Découverte : des chasseurs du Néolithique élaboraient des "méga-pièges"

La découverte de gravures représentant à l’identique des sites de chasse vieux de 9000 ans indique que ces populations du Néolithique avaient une conception de la spatialité bien plus complexe que ce que l'on pensait.

De Marie Zekri
Publication 18 juil. 2023, 10:28 CEST
Photo aérienne oblique d'un cerf-volant du désert en Jordanie à Harrat al-Shaam, à l'est d'Al-Kafr, en ...

Photo aérienne oblique d'un cerf-volant du désert en Jordanie à Harrat al-Shaam, à l'est d'Al-Kafr, en Jordanie.

PHOTOGRAPHIE DE E. Regagnon, Globalkites Project, CNRS

Sept mille ans avant notre ère, des chasseurs du Néolithique aménageaient des enclos dans de larges étendues désertiques afin d’y piéger le gibier. Une récente publication révèle que ces « cerfs-volants du désert », nom donné aux structures observées depuis le ciel par les premiers aviateurs qui ont survolé la zone il y a environ un siècle, ont été représentés avec une précision impressionnante sur des pierres, par les architectes de ces pièges monumentaux qui s’étendaient sur des kilomètres.  

« Tout l’intérêt de ces dessins que l’on a retrouvé sur ces pierres », explique Rémy Crassard, directeur de l’étude et chercheur en paléoarchéologie au CNRS, « c’est qu’ils représentent les énormes structures que l’on ne peut voir que depuis le ciel », lesquelles sont étudiées via le projet « Globalkites », qui résulte d’un partenariat entre le laboratoire Archéorient de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée, et de l’Agence Nationale Française de la Recherche, et permet de recenser ces immenses structures.

 

UNE CHORÉGRAPHIE DE CHASSE

« C’est au tout début des années 2010 avec l’avènement des plateformes en ligne d’images satellite à très haute résolution », raconte Rémy Crassard, « que l’on a commencé à dresser un inventaire de ces structures alors seulement appréhendées grâce à de très vieilles photographies aériennes ». Les premiers aviateurs, anglais pour la plupart, comparaient ces impressionnants dessins à des cerfs-volants. Seules quelques centaines étaient alors répertoriées. On en savait également très peu sur leur origine et leur fonciton. Aujourd’hui, la collaboration scientifique interdisciplinaire qu’a mobilisé le projet de recherche « Globalkites », permet d’en comptabiliser à ce jour plus de 7000. 

Vue aérienne d’un « cerf-volant du désert » depuis Jebel az-Zilliyat, Arabie saoudite. 

PHOTOGRAPHIE DE O. Barge, CNRS

Ces formes étranges, discernables uniquement depuis le ciel, sont des pièges disséminés de l’Arabie Saoudite jusqu’au Kazakhstan, en passant la Jordanie, la Syrie, la Turquie, l’Irak, l’Arménie et l’Ouzbékistan. Les archéologues émettent trois hypothèses, fortement liées les unes aux autres, quant à la conception et au fonctionnement de ces structures qui auraient servi du Néolithique au Moyen Âge, tout au long d’un arc aride s’étendant « du proche et moyen orient, au Caucase, jusqu’à l’Asie centrale ».

La première hypothèse est celle de « plans d’architectes ». Ces pièges, parfois longs de plusieurs kilomètres, sont composés d’enclos pouvant englober une superficie allant jusqu'à un hectare. Tout autour des enclos se trouvent « plein de petites cellules, qui après fouille, se sont avérées être des fosses », explique le paléo-chercheur. Fosses qui sont aujourd’hui totalement recouvertes d’accumulations de dépôts millénaires de sédiments. Les animaux sauvages suivaient de grands « murs guides » avant de se précipiter vers ces trous béants de 5 à 10 mètres de diamètre et de 2 à 3 mètres de profondeur. 

La totalité des éléments présents sur les sites semblent avoir été minutieusement pensés et élaborés pour que les troupeaux de gazelles et autres gibiers y tombent, avant d’être ramassés par les chasseurs, « qui sont finalement plus des trappeurs que des chasseurs », précise Rémy Crassard. « Retrouver des squelettes d’animaux dans ces fosses est d’ailleurs très rare […] à l’exception de quelques restes de gazelles », puisque la plupart du temps, ces fosses-pièges ont été vidées de leur contenu. Cependant, les rares éléments retrouvés ont joué un rôle essentiel, car ils ont permis de dater ces pièges. 

La deuxième hypothèse repose sur une anticipation de la chasse et une utilisation de l’espace. « Il n’y avait peut-être pas besoin d’un vrai plan d’architecte pour construire ces structures », explique Rémy Crassard. « Peut-être que tout était déjà dans la tête des constructeurs ». Ce plan pouvait servir à anticiper, voire à chorégraphier la chasse. Étant donnée l’étendue des surfaces, il fallait probablement coordonner plusieurs équipes de chasseurs, peut-être accompagnés de chiens, pour attirer les gazelles vers l’entrée du piège ». 

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    Gauche: Supérieur:

    Rocher comportant des gravures représentatives des plans de chasse de populations du Néolithique, deux « cerfs-volants » du désert, rétrouvés sur le site de Jebel az-Zilliyat, en Arabie saoudite.

    Droite: Fond:

    Dessin d’une vue projetée de la représentation des « cerfs-volants » déssinés sur le site de Jebel az-Zilliyat dans le désert d'Arabie Saoudite, mettant en évidence les zones gravées et altérées.

    Photographies de Crassard et al. 2023 PLOS ONE

    Enfin, les scientifiques s’accordent pour proposer la possibilité d’une « représentation symbolique de la structure ». Les concepteurs cherchaient probablement à montrer une maîtrise absolue d’un environnement hostile et isolé, par-delà toutes les grandes zones de sédentarisation et villages de l’époque du Néolithique. Malgré le contexte géographique des sites, les chasseurs « maîtrisaient quelque chose de très élaboré », en matière de planification et de technique. Ces « cerfs-volants » servaient probablement à laisser des traces pour les générations futures, et ainsi appuyer un intérêt rituel ou cultuel. « L’utilisation de ces structures s’est [d’ailleurs] étendue sur plusieurs générations », explique Rémy Crassard.

     

    INTELLIGENCE SPATIALE ET COLLECTIVE 

    « La particularité de ces plans est qu’ils sont à l’échelle », précise le chercheur. C’est-à-dire qu’ils sont très précis, et respectent des dimensions exactes, pour des lignes dont il est difficile de mesurer la trajectoire depuis le sol. Cette utilisation précise des plans, datés de la même période que les sites de chasse, suppose que la notion de dimensions existait déjà au Néolithique. Cette conscience aiguë de l’espace est d’autant plus impressionnante qu’il est très difficile de distinguer le dessin des structures, au niveau du sol, de la même façon que pour les célèbres lignes de Nazca, au Sud du Pérou. 

    Ces plans gravés dans des blocs de pierre apportent en ce sens la preuve d’un « travail collectif important » et d’une intelligence collective illustrée par ce système complexe de communication et d’organisation. Des dizaines de personnes prenaient part aux planifications de chasse. On peut ainsi aisément imaginer des groupes de personnes penchées sur la représentation gravée de leur territoire de chasse, afin de coordonner les visions de chacun, 2000 ans avant la naissance de l’écriture.

    Piège à fossé dégagé dans un « cerf-volant du désert » Jibal al-Khashabiyeh, en Jordanie. 

    PHOTOGRAPHIE DE SEBAP & O. Barge, CNRS

    Ils apportent également des éléments de compréhension sur les techniques des peuples préhistoriques à l’origine de ces « méga-pièges ». Les plans selon un principe de symétrie particulièrement poussé, à une époque où les mathématiques n’existaient a priori pas. « Cette notion de mesure, quasiment de topographie, est prouvée par ces plans. »

    La découverte de gravures sur roche comme celles retrouvées sur le site de Jebel az-Zilliyat, en Arabie Saoudite, révèle une « maîtrise mentale largement sous-estimée de la perception de l'espace » à cette époque. Le communiqué scientifique stipule également que « ces représentations apportent un éclairage nouveau sur l'évolution du discernement humain de l'espace, de la communication et des activités communautaires dans les temps anciens ». Cette découverte est la première « représentation à échelle de l’histoire de l’humanité » connue, s’enthousiasme Rémy Crassard. Les plus anciennes représentations spatiales à échelle étaient jusqu’à présent datées de la Mésopotamie antique, environ deux millénaires avant notre ère. 

    On a aujourd’hui complétement oublié l’existence de ces sites, lesquels ont pourtant profondément marqué les paysages au fil des millénaires, mais qui sont surtout les plus anciens exemples d’efforts de modélisation du monde qui nous entoure. Un monde où l’humain, depuis près de 9000 ans, s'évertue à comprendre l’empreinte qu’il laisse et la place qu’il occupe.

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