La Première Guerre mondiale a poussé National Geographic à se lancer dans la cartographie
Notre première carte à avoir été produite en interne le fut pendant la Première Guerre mondiale. Dès la Seconde, la Maison-Blanche réclama spécifiquement des cartes estampillées National Geographic.

Les cartes de la National Geographic Society fournissent une toile de fond à une rencontre entre Franklin D. Roosevelt et le politicien soviétique Vyacheslav Molotov lors de la Seconde Guerre mondiale.
Pologne. Danemark. Norvège. Belgique. Tandis que les troupes d’Hitler déferlaient sur l’Europe, vague après vague, irrésistiblement, les nations s’effondraient et les frontières des États conquis se fondaient dans celles de l’Allemagne.
Mais à des milliers de kilomètres de là, un groupe de cartographes dévoués de National Geographic recevait des consignes en apparente contradiction avec la réalité : ne pas modifier la carte de l’Europe jusqu’à ce que la guerre soit terminée ; maintenir les frontières telles quelles permettrait de montrer ce qui était en jeu.
La National Geographic Society produisait des cartes depuis la Première Guerre mondiale. Et son président, Gilbert Grosvenor, avait non seulement anticipé le conflit, mais il savait également que les lecteurs de National Geographic auraient besoin de cartes pour le comprendre. En 1915, mécontent de la première carte que lui avait fournie un prestataire externe, Gilbert Grosvenor créa un département de cartographie au sein même de la Society.
National Geographic venait de mettre un pied dans la production de cartes. Et leur inclusion dans les magazines éveilla l’intérêt des lecteurs.
La première carte produite en interne, la « Carte du théâtre des opérations occidental », qui date de 1918, était la plus exhaustive en son genre et posa les bases de ce qu’allait être la cartographie pour des décennies. Bientôt, on offrirait ces cartes aux chefs d’États qui avaient besoin de plans détaillés des territoires d’Europe et du Pacifique.


Un million deux cent cinquante mille suppléments cartographiques pour un mois de magazines National Geographic sont pliés, puis insérés à la main dans chaque numéro. Il s’agit ici de la carte de l’Europe centrale et de la Méditerranée, qui parvint aux membres immédiatement après le début de la guerre.
Une feuille (en bas à droite) montre les parallèles, les méridiens, les toponymes, les chemins de fer et d’autres œuvres humaines sur le continent nord-américain. Sur une autre, on met en évidence ses reliefs au moyen de minuscules traits de plume (450 heures de travail). Une troisième montre les réseaux hydrographiques et une quatrième les routes. Les dessins sont réalisés par section afin que plusieurs experts puissent y travailler simultanément.
« Outre la valeur que les militaires accordaient aux cartes de la Society, je pense que les membres de [cette dernière] devaient les étudier avec une application qu’il est difficile pour nous de concevoir aujourd’hui », affirme Cathy Hunter, archiviste de la National Geographic Society. Pour elle, ces cartes sont plus que de simples listes de frontières et de toponymes. « Tant de personnes connaissaient quelqu’un qui était mobilisé à l’étranger dans des endroits dont les Américains n’avaient jamais entendu parler. »
CARTOGRAPHIER LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Lorsque les troupes nazies envahirent la Pologne en 1939, National Geographic était déjà célèbre pour ses cartes dans le monde entier. Albert H. Bumstead, cartographe en chef qui avait perfectionné son art en travaillant pour l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS), avait contribué à propulser la Society au premier plan de la cartographie internationale grâce à de nouvelles techniques inventives.
Quand Albert H. Bumstead mourut en 1940 à l’âge de 64 ans, James Darley lui succéda. Ce dernier continua à inciter les cartographes de National Geographic à produire des cartes aussi précises et innovantes que possible.
Ils avaient une longueur d’avance sur les cartographes fédéraux, explique Garrett Dash Nelson, président et conservateur principal du Centre Leventhal de cartographie et d’éducation de la Bibliothèque publique de Boston (BPL).

Des employés de la Division cartographique au travail. Debout : Carol J. Cunningham, James M. Darley (gauche) et Wellman Chamberlin.
« Tout au long des années 1930, les plus importantes missions de relevés et de cartographie conduites par le gouvernement fédéral des États-Unis ont été principalement orientées vers le territoire national, dans le cadre de programmes comme l’Institut d’études géologiques des États-Unis et l’Institut des côtes et de la géodésie », explique-t-il. En conséquence, les agences fédérales, ainsi que les membres de la Society, se tournèrent vers National Geographic pour obtenir de l’aide quand les États-Unis entrèrent en guerre.
Peu après l’attaque surprise sur Pearl Harbor, des responsables de la Maison-Blanche demandèrent à la Society de fournir au président Roosevelt des cartes susceptibles de l’aider à situer diverses îles reculées du Pacifique qui ne figuraient pas sur leurs cartes.
James Darley accéda volontiers à cette demande. Moins d’une semaine plus tard, Gilbert Grosvenor offrit au président un meuble à cartes fait à la main conçu et fabriqué par des membres de la Society.
Fabriqué en acajou, ce meuble ingénieux pouvait contenir plusieurs cartes roulées que le président et ses conseillers pouvaient facilement consulter grâce à un système de rouleaux évoquant des stores pour fenêtres. Mieux encore, les cartes étaient régulièrement mises à jour par des cartographes de National Geographic constamment à la recherche de nouveaux moyens de produire les cartes les plus précises, les plus détaillées et les plus lisibles du monde.
La National Geographic Society fabriqua par la suite des meubles à cartes pour d’autres personnalités éminentes de la Seconde Guerre mondiale, comme le Premier ministre britannique Winston Churchill, un présent commandé par Franklin Roosevelt en personne. Le meuble à cartes du président contribua à la création de la Map Room de la Maison-Blanche, un bureau ressemblant à une cellule de crise qui servit de centre névralgique à l’effort allié pour vaincre l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste et le Japon impérial.


Une autre section de « L’Allemagne et ses abords » montrant la planification de l’Opération Jubilant. Bien que jamais exécuté, ce plan avait été conçu pour permettre aux parachutistes de libérer des prisonniers de guerre alliés pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette carte se trouve désormais aux Archives nationales américaines.
Ce supplément intitulé « L’Allemagne et ses abords », paru dans le numéro de juillet 1944, servit au Quartier général des forces alliées en Europe nord-occidentale (SHAEF) durant la Seconde Guerre mondiale pour repérer les troupes ennemies et planifier les réponses alliées. Cette copie annotée de la carte est datée du 25 mars 1945 et des milliers d’exemplaires furent affichés dans toute l’Europe pour aider les convois alliés, même dans les villages les plus reculés. La carte est conservée aux Archives nationales américaines.
« L’ALLEMAGNE ET SES ABORDS »
Bien que la Society ait produit de multiples cartes durant la guerre, la plus influente fut « L’Allemagne et ses abords », qui offrait un aperçu détaillé de l’objectif final de la progression en tenaille des Alliés vers le cœur de l’Allemagne nazie. Publiée quelques semaines seulement après le débarquement de Normandie, cette carte de juillet 1944 permit à ceux restés au pays de suivre les mouvements des Alliés avec un éclairage inédit, non seulement en ce qui concerne les toponymes, mais également pour ce qui est des principales voies navigables, lignes de chemin de fer et routes.
Pour éviter toute confusion, les cartographes maintinrent les frontières là où elles étaient avant la guerre.
« Combinées à des nouvelles technologies telles que les communications radio, l’ingénierie aérospatiale et les ordinateurs, la précision et la disponibilité croissantes des informations géographiques permettaient désormais aux États-Unis de projeter leur puissance à l’échelle du monde entier, explique Garrett Dash Nelson. Les Américains commencèrent également à se familiariser, dans la culture populaire et dans l’éducation publique, avec la géographie mondiale et avec la place des États-Unis sur la scène mondiale. »
En parallèle, « L’Allemagne et ses abords » devint un outil important sur le champ de bataille.

Dwight Eisenhower montre une carte de l’Allemagne placée sur un support spécial. National Geographic créa spécifiquement des meubles à cartes pour des chefs d’État comme Franklin D. Roosevelt et Winston Churchill.
Le Corps du génie de l’armée des États-Unis (USACE) afficha 20 000 copies agrandies de la carte à des carrefours routiers stratégiques pour aider les conducteurs à acheminer des fournitures essentielles et une aide médicale jusqu’aux lignes de front. On distribuait la carte aux officiers britanniques et américains sur le champ de bataille. Elle fut même utilisée par les Alliés pour planifier l’occupation prévue de l’Allemagne et statuer sur le sort de ses voisins ; un modèle qui s’avèrerait déterminant dans l’après-guerre, dans la guerre froide et dans la reconstruction de l’Europe.
UNE RÉPUTATION DURABLE
Les estimations de la diffusion des cartes de la Society varient : selon ses propres archives, National Geographic expédia plus de 540 000 cartes en papier et 21 000 en lin au seul département de la Guerre des États-Unis en 1939 et 1945, et des milliers de plus à des agences gouvernementales telles que le Bureau de gestion des urgences (OEM) et le Bureau des services stratégiques (OSS), ancêtre de la CIA. En outre, les 1,5 million de membres de la Society recevaient chaque année quatre cartes en couleur.
Au fil du temps, les cartes National Geographic devinrent des témoins des espoirs, des craintes et des décisions d’un monde déterminé à repousser la tyrannie, mais aussi un moyen de mieux comprendre ces lieux jadis lointains qui façonnèrent le cours de la plus grande guerre que l’humanité ait connue.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
