Madame de Maintenon : une ambitieuse roturière à Versailles

Si la première impression qu’eut le Roi-Soleil de la gouvernante de ses enfants fut celle d’une femme rigide et pudibonde, il finit tout de même par l’épouser, dans le plus grand secret.

De Erin Zaleski
Publication 27 août 2025, 16:23 CEST
Portrait de Françoise d’Aubigné (1635-1719), marquise de Maintenon, vers 1694 (peinture à l’huile), par Pierre Mignard ...

Portrait de Françoise d’Aubigné (1635-1719), marquise de Maintenon, vers 1694 (peinture à l’huile), par Pierre Mignard (1612-95), château de Versailles, France.

PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman Images

À l’automne 1683, dans une chapelle éclairée à la bougie du palais de Versailles eut lieu une cérémonie de mariage nocturne.

Le marié n’était autre que le roi de France, Louis XIV, qui avait alors quarante-cinq ans. La mariée était la marquise de Maintenon, quarante-huit ans, femme d’extraction modeste qui avait été la gouvernante de ses enfants. Ces noces clandestines eurent pour seul public le confesseur du roi et l’archevêque de Paris ; le mariage ne fut d’ailleurs jamais officialisé.

À l’insu de la cour de Versailles et du reste du monde, Madame de Maintenon devint reine de France, une reine toutefois sans couronne.

Peu de personnages de l’Ancien Régime sont aussi énigmatiques et clivants que la marquise de Maintenon. On l’a dépeinte tout à tour comme une Cendrillon généreuse et comme une intrigante arriviste. L’histoire de cette femme partie de rien ou presque, tantôt adulée, tantôt méprisée, est assurément extraordinaire et semble tout droit sortie d’un conte de fées.

Françoise d’Aubigné, comme elle s’appelait alors, vit le jour en 1635 dans une prison de Niort où son père, Constant, était incarcéré pour divers crimes et délits. Elle était le fruit de l’union entre ce dernier et la fille du gouverneur de la prison, bien plus jeune que lui. Son grand-père, Agrippa d’Aubigné, était un poète renommé et une figure respectée de la petite noblesse, mais malheureusement pour Françoise, Constant ne suivit pas l’exemple de son père et passa sa vie à boire, à jouer et à monter des escroqueries dans tout le royaume de France.

Mariage secret du roi Louis XIV (1638-1715) et de Françoise d’Aubigné, marquise de Maintenon (Madame de ...

Mariage secret du roi Louis XIV (1638-1715) et de Françoise d’Aubigné, marquise de Maintenon (Madame de Maintenon 1635-1719. Gravure tirée de l’ouvrage « Louis XIV et son siècle » d’Alexandre Dumas, 1851. Collection privée.

PHOTOGRAPHIE DE The Holbarn Archive, Bridgeman Images

Agrippa d’Aubigné fut si déçu par ce « scélérat » de fils qu’il le déshérita, laissant sans le savoir la jeune épouse de Constant et ses enfants à la merci des caprices de leur marie et père, comme en témoigne ce voyage périlleux entrepris à travers l’Atlantique, deux ans après sa libération, pour rejoindre les Antilles néerlandaises dans le but, vain, de lancer une plantation. Constant abandonna ensuite sa famille et revint en France où il mourut peu de temps après dans des circonstances troubles. Désargentée, abandonnée par Constant, la famille d’Aubigné quitta les Antilles. Cependant, la situation de la famille était si désespérée que de retour en France, Françoise, qui n’avait alors que douze ans, n’eut d’autre choix que de mendier son pain dans les rues de la Rochelle.

L’instabilité accompagna Françoise jusqu’à l’adolescence. Elle vécut un temps auprès d’une tante et d’un oncle huguenots qu’elle chérissait, puis chez la mère de sa marraine, Madame de Neuillant, qui l’expédia aussitôt dans un couvent d’Ursulines dans l’espoir de convertir cette adolescente rebelle au catholicisme. D’abord rétive, elle finit par embrasser la religion dominante, notamment grâce à l’intervention d’une jeune nonne, sœur Céleste, avec qui elle noua une profonde amitié. Mais Françoise perdit sa place au couvent parce que Madame de Neuillant refusait de payer les frais, et cette dernière la maria au poète Paul Scarron. En rencontrant le poète, de plus de vingt ans son aîné et difforme en raison d’une polyarthrite rhumatoïde, l’adolescente de seize ans aurait éclaté en sanglots. Cependant, Françoise accepta sa demande en mariage. Bien que considérée comme étant d’une grande beauté, cette brune aux yeux foncés était sans le sou, orpheline et dépourvue de dot. Son unique alternative au mariage était de retourner au couvent.

Cette union allait néanmoins changer le cours de sa vie. Ce qu’il ne possédait pas en atouts physiques, Paul Scarron le compensait par son intelligence, son esprit et son habileté sociale. Hôte d’un célèbre salon mondain à Paris, il recevait un mélange de sommités littéraires, de philosophes et d’aristocrates fortunés. Sa jeune épouse devint rapidement une figure éminente du milieu mondain parisien. En plus de sa beauté physique – on la surnommait « la belle indienne » en raison de son teint hâlé –, Françoise était également d’une grande intelligence. Ses séjours auprès de sa tante et de son oncle et ses passages au couvent lui avaient donné une éducation qu’elle perfectionna en fréquentant et en étudiant de près les invités raffinés du salon. Consciente qu’elle ne pouvait rivaliser avec les femmes élégantes et privilégiées de son entourage, Françoise eut recours à une stratégie pour le moins originale pour se garantir un succès social.

« Incapable de suivre la mode, elle joua plutôt un contrepoint tactique, s’habillant avec une simplicité délibérée, dédaignant même les bijoux modestes qu’elle aurait pu porter », écrit Veronica Buckley dans une biographie sur Madame de Maintenon.

Cette image de modestie calculée séduisit les nobles et, bientôt, Françoise, désormais Madame Scarron, développa une habileté sociale que les magnats actuels du monde des affaires pourraient lui envier. Douée pour la conversation et d’une grande capacité d’écoute, elle se lia d’amitié avec Racine et La Fontaine ainsi qu’avec la légendaire courtisane Ninon de Lenclos.

« Elle a un esprit agréable et merveilleusement sensible », écrivit l’aristocrate Madame de Sévigné dans une lettre où elle qualifie également de « délicieuse » la compagnie de Françoise.

Ce tissu relationnel éblouissant lui fut d’un grand secours à la mort de Paul Scarron, qui laissa une montagne de dettes à sa veuve de vingt-cinq ans. Ses nouveaux amis l’aidèrent à obtenir une pension de la part de la reine mère, mais ce fut un autre personnage haut placé du salon qui lui offrit une occasion d’élever son statut vers de nouveaux sommets.

Membre de la haute noblesse, Athénaïs de Montespan, vingt-neuf ans, était la maîtresse officielle de Louis XIV et avait besoin d’une gouvernante pour élever dans la discrétion la descendance illégitime du roi de trente-et-un ans, un poste que Françoise accepta. Madame de Montespan et le roi eurent en tout et pour tout sept enfants. Le roi vit d’abord en cette gouvernante une femme rigide et prude et la trouvait « insupportable ». Mais son jugement sur Françoise s’adoucit avec les années. Il fut charmé par l’amour qu’elle prodiguait à ses enfants – « Ce serait quelque chose d’être aimé par une femme comme elle », aurait-il dit – et il fut impressionné par son intelligence et par son attitude calme et rationnelle, un contraste rafraîchissant par rapport à l’exigeante Montespan.

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    Salon à Versailles à l’époque de Louis XIV, 1660.

    Salon à Versailles à l’époque de Louis XIV, 1660.

    PHOTOGRAPHIE DE Look and Learn, Bridgeman Images

    Ils se lièrent d’amitié au début des années 1670, alors que Françoise approchait de la fin de la trentaine. Le lien entre le monarque et la gouvernante s’étoffa encore lorsqu’elle quitta Paris avec les enfants pour s’installer à Saint-Germain-en-Laye ; on dit que Louis, sous la douce influence de Françoise avait décidé de légitimer la descendance que lui avait donnée Madame de Montespan. Louis et Françoise passèrent de plus en plus de temps ensemble, à s’entretenir de sujets profonds et le roi lui témoigna son estime en lui offrant de généreux avantages pécuniaires.

    Françoise se servit de cet argent pour acquérir un château de style Renaissance à Maintenon et Louis XIV lui octroya le titre de marquise de Maintenon. Les historiens estiment qu’une relation amoureuse aurait commencé entre le roi et Madame de Maintenon vers 1680. Selon les spéculations de certains, il se serait lassé des excès et caprices de Madame de Montespan et était enfin prêt à s’installer avec quelqu’un de stable et de sérieux. La pieuse Madame de Maintenon était la candidate idéale – il arrivait que le roi la surnomme « Votre Constance » – et une amitié solide existait déjà entre les deux. Louis, alors d’âge mûr, avait également été confronté à la maladie au cours des années qui venaient de s’écouler et commençait à sentir le poids de sa propre mortalité.

    « C’était un homme de foi, rappelle Veronica Buckley. Il avait peur de mourir et d’aller en enfer. »

    En effet, à cette époque, l’on remarqua des changements chez le souverain ainsi qu’à la Cour. Les fêtes débauchées cessèrent et Madame de Montespan, à sa grande peine, fut officiellement écartée au profit de celle qui avait été son amie. À la demande de Madame de Maintenon, ce séducteur invétéré commença à faire preuve d’un comportement plus clément vis-à-vis de son épouse, la reine Marie-Thérèse, alors qu’elle vivait ses dernières années.

    Quelques mois après le décès de la reine, en 1683, le roi de France et Madame de Maintenon se marièrent lors d’une cérémonie nocturne et intime. En raison de son statut social inférieur, on tint l’union secrète, bien que de nombreux courtisans aient soupçonné la vérité. Après le mariage, Louis XIV abandonna le batifolage qui avait caractérisé sa vie jusqu’alors et mena une existence plus vertueuse, un changement que les historiens attribuent à l’influence de sa dévote épouse.

    Si le roi était épris d’elle, tout le monde à la Cour n’appréciait pas cette ancienne roturière dont les appartements à Versailles jouxtaient ceux du roi. « Vieille sorcière », « vieille putain » ou encore « crotte de souris » sont quelques-uns des sobriquets insultants dont la princesse Palatine, belle-sœur du roi, affublait cette seconde épouse dans des lettres adressées à des proches. Dans ses mémoires, le duc de Saint-Simon brosse quant à lui le portrait d’une hypocrite manipulatrice et avide de pouvoir.

    « Elle était très belle, elle était très intelligente, elle avait une grâce naturelle et une autorité innée, et pourtant elle ne venait de nulle part et les gens n’aiment pas ça, explique Veronica Buckley. Surtout dans un contexte où le rang est tout, on était volontiers hostile : “Mais pour qui se prend-elle ?” »

    D’après Christine Adams, professeure au St. Mary’s College, dans l’État américain du Maryland, et co-autrice d’un livre sur les maîtresses royales en France, les historiens du 19e siècle ont en outre injustement diabolisé Madame de Maintenon, lui reprochant par exemple la décision du roi de révoquer l’Édit de Nantes, qui eut pour effet de soumettre les huguenots du pays à de nouvelles persécutions et violences.

    « L’historiographie la concernant est très partagée », affirme-t-elle, tout en reconnaissant que comme la plupart des membres de la Cour de Versailles, la reine sans couronne avait un côté impitoyable. « Je pense que nous avons tous été influencés par cette sorte de légende noire la concernant. »

    Son influence réelle à la Cour demeure également un sujet de débats entre les historiens.

    « Louis XIV ne voulait pas de Madame de Maintenon au sein de son gouvernement, il la voulait dans son lit », plaisantait Jean Cordelier dans la biographie qu’il lui consacrait en 1955. Mais de nombreux spécialistes actuels ne sont pas de cet avis et affirment qu’elle joua un rôle central dans le gouvernement du Roi-Soleil.

    Dans un ouvrageMark Bryant avance qu’à un certain moment, le pouvoir de Madame de Maintenon à Versailles rivalisait avec celui des ministres, notamment durant la guerre de Succession d’Espagne, lorsqu'en plus de « participer à des discussions conciliaires, elle recevait et nommait des ambassadeurs et contribuait à la modification des politiques gouvernementales ». 

    « Elle jouissait clairement d’un pouvoir énorme en tant que conseillère politique ; leurs conseils se tenaient dans ses appartements, révèle Christine Adams. La personne qui est le canal le plus influent pour obtenir les faveurs du roi est une personne jouissant d’un pouvoir politique. »

    C’est toutefois le pensionnat qu’elle fonda à Saint-Cyr, non loin de Versailles, qui semble l’avoir particulièrement passionnée. Les élèves de la Maison royale de Saint-Louis étaient des jeunes filles paupérisées d’extraction noble – un peu comme elle – à qui l’on donnait une éducation d’élite et on fournissait une dot. À la mort de Louis XIV, en 1715, Madame de Maintenon se retira dans cette école où elle continua de recevoir d’illustres visiteurs, dont Pierre le Grand. Elle mourut quatre ans après son époux le roi, à l’âge de quatre-vingt-trois ans, et fut enterrée dans la chapelle de l’école.

    Situé à moins d’une heure en train de Paris, le château de Maintenon est entouré de splendides jardins fleuris dessinés par André Le Nôtre, célèbre jardinier à l’origine des jardins du château de Versailles. Chaque printemps, 15 000 tulipes y fleurissent et tout au long de l’année, les visiteurs peuvent visiter l’intérieur et admirer divers effets personnels, notamment une bibliothèque remplie de ses ouvrages favoris. Le grand portrait de la marquise, peint à l’huile par Pierre Mignard, est également accroché dans le château. On y voit une femme corpulente d’âge mûr vêtue d’une robe en brocart doré et d’une cape bleu roi. Elle tient un livre ouvert dans la main gauche et semble contempler pensivement les spectateurs.

    Vers la fin de sa vie, Madame de Maintenon brûla des milliers de lettres personnelles, dont la plupart de sa correspondance avec Louis XIV. D’autres lettres furent perdues au 19e siècle lors d’un incendie au Louvre.

    « Ma vie a été un miracle ! », aurait-elle confié à une amie dans ses dernières années.

    Plus de trois cents ans après sa mort, la destruction de ses écrits les plus intimes préserve le mystère de cette secrète reine de France.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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