La plus ancienne sépulture féminine découverte en Europe est celle d’un nourrisson

La découverte de « Neve », enterrée dans une grotte italienne à peine huit mois après sa naissance, suscite des interrogations quant au stade à partir duquel les anciennes tribus conféraient le statut de personne à leurs plus jeunes membres.

De Tom Metcalfe
Publication 16 déc. 2021, 14:25 CET
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Une équipe d’archéologues dirigée par l’exploratrice National Geographic Jamie Hodgkins réalise des fouilles sur une sépulture de nourrisson vieille de 10 000 ans dans une grotte du nord-ouest de l’Italie. Ils ont eu de la chance de pouvoir prélever de l’ADN aussi ancien. Cela leur a permis d’établir que « Neve » était morte en bas âge et qu’on avait porté un soin particulier à sa mise en terre.

PHOTOGRAPHIE DE Jamie Hodgkins, PhD, CU Denver

L’analyse d’ossements d’enfant découverts en 2017 dans une grotte italienne a révélé qu’on avait mis au jour la plus ancienne sépulture de nourrisson Homo sapiens de sexe féminin connue à ce jour en Europe. Cette découverte va permettre de répondre aux interrogations concernant le statut qu’on donnait aux nourrissons il y a plusieurs milliers d’années de cela, et plus particulièrement de savoir quel « niveau d’individualité » on conférait aux petites filles.

La petite fille, surnommée « Neve » en référence à un torrent de la région, n’avait que 40 à 50 jours quand elle a trouvé la mort il y a un peu plus de 10 000 ans. On ne connaît pas la cause de son décès ; il ne subsiste d’elle que de minuscules ossements ainsi que des coquillages perlés qui se trouvaient dans le linceul qui l’enveloppait. Une serre de hibou grand-duc, découverte tout près de la sépulture, semble avoir été placée là comme un talisman.

Il est rare que des archéologues découvrent des ossements d’enfants aussi anciens, et il est encore plus rare qu’ils découvrent des ossements de nouveau-nés, car ceux-ci sont souvent trop petits et trop fragiles pour rester intacts pendant des millénaires. On tombe bien plus fréquemment sur des restes d’adultes ; et encore, ceux-ci ne permettent même pas de combler les intervalles de plusieurs milliers d’années qui séparent les sépultures préhistoriques que l’on met au jour. D’ailleurs, la plupart du temps, lorsqu’on découvre une sépulture d’enfant, il est impossible d’en déterminer le sexe, car l’ADN osseux s’est détérioré.

Mais les ossements de Neve sont exceptionnels. Ils ont survécu plus de 10 000 ans sous terre et contenaient encore assez d’ADN pour que les chercheurs puissent l’analyser, selon Jamie Hodgkins, paléoanthropologue de l’Université du Colorado à Denver, exploratrice National Geographic et autrice principale de l’étude sur Neve publiée hier dans la revue Scientific Reports.

« Le nombre d’enterrements à cette époque, il y a 10 000 à 11 000 ans, est très, très faible », déclare-t-elle. Peu de restes humains aussi anciens ont encore de l’ADN exploitable, et d’ailleurs « [cette sépulture] vient s’inscrire dans un intervalle où n’avions encore rien découvert du tout ».

Dans sa sépulture, Neve était entourée d’environ 60 pendentifs et objets perlés fabriqués à partir de coquillages.

PHOTOGRAPHIE DE Jamie Hodgkins, PhD, CU Denver

Cet ADN qui a traversé le temps est crucial, car il a permis d’établir que le bébé était une fille. À en croire les chercheurs, le soin apporté à la sépulture confirme que ces tribus conféraient une « individualité » aux bébés de sexe féminin, et vraisemblablement à ceux de sexe masculin aussi. Autrement dit, on les considérait comme des membres à part entière de la tribu dès leur naissance.

« Cela tend à nous montrer que le statut de personne, ou la reconnaissance en tant qu’individu au sein d’une société, était attribué à de très jeunes filles », explique Caley Orr, paléoanthropologue de l’Université du Colorado à Denver, co-auteur de l’étude et mari de Jamie Hodgkins.

Les chercheurs ne peuvent déterminer avec certitude l’âge à partir duquel on considérait les bébés comme des personnes, ni si les filles étaient traitées de la même manière que les garçons, en partie parce que les sépultures d’enfants mises au jour jusqu’ici n’ont livré que peu d’informations. Mais pour Michael Petraglia, anthropologue de l’Institut Max-Planck de science de l’histoire humaine ayant déjà étudié une sépulture d’enfant encore plus ancienne en Afrique, ces conclusions sont sensées. « Je suis d’accord pour dire que ces indices tendent à prouver qu’il existait un traitement égal des individus de sexe masculin et de sexe féminin », nous a-t-il écrit par e-mail. « Cela concorde avec les sociétés égalitaires de chasseurs-cueilleurs. »

James Hodgkins et Caley Orr attirent également l’attention sur une autre sépulture, celle d’un bébé du même âge que Neve enterré à la même époque (il y a environ 11 500 ans) dans la vallée de Tanana, en Alaska. Des analyses ADN ont confirmé que ce bébé était également une fille ; les ornements funéraires présents à ses côtés indiquent qu’elle aussi a bénéficié d’une attention particulière. « Cela signifie que le fait d’attribuer un statut de personne aux nourrissons, qui plus est féminins, trouve son origine bien avant, dans une culture ancestrale commune, ou que [cette pratique] est apparue simultanément au sein de populations plus ou moins contemporaines sur l’ensemble du globe », peut-on lire dans l’article de recherche.

Selon Jamie Hodgkins, l’archéologie est une discipline qu’on envisage traditionnellement par un prisme masculin, et elle est préoccupée par le fait que de nombreuses histoires incluant des femmes manquent à l’appel. « On partait du principe que les sépultures chargées de décorations étaient masculines, car on était dans cet état d’esprit occidental qui consiste à penser que les hommes ont un statut et pas les femmes », analyse-t-elle. Or, des découvertes archéologiques récentes montrent qu’il a eu des guerrières vikings, des dirigeantes non binaires à l’âge du fer, et des cheffes à l’âge du bronze. « Ce qui manque à l’archéologie, c’est la version des femmes », affirme-t-elle.

Pour le moment, la sépulture de Neve est la plus ancienne sépulture de petite fille découverte en Europe. Mais Jamie Hodgkins est persuadée que ce record va vite être dépassé : « De plus en plus d’analyses ADN vont être effectuées et nous allons mettre au jour de plus en plus de femmes du passé », prédit-elle. Elle espère également que la contribution des femmes dans le domaine de l’archéologie sera vectrice de changement. « Si nous ne nous intéressons aux archives archéologiques que par un prisme étroit et personnel, alors nous allons passer à côté de toute la diversité qui a existé à travers l’histoire… »

L’Arma Veirana, la grotte du nord-ouest de l’Italie où ont été découverts les restes de Neve, est bien connue des scientifiques qui étudient l’évolution humaine. Grâce à des fouilles qui ont démarré en 2014, on sait qu’elle a été habitée à la fois par des Néandertaliens (Homo neanderthalensis) il y a 44 000 ans au maximum, et par l’homme moderne (Homo sapiens) dès 30 000 ans avant le présent. Cela signifie que les artéfacts et les restes retrouvés dans la grotte témoignent de la période de transition entre les derniers Néandertaliens et les premiers Homo sapiens, une époque encore mal connue des scientifiques.

C’est en 2017, alors qu’ils cherchaient des traces de Néandertaliens à Arma Veirana, que des membres de l’équipe sont tombés sur les premiers ossements de Neve. Cette découverte a eu lieu lors des toutes dernières journées de fouilles prévues cette année-là et il a fallu attendre l’année suivante pour les terminer. Jamie Hodgkins était alors enceinte d’une fille et cela a rendu les fouilles particulièrement émouvantes : « Je passais des sédiments au tamis quand j’ai découvert des dents et ces petits os des mains, raconte-t-elle. C’est une découverte qui m’a crevé le cœur, car la main est une partie si intime du corps. »

L’équipe a découvert plus de 60 coquilles perlées et pendentifs fabriqués à partir de deux types de coquillages qui semblent avoir été cousus sur une couverture (aujourd’hui disparue) dont on a enveloppé le nourrisson lorsqu’on l’a enterré. Cela signifie qu’un membre de la tribu s’est rendu sur le littoral (alors distant d’une vingtaine de kilomètres et de quelques collines forestières) pour ramasser des coquillages, ou bien que ceux-ci ont été obtenus par le troc. Plusieurs ornements portent des traces d’usure importantes. Selon Claudine Gravel-Miguel, anthropologue de l’Université d’État de l’Arizona et co-autrice de l’étude, il est possible que ces ornements aient précédemment appartenu à d’autres membres de la tribu.

Pour la paléoanthropologue María Martinón-Torres, directrice du Centre national pour la recherche sur l’évolution humain (CENIEH), situé dans la ville espagnole de Burgos, la sépulture d’Arma Veirana est « un bel exemple de la façon dont les humains interagissent avec les morts, une pratique vieille de centaines de milliers d’années qu’on peut documenter autant chez Homo sapiens que chez les Néandertaliens ».

Si María Martinón-Torres n’a pas pris part à l’étude dont il est question dans cet article, elle a en revanche dirigé des recherches sur l’enfant enterré en Afrique il y a 78 000 ans, des dizaines de milliers d’années avant qu’Homo sapiens n’atteigne l’Europe.

Elle aussi est d’accord pour dire que la découverte d’Arma Veirana renforce l’idée que les bébés étaient considérés comme des membres à part entière de leur tribu dès la naissance. « Dès le début des périodes Homo sapiens et néandertalienne nous avons des preuves que les enfants avaient le statut de personne », nous a-t-elle écrit dans un e-mail. « Les plus anciennes sépultures recensées en Afrique […] contenaient des enfants et [témoignaient] d’une attention délibérée portée à la façon dont le corps était disposé. »

Il semble que la mort de nourrissons « avant leur heure » suscitait déjà un vif émoi chez les hominidés et chez certains primates, ajoute-t-elle. « C’est une chose qu’on observe de nos jours, mais qu’on observe également dans la façon qu’ont les chimpanzés de pleurer leurs petits morts en bas âge. »

La National Geographic Society, qui s’engage à mettre en lumière et à protéger les merveilles de notre monde, a financé le travail de Jamie Hodgkins. Pour en savoir plus sur le soutien apporté par la Society aux explorateurs qui lèvent le voile sur l’histoire et les civilisations humaines, cliquez ici.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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