortalité liée aux maladies infectieuses, ainsi que le rappelle Hannah Harper. Les chercheurs doivent donc se tourner vers le passé pour trouver des études de cas leur permettant de mieux cerner les facteurs à l’œuvre dans sa propagation et particulièrement le lien entre changement climatique et santé.

Selon Hannah Harper, la conjonction des événements nécessaires à la survenue des « épidémies sidérantes » de peste s’est produite plusieurs fois au cours de l’Histoire. Les chercheurs devraient donc apprendre de celles-ci. « La peste noire est d’une improbabilité extrême, souligne-t-elle. Si l’on s’en tient aux probabilités, cela ne devrait jamais se produire. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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