La légendaire reine de Saba : ce que révèle l'archéologie

L’emplacement de la ville de Jérusalem lors du règne de Salomon ne fait guère débat. Mais les chercheurs sont toujours à la recherche du pays de l’or et des épices où la reine de Saba aurait élu domicile.

De Francisco del Rio Sanchez
Publication 8 juin 2021, 15:26 CEST
MEETING OF MONARCHS

Dans cette peinture du 16e siècle de Lambert Sustris, le roi Salomon rencontre la reine de Saba.

PHOTOGRAPHIE DE Galerie Nationale De Londres, RMN Grand Palais

L’histoire du roi Salomon et de la reine de Saba est évoquée dans les Livres des Rois et dans les Livres des Chroniques. Une reine, sans nom, en provenance de Saba, se rendit à Jérusalem avec de l’or, des bijoux et des épices. En quête de savoir, la reine s’intéressa particulièrement à Salomon, que l'on disait sage, et lui posa des « questions complexes ». Salomon releva le défi et accueillit la reine, qui en retour, lui fit parvenir des offrandes.

« En fait, il n’arriva plus jamais une aussi grande quantité de parfums et d’épices que celle que la reine de Saba offrit au roi Salomon. » Plus tard, elle lui confia : « Ta sagesse et ta prospérité surpassent tout ce que j’avais entendu dire. » (1 Rois, 10,7)

Salomon et la reine de Saba, au centre. Icône éthiopienne, 18e siècle.

PHOTOGRAPHIE DE Dea, Scala, Florence

Cette rencontre biblique eut un impact incommensurable sur l’imaginaire populaire. Elle véhicula des messages de beauté, de richesse, de pouvoir, d’exotisme, d’intrigue, de magie et d’amour. La reine inspira l’élaboration de miniatures turques et perses, la création de tableaux et de musiques européennes ou encore la production du peplum hollywoodien de 1959, Salomon et la Reine de Saba, dans lequel Yul Brynner incarne le roi sage et Gina Lollobrigida sa compagne.

Ces œuvres ne manquaient pas de matière pour leur développement puisqu’une riche tradition littéraire se développa à partir de l’histoire biblique originale. Flavius Josèphe, auteur juif romain du 1er siècle, évoqua leur rencontre dans ses écrits. Élaboré au 7e siècle, le Coran présenta une version plus élaborée de cette histoire, tout comme le fit la littérature rabbinique juive. Le Kebra Nagast, un récit épique chrétien d’origine éthiopienne rédigé au 14e siècle, attribua la fondation même de l’Éthiopie à la reine de Saba. Selon ce texte, le royaume de Saba se trouvait en Éthiopie. La reine et Salomon eurent un fils qui fonda par la suite une dynastie. Cette dernière fit office de gouvernement en Éthiopie jusqu’à son dernier descendant, Haïlé Sélassié, mort en 1975.

À ce jour, aucune preuve archéologique ne peut indiquer de manière définitive qui était la reine et d’où elle venait. Elle pourrait être un amalgame de personnages historiques, voire être une légende à part entière. L’emplacement même de son royaume fait l’objet de débats houleux entre les spécialistes. Certains le situent en Éthiopie, tandis que d’autres le situent dans l’ancien royaume de Saba, l’actuel Yémen.

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    LA FORTUNE ET LES ÉNIGMES

    Dans la Bible, la reine de Saba est décrite comme intelligente, indépendante, exigeante et respectueuse. Flavius Josèphe, auteur des œuvres datées du 1er siècle Antiquités judaïques, la reine de Saba « était d’une sagesse accomplie et, à tous égards, digne d’admiration ».

    Vers la fin de sa vie, le peintre français James Tissot du 19e siècle a peint de nombreuses œuvres sur des thèmes bibliques, notamment la rencontre du roi Salomon et de la reine de Saba.

    PHOTOGRAPHIE DE Alamy, ACI

    Lorsque l’histoire fut relatée dans le Targoum Sheni, un texte juif datant du 7e ou du 8e siècle après J.-C., elle comportait davantage de détails. Les caractéristiques de la rencontre étaient similaires. Néanmoins, l’histoire débutait par une huppe, un oiseau à crête originaire de la région, dotée de parole. L’oiseau informa Salomon que le pays de Saba était le seul sur Terre à ne pas être soumis à son pouvoir.

    Salomon envoya la huppe en ces lieux, accompagnée d’une lettre exhortant la reine à se soumettre à son pouvoir. Elle répondit en renvoyant une flotte « composée de tous les navires de la mer », chargés de cadeaux précieux, dont six mille jeunes hommes, tous de la même taille, tous vêtus de pourpre et tous nés à la même heure, le même jour. Ils remirent un message de la reine qui annonçait qu’elle se rendrait à Jérusalem.

    La ville de Jérusalem s’est étendue au-delà des limites de la cité de l’époque du roi David. Au nord se trouve le mont du Temple, où se situe aujourd’hui un sanctuaire islamique, le dôme du Rocher. On pense que ce site est celui qui abritait le temple de Salomon.

    PHOTOGRAPHIE DE Marcello Bertinetti

    À son arrivée, la reine présenta à Salomon trois énigmes, qu’il s’empressa de résoudre. Cet échange révéla les connaissances et les talents diplomatiques de la reine car les énigmes étaient plus qu’un simple jeu pour la souveraine. Elles étaient un moyen pour elle d’évaluer Salomon.

    Certains spécialistes affirment que la version de l’histoire présentée dans le Coran reprend celle du Targoum Sheni. Néanmoins, la date exacte de la rédaction de ce texte fait débat. En réalité, il se pourrait qu’il soit postérieur au Coran, datée du 7e siècle, auquel cas le texte islamique pourrait avoir influencé le texte juif, et non l’inverse.

    Dans le Coran, la reine ne porte pas de nom, quand des sources contemporaines arabes la nomment Bilquis. Dans la version islamique, Sulayman (Salomon) avait foi en Allah, était réputé pour sa sagesse et pouvait comprendre le langage des arbres et des animaux. Sulayman contrôlait également une armée de « djinns (des esprits magiques), d’hommes et d’oiseaux ». À l’instar du texte juif, l’histoire commence avec un oiseau, qui rapporta à Sulayman des nouvelles du lointain pays de Shéba, où régnait la puissante Bilqis et où les gens vénéraient le Soleil. L’oiseau déclara : « Je l’ai trouvée, elle et son peuple, se prosternant devant le soleil au lieu d’Allah. » La nouvelle incita Sulayman à envoyer une lettre dans laquelle il ordonnait à la reine de se convertir à l’Islam.

    Une tête de taureau au centre de cet autel sabéen du 7e siècle avant J.-C. Il comporte deux ensembles de têtes de bouquetins de chaque côté. Le taureau était sacré pour Almaqah, le dieu sabéen de la Lune. Musée du Louvre, Paris.

    PHOTOGRAPHIE DE G. Blot, RMN Grand Palais

    Dans cette version de l’histoire, Sulayman rejeta les émissaires de la reine ainsi que ses somptueux cadeaux. À l’inverse de la Bible et du Targoum Sheni, c’est Sulayman qui mesura l’intellect de la reine. Alors qu’elle était en marche pour lui rendre visite, le roi envoya un djinn pour lui voler son trône et le rapporter à Jérusalem. Il déguisa ensuite le siège afin de constater si la reine réaliserait qu’il s’agissait du sien. Ce fut le cas. Sulayman l’accueillit donc dans son imposant palace.

    Il la guida jusqu’à un sol fait de verre. Lorsqu’elle le vit, elle pensa qu’il s’agissait là d’une grande flaque d’eau. Elle leva alors sa jupe pour éviter de la mouiller. Elle révéla ses jambes, lesquelles n’étaient pas rasées. Selon certains spécialistes, cette caractéristique pourrait signifier que le pouvoir l’avait dépourvu de sa féminité. Cet épisode apparaît également dans le Targoum Sheni. « Ta beauté est la beauté d’une femme, mais tes poils sont d’un homme », lança Salomon à la reine.

    Dans la littérature juive, la reine de Saba est également associée à Lilith, un personnage démoniaque ancestral. Pareillement, dans le texte coranique, un djinn avertit Sulayman du côté démoniaque de la reine, de peur que le roi ne fût charmé par sa beauté. Au contraire, la reine se soumit à Sulayman et se dévoua à « Allah, Seigneur des mondes ».

     

    LA MÈRE D’UNE NATION

    Au 14e siècle, dans les montagnes du nord de la Corne de l’Afrique, où sont situés aujourd’hui l’Éthiopie, l’Érythrée, la Somalie et Djibouti, l’histoire du roi Salomon et de la reine de Saba prit un sens totalement différent. Dans cette version du récit, la reine avait pour nom Makeda. Cette nouvelle version mêle une multitude de traditions littéraires chrétiennes, juives et musulmanes pour en faire un tout nouveau conte.

    Les Sabéens étaient des maîtres de la sculpture d’albâtre. Cette figure féminine a été retrouvée dans l’actuel Yémen et date probablement du 3e siècle avant J.-C.

    PHOTOGRAPHIE DE Akg, Album

    Le christianisme devint la religion du royaume d’Aksoum — situé dans l’Éthiopie moderne — au milieu des années 500 après J.-C. Il fut introduit, accompagné d’influences juives, grâce aux migrations et au commerce avec les peuples du nord, notamment les chrétiens coptes d’Égypte. L’histoire de Salomon et de la reine de Saba fit son apparition dans les écrits en 1321, dans le Kebra Nagast, aussi appelé Gloire des rois, texte originaire d’Éthiopie. L’œuvre est divisée en cent-dix-sept chapitres, décrite par le chercheur éthiopien Edward Ullendorff comme une « gigantesque compilation de cycles de légendes ». Il s’agirait du texte qui aurait unifié la culture éthiopienne pendant des siècles.

    Le Kebra Nagast mentionne des références à la reine de Saba dans le Nouveau Testament, notamment dans l’Évangile selon Matthieu. « La reine du Midi se lèvera, au jour du jugement, avec cette génération et la condamnera, parce qu’elle vint des extrémités de la terre pour entendre la sagesse de Salomon, et voici, il y a ici plus que Salomon. » (Matthieu 12:42)

    Les ruines du palais de Dongour, datant environ du 6e siècle après J.-C. et situées sur les terres de l’ancien royaume d’Aksoum, dans le nord de l’Éthiopie. Elles sont également appelées palais de la reine de Saba par les locaux.

    PHOTOGRAPHIE DE Yoko Aziz, AGE Fotostock

    L’épopée décrit ensuite le retour en Éthiopie d’un riche marchand, Tamrin, qui rencontra le roi Salomon à Jérusalem. Tamrin fit part à la reine Makeda de la sagesse et de la richesse prodigieuses de Salomon. Intriguée par le récit du marchand, Makeda se rendit à Jérusalem pour rencontrer le roi en personne. Elle fut rapidement séduite par sa sagesse, son caractère, son charme et son aura.

    Pour sa part, Salomon était captivé par la beauté de Makeda. Il tenta de la faire rester. Il lui fit servir un somptueux banquet et lui promit de ne lui faire aucune avance si elle ne dérobait rien en sa demeure. Lorsque Makeda, assoiffée, se réveilla la nuit pour boire un peu d’eau, Salomon déclara le serment rompu et la séduisit.

    Makeda regagna l’Éthiopie enceinte de l’enfant de Salomon. Elle décida de le nommer Menelik, qui signifie « fils du sage ». À l’âge de vingt ans, il se rendit à Jérusalem pour rencontrer son père, qui le sacra roi d’Éthiopie. Cette histoire servit de fondations à la dynastie salomonide en Éthiopie. Elle fut fondée autour de 1270 et perdura pendant plus de sept siècles.

    Une main en bronze porte l’inscription d’une prière évoquant la ville sabéenne de Zafar (dans l’actuel Yémen). Bronze, 2e ou 3e siècle après J.-C. British Museum, Londres.

    PHOTOGRAPHIE DE RMN Grand Palais

    Selon M. Ullendorff, l’auteur du Kebra Nagast était « le rédacteur et l’interprète d’un contenu connu depuis longtemps, mais qui n’avait pas encore trouvé de main pour le coordonner, d’esprit adéquat pour le présenter ni de grand besoin national ». En guise de résultat, il donna lieu à « l’une des sagas nationales les plus puissantes et les plus influentes du monde », ajouta-t-il.

    Le Kebra Nagast offre un portrait plus positif de la reine que celui dépeint dans les textes juifs, chrétiens et musulmans. Sa nature démoniaque ou ses jambes non rasées n’y sont pas mentionnées. L’épopée prétend également que Ménélik revint en Éthiopie avec l’Arche d’alliance. Selon la tradition éthiopienne, elle serait conservée en l’église Sainte-Marie-de-Sion à Aksoum.

     

    À LA POURSUITE DE SABA

    Pour les historiens, le royaume de la reine de Saba demeure introuvable. Les deux principales hypothèses le situent dans le royaume de Saba, dans l’actuel Yémen, ou dans le royaume d’Aksoum, en Éthiopie. Après plus d’un siècle de fouilles conduites par une multitude d’archéologues dans l’espoir de mettre au jour des vestiges physiques de l’existence de la reine, rien n’a été découvert. Ce qui complique les choses, c’est que la chronologie attribuée à Salomon, que la plupart des experts situent aux alentours du 10e siècle avant J.-C., ne correspond pas à celles des apogées de Saba ou d’Aksoum.

    Les ruines de Marib, le site de la capitale de l’ancien royaume de Shéba, se situent dans le désert yéménite. Le royaume aurait atteint son apogée au 8e siècle avant J.-C. Beaucoup estiment qu’il s’agissait de la terre natale de la reine de Saba.

    PHOTOGRAPHIE DE Alamy, ACI

    La plupart des sources juives ainsi que le Coran mentionnent des sites qui associent clairement Saba à la reine de Saba. De nombreuses preuves attestent de l’existence de cette ville ancestrale. Plusieurs textes assyriens évoquent des reines arabes aussi puissantes que la reine de Saba à la même époque. Les Sabéens envoyaient eux aussi des ambassadeurs et des offrandes à la cour assyrienne pour des missions diplomatiques et commerciales.

    Le royaume s’enrichit grâce à la bonne gestion de l’eau et du commerce de l’encens et de la myrrhe. Toutefois, il ne s’est illustré comme puissance internationale qu’au 8e siècle avant J.-C., bien après le règne de Salomon. Bien que les Livres des Rois aient été écrits au 6e siècle après J.-C., soit après le déclin de l’Assyrie, l’histoire de Salomon pourrait représenter une situation plus ancienne, reflet des réalités géopolitiques des siècles précédents.

    Dans cette optique, l’archéologue biblique Israël Finkelstein de l’université de Tel-Aviv, interprète le récit de Salomon et de la reine de Saba comme un soutien de la participation de Juda dans le commerce assyrien. En magnifiant le statut de Salomon en tant que grand marchand béni de Dieu et recherché par une puissante reine arabe au 10e siècle, les auteurs du récit auraient voulu légitimer « la participation de Juda en tant que vassal de l’économie assyrienne ».

    La théorie éthiopienne, quant à elle, est solidement appuyée par l’historien Flavius Josèphe, du 3e siècle après J.-C. Il a décrit l’invitée de Salomon comme « la reine d’Égypte et d’Éthiopie », ce qui suggère qu’elle serait originaire d’Afrique. Des relations historiques ont été établies entre l’Éthiopie et Saba. Les deux royaumes étaient situés de part et d’autre de la mer Rouge.

    Dans l’Antiquité, les commerçants du sud de l’Arabie, notamment ceux de Saba, entreprenaient le court voyage vers l’autre rive de la mer Rouge afin d’établir de petites colonies sur les hauts plateaux éthiopiens. Aussi intrigante que paraisse cette association, elle ne résout pas le problème de la chronologie. Aksoum était un royaume éthiopien, prospère entre 100 avant J.-C. jet 700 après J.-C., soit de nombreuses années après le règne de Salomon.

    De nouvelles études sur la reine et ses origines sont encore en cours. Wendy Laura Belcher, professeure de littérature africaine à l’université de Princeton, émet l'hypothèse que la reine provenait peut-être d’une tout autre culture : celle du pays de Pount, antérieur au royaume d’Aksoum. Mentionné dans les sources égyptiennes dès le 15e siècle avant J.-C., Pount fournissait de l’encens, des épices et de l’or à l’Égypte, des produits associés à la reine et à sa visite chez Salomon.

    Les historiens sont partagés quant à l’emplacement exact de Pount. Ils le situent généralement au sud-est de l’Égypte et au nord de la Corne de l’Afrique. Les vestiges de marchandises égyptiennes découverts dans le nord de l’Éthiopie confirment l’existence de longues relations commerciales entre les deux pays. Elles auraient assuré à Pount une richesse considérable, suffisante pour attirer l’attention d’un roi comme Salomon. Comme le souligne Mme Belcher, « si une reine devait se rendre au nord d’Israël au 10e siècle, c'était une reine africaine ».

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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