Koush, le royaume perdu des pharaons noirs

Entre ces pyramides élancées s’est un jour tenue Méroé, ville prospère du Nil et siège du royaume nubien de Koush, que l’Égypte craignait.

De Núria Castellano
Nubian Kingdom

À partir d’un mélange de traditions égyptiennes, la culture koushite a donné naissance à une esthétique unique. Raccourcies et abruptes, les pyramides de Méroé léguées par la longue lignée des rois de Nubie émaillent le désert soudanais.

PHOTOGRAPHIE DE Nigel Pavitt, AWL Images

Quelque part dans l’actuel Soudan languissent des pyramides tendues vers le ciel. Elles se tiennent à l’endroit où se trouvait l’ancienne ville de Méroé, désormais inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Centre d’une civilisation puissante, Méroé était la capitale du royaume de Koush, dont la culture a prospéré pendant des siècles. L’architecture souveraine et les œuvres d’art qu’elle laisse derrière elle sont les témoins immuables de la majesté des rois et des reines nubiens.

Enfouie dans les sables du désert sur une rive du Nil, la civilisation nubienne façonne le destin de l’Égypte à partir du 8e siècle av. J.-C. et en devient même la 25e dynastie à la Basse période. Après leur chute, les pharaons nubiens battent en retraite au sud de l’Égypte pour former le royaume de Koush, qui va fleurir dans un isolement splendide pendant que le reste de l’Égypte subira les assauts répétés des Assyriens, des Perses et des Grecs.

 

L'étonnante richesse du royaume de Koush

Grâce à l’éloignement de Méroé, les Koushites parviennent à préserver leur indépendance jusqu’au milieu du 4e siècle de notre ère et laissent libre cours à leur pratique toute personnelle de la culture et de la religion égyptiennes. Les Méroïtes ont accès à des mines et à leur minerai et ce sont des orfèvres exceptionnels. Ils bâtissent des temples, des palais et des bains royaux dans leur capitale. Les 200 pyramides érigées à Méroé sont peut-être leur prouesse la plus grande (le Soudan compte de fait plus de pyramides que l’Égypte entière). Élevées, élancées, gracieuses : ces monuments témoignent de la splendeur inaltérable de l’ancien royaume de Koush.

 

LA 25e DYNASTIE D'ÉGYPTE

De 1980 à 1998, l’archéologue suisse Charles Bonnet a fouillé ces terres qui bordent le rivage du Nil. Il y a découvert des traces d’une civilisation qui s’est enrichie par le commerce et qui a connu l’abondance grâce à ses champs et son bétail. En fait, un royaume distinct de l’Égypte pourvu d’une culture matérielle et de traditions propres. Le pouvoir de cette civilisation s’est affirmé avec le déclin du Moyen Empire égyptien vers l’an 1785 av. J.-C. En 1500 av. J.-C., l’empire nubien s’étendait à peu près de Wadi Halfa au nord à Méroé au sud.

Centrée sur Napata, sa première capitale, la dynastie nubienne continue à s’épanouir militairement et économiquement pendant tout le 9e siècle av. J.-C. Vers 730 avant notre ère, le roi de Nubie, Piye, envahit et conquiert l’Égypte. Il contrôle désormais toute la vallée du Nil. Piye devient le premier empereur de la 25e dynastie d’Égypte (v. 770-656 av. J.-C.), la dynastie des « pharaons noirs ».

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    Piye meurt en 715 avant notre ère après un règne de trente-cinq ans. Bien qu’il soit retourné en Nubie après sa conquête de l’Égypte, il demande à être enterré à la manière égyptienne, requête que respecteront ses sujets. Inhumé dans une pyramide, Piye est le premier pharaon à être porté en terre de cette manière depuis 500 ans.

    La 25e dynastie dure encore cinquante-six ans et son hégémonie prend fin dans la tourmente lorsque les Assyriens envahissent l’Égypte. Les vainqueurs effacent les noms de ceux qui ont fait la 25e dynastie de tous les monuments d’Égypte et détruisent leurs statues et leurs stèles pour que l’Histoire oublie leurs noms.

    Une petite chapelle funéraire (v. 13e siècle av. J.-C.) à la nécropole de Deir el-Médineh, près de Louxor, en Égypte. Les pyramides de Méroé ont une allure remarquablement similaire.

    PHOTOGRAPHIE DE Wael Hamdan, AGE Fotostock

    Après la défaite, les Nubiens battent en retraite vers Napata seulement pour être boutés encore plus au sud au début du 6e siècle av. J.-C. lors du sac de la ville par Psammétique II, pharaon de la 26e dynastie. Les Koushites font alors de Méroé leur nouvelle capitale. C’est un choix mûrement réfléchi. Les terres environnant Méroé se trouvent non seulement au carrefour stratégique des routes commerciales terrestres africaines et de l’itinéraire des caravanes en provenance de la mer Rouge mais elles sont également fertiles et regorgent de ressources naturelles (des mines de fer et d’or qui nourrissent le développement d’une industrie des métaux, et de l’orfèvrerie plus particulièrement).

     

    TOMBES ROYALES

    La culture funéraire des Koushites est influencée par une synthèse de pratiques culturelles égyptiennes et africaines. Après s’être établis au sud, les rois koushites, continuent d’être enterrés dans la nécropole de Nouri, près de Napata, autour de laquelle tourne le culte égyptien du dieu Amon.

    Bague en or découverte dans un tombeau à Méroé. Cet artéfact d’influence égyptienne représente un oudjat (l’œil d’Horus) entouré de deux cobras. Musée national d’art égyptien de Munich.

    PHOTOGRAPHIE DE Bpk, Scala, Florence

    Ce n’est que plus tard, vers 250 av. J.-C., que Méroé deviendra une nécropole de choix. On y enterrera dans deux zones principalement : un cimetière au sud et un autre au nord. Celui du sud est le plus ancien. Lorsqu’il a atteint sa capacité limite, on s’est mis à enterrer au nord. C’est dans la partie nord qu’on trouve aujourd’hui les pyramides les mieux préservées de l’ancienne ville. Certains des tombeaux les plus impressionnants s’y trouvent. Trente rois (qores), huit reines (candaces) et trois princes y reposent.

    Les premières pyramides de Méroé étaient des pyramides à degrés. Selon certains spécialistes, il est possible qu’elles aient un jour été surmontées de cylindres ou de sphères fabriquées avec des matériaux qui ont depuis été détruits ou ont disparu. Les structures apparues ultérieurement ont été construites au 3e siècle de notre ère. Elles sont plus simples et leurs côtés sont lisses et abrupts. Malgré l’influence évidente de l’esthétique égyptienne classique, les pyramides de Méroé sont sensiblement plus petites et généralement dépourvues de pyramidion, cette fameuse pierre de faîte pointue. Elles ressemblent en fait davantage aux pyramides-chapelles de Deir el-Médineh, près de Louxor. Ces dernières ont été édifiées sous le Nouvel Empire (1539-1075 av. J.-C.), période à laquelle de nombreuses coutumes égyptiennes ont commencé à apparaître dans la culture koushite.

    Les pierres ont été disposées grâce à un chadouf, un levier à bascule utilisé pour soulever les blocs de pierre. La façade extérieure était faite de briques puis couverte d’un enduit réverbérant.

    À l’est de chaque pyramide on creusait des marches dans la roche qui menaient à un accès scellé. Passé le seuil on découvrait des salles souterraines aux plafonds voûtés : les rois en avaient droit à trois, les reines à deux. Dans les plus anciennes pyramides, la chambre funéraire était ornée de scènes extraites du Livre des morts des Anciens Égyptiens. On y plaçait un cercueil en bois à l’effigie du défunt. On y déposait aussi le corps sacrifié d’animaux et même celui de domestiques.

    Il y a 41 tombes dans la partie nord de la nécropole de Méroé, dont 38 appartiennent aux monarques qui ont dirigé la région de 250 av. J.-C. à 320 ap. J.-C.

    PHOTOGRAPHIE DE Fabian Von Poser, AGE Fotostock

    Sur un des flancs d’une pyramide ordinaire de Méroé il y avait une chapelle dont l’entrée était formée par deux pylônes jumeaux fuselés. Il était fréquent qu’on y place une stèle, une table d’offrandes ainsi qu’un élément distinctif de la culture méroïtique : une statue du ba (la partie de l’âme donnant son individualité au défunt) représentant un corps d’oiseau à tête humaine.

     

    LE ROYAUME DE KOUSH

    Le royaume de Koush a prospéré pendant des siècles. Mais à la mort de Cléopâtre, en l’an 30 av. J.-C., les choses changent. L’Égypte devient la province d’un Empire romain balbutiant et cela met à mal le fragile cessez-le-feu conclu avec Rome. La révolte fiscale en Haute-Égypte donne lieu à des incursions romaines en territoire koushite ; leurs mines d’or lucratives sont menacées.

    Les forces méroïtiques, menées par leur terrifiante reine Amanirenas, attaquent les soldats romains à Assouan (frontière méridionale du monde romain). Dans sa Géographie, Strabon en parle comme de la Candace borgne, « femme masculine […] ayant perdu un œil ». Cette mémorable cheffe de guerre finit par être repoussée vers Méroé mais à partir de ce moment-là, on laissera la civilisation méroïtique relativement tranquille.

    Méroé sera abandonnée au 4e siècle de notre ère. Les siècles verront se propager les rumeurs quant à ses monuments et à l’or dont ils auraient recélé. Elles finiront par tomber dans l’oreille du pilleur de tombe Giuseppe Ferlini. En 1834, il atteint Méroé et se met à piller ses tombeaux.

    Aujourd’hui encore, les archéologues se lamentent des dégâts qu’il a provoqués. Mais les quelques artéfacts raffinés rapportés en Europe ont éveillé les universitaires à cette culture énigmatique ayant fait siennes les traditions de l’Égypte des pharaons.

    Spécialiste des dynasties égyptiennes tardives, Núria Castellano est égyptologue à l’Université de Murcie, en Espagne.
    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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