Le fromage le plus vieux du monde a été retrouvé... autour du cou de momies
De minuscules morceaux de fromage ont été mis au jour autour du cou des momies du bassin du Tarim. Une nouvelle analyse ADN en a révélé l'origine.
Une momie du complexe funéraire de Xiaohe porte un collier de fromage.
Pendant des millénaires, l'environnement du désert du Taklamakan a préservé bien plus que les corps enterrés dans le bassin du Tarim, en Chine. Dans le cimetière de Xiaohe, datant de l'âge du Bronze, des archéologues ont mis au jour des morceaux d'une substance jaunâtre de la taille d'un caillou : les plus vieux morceaux de fromage du monde. Une nouvelle analyse de l'ADN de ce produit laitier ancien a permis de comprendre comment il avait été fabriqué, rapportent les auteurs de l'étude dans la revue scientifique Cell.
Dans une étude antérieure, des chercheurs avaient recueilli de petits échantillons de fromage datés d'il y a 3 500 ans, qui ornaient les cous des momies. Une analyse de ces échantillons a révélé la présence de Lactobacillus kefiranofaciens, une bactérie utilisée pour produire un type de fromage fermenté appelé kéfir. C'était « vraiment incroyable », déclare Qiaomei Fu, paléontologue de l'Académie chinoise des sciences à Pékin, en Chine. Ayant déjà travaillé sur l'ADN humain ancien, elle a voulu étudier l'ADN de la bactérie lactique en question.
Mais « extraire les génomes de ces échantillons anciens n'est pas banal », déclare Qiaomei Fu. L'infime quantité d'ADN restant dans le fromage ancien s'est dégradée en minuscules fragments au fil du temps et s'est mélangée à l'information génétique provenant de l'environnement désertique. En 2014, Qiaomei Fu a commencé à créer des molécules spéciales qui pourraient capturer efficacement l'ADN du microbe ancien présent dans le fromage. Après des années de travail, l'équipe a compilé un génome de l'organisme ancien complet à 92 %.
Les chercheurs ont extrait l'ADN ancien d'échantillons de fromage trouvé dans des tombeaux de l'âge du bronze trouvé dans le complexe funéraire de Xiaohe.
À partir de l'ADN de la bactérie lactique, l'équipe a pu explorer l'histoire de la production de ce fromage. Le kéfir a pour origine une culture, une bouillie créée en inoculant du lait avec un morceau de kéfir existant, tout comme un yaourt peut être utilisé pour faire un nouveau yaourt. Le fromage s'est répandu d'un endroit à l'autre, tout comme les cultures utilisées pour le fabriquer. Pour retracer le parcours de cette bactérie probiotique, les chercheurs ont comparé l'ADN de L. kefiranofaciens trouvé dans le fromage ornant le cou des momies avec celui d'autres fromages du même type. Deux branches distinctes émergèrent. L'une d'entre elles comprenait des souches d'Europe et des îles du Pacifique, tandis que les souches de kéfir du cimetière étaient apparentées à celles du Tibet et à certaines souches d'Asie de l'Est.
Les chercheurs ont déjà avancé l'hypothèse selon laquelle le kéfir s'est répandu du nord du Caucase, dans la Russie moderne, vers d'autres parties de l'Europe et au-delà. Mais la bactérie présente dans le fromage évolua relativement tôt, ce qui suggère un autre itinéraire depuis les environs de Xiaohe, dans le Xinjiang, en Chine, jusqu'à des régions d'Asie orientale, comme le Tibet. À l'âge du Bronze, les habitants du Xinjiang ont peut-être migré au Tibet, mais des preuves archéologiques supplémentaires seront nécessaires pour l'affirmer, explique Yimin Yang, co-auteur de l'étude et archéologue biomoléculaire à l'Académie chinoise des sciences.
L'une des momies les plus célèbres du bassin de Tarim est la « princesse » ou « beauté » de Xiaohe, qui a été enterrée il y a au moins 3 500 ans. L'environnement désertique a même préservé ses cils.
Le lait témoigne également de la rencontre de peuples anciens. Deux échantillons contenaient de l'ADN de vache, alors que d'autres ne contenaient que du matériel génétique provenant d'une chèvre. L'ADN de chèvre était similaire à celui d'autres échantillons anciens d'Asie centrale, ce qui suggère qu'elle pourrait avoir fait partie d'un groupe de chèvres domestiquées qui se sont largement répandues, explique Fu. Elle et ses collègues ont découvert des signes de mixité parmi les peuples du Xinjiang et d'autres populations de l'âge du Bronze.
Parallèlement aux déplacements des populations, le kéfir s'est peut-être répandu en partie parce que sa fermentation diminue la teneur en lactose des produits laitiers, ce qui le rendait plus facile à consommer pour les populations de l'âge du Bronze intolérantes au lactose, y compris celles de Xiaohe. L. kefiranofaciens n'est pas la seule bactérie découverte dans le fromage des momies du Tarim, et l'équipe de recherche pourrait trouver d'autres indices sur les activités humaines anciennes dans d'autres levures présentes dans le mélange. Ces informations, ainsi que celles provenant d'autres échantillons tels que la plaque dentaire durcie et les excréments fossilisés, pourraient nous en apprendre davantage sur les interactions entre les populations de l'âge du Bronze.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.