Gef, la mangouste "parlante" qui défraya la chronique

Pleine d’esprit, bavarde et polyglotte, Gef, la mangouste qui parle, a peut-être été l’antidote aux mauvaises nouvelles du début du 20e siècle.

De Erin Blakemore
Publication 22 sept. 2023, 17:03 CEST
Image d'illustration montrant une mangouste ichneumon (Herpestes ichneumon), photographiée en mars 2008.

Image d'illustration montrant une mangouste ichneumon (Herpestes ichneumon), photographiée en mars 2008.

PHOTOGRAPHIE DE PhotoStock-Israel / Alamy Banque D'Images

Entre montée du fascisme, menaces de guerre et effets persistants de la Grande Dépression, l’humeur n’était pas eu beau fixe en Europe dans les années 1930. Au cours de cette même décennie, les lecteurs du monde entier découvrirent cependant dans leurs journaux des allégations bien plus légères : les récits d’une mangouste parlante qui hantait, disait-on, un cottage sur une île isolée de la mer d’Irlande.

L’histoire étrange et inexpliquée de cet animal appelé Gef fascine toujours autant près d’un siècle plus tard, comme le montre la réalisation d'enquêtes rétrospectives ou du film Nandor Fodor and the Talking Mongoose, une comédie de 2023 mettant en scène Simon Pegg, Minnie Driver et la voix de Neil Gaiman dans le rôle de la mangouste parlante.

 

UNE FERME HANTÉE

L’histoire de Gef commence à Doarlish Cashen, une ferme de l’île de Man.

Située entre l’Angleterre et l’Irlande, cette île de 572 kilomètres carrés connue pour sa beauté naturelle balayée par les vents et ses côtes éloignées et accidentées, est une dépendance de la Couronne britannique depuis 1828. Au début des années 1930, les membres de la famille Irving déclarèrent entendre des bruits étranges derrière les murs de leur vieille maison en pierre. Ils crurent d’abord qu’il s’agissait d’une souris, mais finirent par affirmer que la créature qui se trouvait derrière ces murs s’était mise à leur parler. Elle se serait présentée comme une mangouste de quatre-vingts ans répondant au nom de Gef (prononcé « Jeff »), originaire de New Delhi. 

Selon James, Margaret et leur fille adolescente Voirrey Irving, la mangouste parlait d’une voix aiguë et dans plusieurs langues différentes. Elle conversait avec eux, répétait leurs conversations et parfois, les menaçait. Les nuits étaient emplies des sons et des histoires de Gef, et les Irving expliquèrent s’être rapidement liés d’amitié avec lui.

James Irving et sa fille Voirrey photographiés dans leur maison de l’île de Man, une île isolée de la mer d’Irlande.

PHOTOGRAPHIE DE Archive PL, Alamy Stock Photo

Gef était plein d’esprit, expérimenté et moqueur, et la famille commença à lui laisser de la nourriture et à avoir de longues conversations avec lui. En retour, la mangouste chassait des lapins pour la famille, lui racontait des légendes et des contes de fées et lui faisait des blagues. « Je vais fendre l’atome ! Je suis la cinquième dimension ! Je suis la huitième merveille du monde », se serait un jour exclamé Gef. Il leur aurait aussi dit qu’il pourrait tous les tuer, mais qu’il ne le ferait pas.

 

UN AMI DE LA FAMILLE

Les trois membres de la famille Irving affirmaient pouvoir entendre Gef et converser avec lui et qu’il tenait parfois des propos morbides tout en manifestant une affection particulière pour Voirrey. Leurs affirmations selon lesquelles leur maison était hantée par un animal invisible doué de parole suscitèrent l’intérêt de la population locale et valurent à Gef le surnom d’« épouvantail de Dalby », en référence au nom du village le plus proche.

Les journalistes eurent vent de l’histoire et affluèrent sur l’île, désireux de découvrir si les Irving n’étaient que de gais plaisantins ou les auteurs d’une véritable escroquerie. Mais les Irving se révélèrent énigmatiques : même si Gef faisait du bruit en présence d’autres personnes, il ne s’adressait que rarement aux étrangers, et les Irving ne purent apporter de preuve réelle de son existence.

Néanmoins, comme l’a écrit un journaliste en 1931, « ces gens qui prétendent entendre la voix de l’étrange belette semblent sains d’esprit, honnêtes et responsables et ne sont pas susceptibles de se livrer à une plaisanterie délicate, longue à n’en plus finir et peu rentable pour faire parler d’eux dans le monde entier ».

 

UNE RENOMMÉE MONDIALE, DES ALLÉGATIONS PARANORMALES 

Gef attira également l’attention des adeptes du spiritisme, un mouvement alors très populaire qui prétendait que les humains pouvaient communiquer avec le monde des esprits par l’intermédiaire de médiums et de fantômes. Ils accoururent sur l’île de Man pour en apprendre plus sur la mangouste fantôme. L’attention du monde pour cette affaire était telle que l’Institut international de recherche psychique (International Institute for Psychical Research), un groupe installé à Londres qui prétendait pouvoir tester divers phénomènes pour prouver ou non leur véracité, lança une enquête. 

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    Représentation d’artiste de « Gef », la mangouste « parlante » qui se lia d’amitié avec Voirrey Irving, une jeune irlandaise de 17 ans originaire de l’île de Man, et sa famille.

    PHOTOGRAPHIE DE Chronicle, Alamy Stock Photo

    Harry Price, un enquêteur connu pour avoir dénoncé de fausses histoires de fantômes, visita l’île en 1935 en compagnie de R.S. Lambert, un employé de la BBC qui éditait le magazine The Listener, un guide de la programmation de la BBC. Gef ne leur adressa pas la parole durant leur visite.

    Pour étayer sa thèse paranormale, James Irving envoya à Price et Lambert des échantillons de poils, de dents et de griffes de la créature, qui se révélèrent provenir du chien de berger de la famille. Un livre publié en 1936 sur l’affaire conclut qu’en l’absence de preuves plus substantielles, l’affaire de la mangouste parlante devait être considérée comme un canular.

    Malgré l’absence de preuves, les Irving refusèrent de faire marche arrière. Gef « existe malheureusement. C’est une croix que nous devons porter », déclarait James Irving à un journaliste en 1936. Tandis que les Irving renchérissaient, leurs partisans les défendaient, affirmant que toute cette histoire ne pouvait être un canular, et présentant les Irving comme une famille tranquille, honnête et modeste.

    Bientôt, Gef apparaissait dans un endroit encore plus improbable : les tribunaux britanniques.

     

    LE PROCÈS DE GEF 

    Après l’enquête de Price et Lambert, ce dernier mentionna Gef dans le magazine à grand tirage qu’il éditait, ce qui attira encore plus l’attention sur cette affaire. Lorsqu’un collègue de travail répandit des rumeurs selon lesquelles Lambert croyait à l’occultisme, Lambert lui intenta un procès pour diffamation et obtint gain de cause.

    Lambert poursuivit également son employeur, la BBC, pour des raisons similaires, ce qui conduisit le Premier ministre britannique de l’époque, Stanley Baldwin, à ouvrir une enquête spéciale, qui permit d’innocenter la BBC.

    « En parcourant les diverses aventures occultes, journalistiques et juridiques de Gef, écrit l’historien Jeffrey Sconce, il s’avère très difficile de faire la part des choses. Il est presque impossible de distinguer ceux qui croyaient vraiment à l’existence de la belette de ceux qui faisaient semblant de croire qu’elle existait. »

     

    LE MYSTÈRE DE LA MANGOUSTE PARLANTE

    Dans tous les cas, si Gef était vraiment une imposture, les Irving ne le laissèrent jamais entendre. À l’âge d’or des fraudes et des canulars associés au spiritisme, nombreux étaient ceux qui finissaient par confesser leur mensonge. Pas la famille Irving. Au contraire, ils s’accrochèrent à leur version des faits, à savoir qu’une mangouste parlante avait élu domicile dans leur maison et s’était liée d’une amitié improbable avec eux.

    Finalement, Gef cessa de parler, quand James Irving tomba malade et que Voirrey Irving quitta la maison. Margaret finit par vendre la ferme à un homme qui prétendit l’année suivante, avoir abattu un étrange animal sur le terrain. Finalement, Doarlish Cashen fut démolie. Quant à Voirrey, qui est décédée en 2005, elle resta jusqu’au bout fidèle à sa version des faits. 

    Voirrey était-elle ventriloque ? Les Irving étaient-ils simplement victimes d’un délire collectif ? Les historiens ne savent toujours pas pourquoi la famille aurait participé à un canular qui dura des années, et qui, surtout, dévalua leur ferme, ne leur rapporta pas d’argent et ne les aida qu’à atteindre une célébrité controversée. Quelle que soit la réponse, Gef continue d’intriguer et d’attiser la curiosité depuis des décennies. 

    Si Gef est aujourd’hui silencieux, les interrogations et la fascination suscitées par « l’homme belette » perdurent, bien après la disparition des supposées traces de son étrange existence.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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