Et si nous passions à l’heure d’été permanente ?
En 1974, les États-Unis ont essayé de vivre à l'heure d'été tout au long de l'année, mais l'expérience a viré à la panique générale.

Sur cette image, l'horloger Lawrie Taprell règle l'horloge du bureau de poste de Sydney Nord en Australie en 1989. Deux fois par an, les gardiens comme Taprell avancent ou reculent les horloges publiques pour passer à l'heure d'été ou d'hiver.
Qu'il vous enchante ou vous chagrine, le passage de l'heure normale à l'heure d'été reste l’une de nos tentatives les plus acharnées de dompter le soleil, avec près d'un tiers des pays qui le pratiquent encore de nos jours à travers le monde, non sans controverse.
Aux États-Unis, le gouvernement fédéral a standardisé pour la première fois le double changement d'heure en 1966. Actuellement, à l'exception de quelques irréductibles à Hawaï et en Arizona, la plupart des citoyens américains avancent leur montre d'une heure au printemps et reculent d'une heure à l'automne. Ces dernières années, différents États ont proposé ou adopté des lois visant à faire de l'heure d'été l'heure permanente, mais celles-ci ne peuvent pas entrer en vigueur sans l'approbation du Congrès des États-Unis.
Pourtant, le scénario n'a rien de nouveau. En 1974, les Américains ont ainsi changé d'heure pour une expérience qui devait initialement durer deux ans et avait pour objectif d’économiser l'énergie à l'heure où le pays était en proie à un choc pétrolier inattendu. Malgré tout, le changement est devenu « très impopulaire, très rapidement », résume David Prerau, auteur de Seize the Daylight: The Curious and Contentious Story of Daylight Saving Time.
L'ORIGINE DE L'HEURE D'ÉTÉ
Même si l'idée de l'heure d'été a germé bien avant le 20e siècle, l'Allemagne fut le premier pays à l'instaurer à l'échelle nationale en 1916, dans l'espoir d'économiser du carburant pendant la Première Guerre mondiale. Les États-Unis ont suivi deux ans plus tard avec le Standard Time Act de 1918, qui en plus d'établir les cinq fuseaux horaires du pays introduisait également l'heure d'été sur une partie de l'année. Cette approche offrait à l'industrie de la guerre et aux ouvriers une heure supplémentaire de lumière naturelle, mais la partie de la loi introduisant l'heure d'été fut finalement révoquée à l'issue de la guerre.
Le concept a ensuite été repris pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque les États-Unis ont appliqué à toute l'année l'heure d'été, alors connue sous le nom de « war time » (heure de la guerre), entre février 1942 et septembre 1945. Après la guerre, la décision d'adopter ou non l'heure d'été permanente a été laissée aux États et aux villes. Bien entendu, les incohérences qui ont résulté de cette approche n'ont pas manqué de provoquer la confusion générale, notamment dans le secteur du transport et de la radiodiffusion.
La solution est arrivée sous la forme de l'Uniform Time Act de 1966, une loi conçue pour « promouvoir l'adoption d'un système horaire uniforme à travers les États-Unis. » Dans les États qui avaient choisi de suivre le changement, les horloges étaient avancées d'une heure entre le dernier dimanche d'avril et le dernier dimanche d'octobre.
L'HEURE D'ÉTÉ PERMANENTE AUX ÉTATS-UNIS
Au début des années 1970, les États-Unis se heurtent à un nouveau type de crise : la pénurie d'énergie. En réaction au soutien apporté par le pays à Israël pendant la guerre du Kippour, les pays arabes membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) décrètent un embargo pétrolier envers les États-Unis. Face à l'explosion des prix du pétrole, le gouvernement fédéral cherche à réduire la consommation d'énergie, notamment en réduisant les limites de vitesse sur les autoroutes américaines. Puis, une autre idée voit le jour.
L'heure d'été a déjà permis d'économiser du carburant pendant la guerre, alors pourquoi ne pas essayer à nouveau ? « La proposition n'a pas rencontré une grande opposition. Elle paraissait plutôt raisonnable », raconte Prerau. En France aussi, le changement d'heure fut instauré à la suite du choc pétrolier de 1973-1974.
En décembre 1973, le Congrès adopta un projet de loi instaurant l'heure d'été permanente et le président Nixon promulgua la loi dès le lendemain. L'expérience devait durer deux ans et, au départ, les Américains se prêtèrent volontiers à l'exercice : un sondage national effectué ce mois-là indiquait un soutien à hauteur de 79 %.
La décision fut prise : à 2 h du matin, le 6 janvier 1974, la grande majorité du pays ferait un bond collectif en avant.
L'ÉCHEC D'UNE MESURE PROMETTEUSE
Dans un premier temps, le passage à l'heure d'été permanente sema une certaine confusion. Les compagnies aériennes peinèrent à mettre à jour leurs horaires et des centaines de touristes ratèrent l'avion qui devait les rapatrier depuis Porto Rico lorsque l'horloge avança d'une heure le 6 janvier.
En quelques semaines, une crainte s'installa dans le pays, celle de voir cette économie se faire au prix inattendu de la sécurité. Dans certaines régions, le soleil se levait désormais à 8 h 30, voire plus tard, ce qui força les enfants à prendre le chemin de l'école dans l'obscurité. Un article de l'agence United Press International recommandait aux enfants d'emporter une lampe de poche, de faire la route avec un ami et de porter du ruban réfléchissant pour se rendre plus visibles aux yeux des automobilistes.
Le Hartford Courant rapporte que quatre adolescents du Connecticut ont été percutés par des voitures en se rendant à l'école le lendemain de l'instauration de l'heure d'été. En Floride, où le gouverneur Reubin Askew avait exhorté en vain les législateurs américains à revenir à l'heure normale, huit écoliers sont victimes de collisions avec des véhicules en l'espace de quelques semaines.
Le soutien public s'estompa rapidement. En février, seulement 42 % des Américains approuvaient l'heure d'été permanente, selon le National Opinion Research Center, mais tout le monde n'était pas pour autant réfractaire au changement. Un habitant de Los Angeles, Terry McQuilkin, affirmait ainsi que l'heure d'été bénéficiait à ceux qui travaillaient plus tard. Dans une lettre adressée au Los Angeles Times, McQuilkin écrivit : « Le reste d'entre nous appréciera l'heure d'été dans un mois environ, lorsque le soleil se lèvera à l'heure où nous nous réveillons. »
Pourtant, le National Safety Council ne signale aucune augmentation notable des décès d'écoliers entre les matins de janvier 1973 et ceux de janvier 1974, d'après l'United Press International. L'inquiétude grandissante semble toutefois avoir éclipsé les potentiels bénéfices. Peu après la démission de Richard Nixon de la présidence des États-Unis suite au scandale du Watergate en août 1974, la Chambre des représentants des États-Unis vota la fin de l'expérience.
Le Sénat ne la contredit pas et admit qu'en dépit des 100 000 barils de pétrole économisés quotidiennement grâce à l'heure d'été entre janvier et avril 1974, l'aversion de la population pour les sombres matinées d'hiver dépassait les avantages de la mesure, comme le rapporta à l'époque le New York Times. Le président Gerald Ford promulgua alors un amendement qui rétablissait l'heure normale à travers le pays, du 27 octobre au dernier dimanche de février 1975.
ET AUJOURD'HUI ?
Un demi-siècle plus tard, le débat sur l'heure d'été se poursuit. Même si les dates officielles du changement d'heure ont évolué au fil des années, certains législateurs continuent de défendre l'application permanente de l'heure d'été ou, parfois, de l'heure normale.
Quant à savoir si les adultes préféreraient vivre toute l'année à l'heure d'été ou à l'heure normale, les sondages n'offrent pas de réponse claire, même si les dernières données de Gallup semblent plutôt pencher en faveur de la seconde option.
Depuis des années, les partisans de l'heure d'été permanente reprennent en cœur des arguments allant des intérêts économiques aux avantages associés au fait de « profiter plus tard de la lumière solaire ». Selon ses détracteurs, la pratique perturberait le sommeil et pourrait avoir des effets négatifs sur la santé.
Pour Matthew Kotchen, professeur d'économie au sein du département d'études environnementales de l'université Yale, l'heure d'été ferait en fait plus de mal que de bien en matière de consommation d'énergie. Au final, indique-t-il, les Américains se sont pris de passion pour le débat dans des « directions diamétralement opposées. »
« Je pense que la situation actuelle est un bon compromis », conclut Kotchen.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.