Le mystère des bronzes du Lorestan échappe aux archéologues depuis près de 100 ans

Ces artéfacts de l’Âge du Fer découverts en Iran, sur les monts Zagros, fascinent le monde entier depuis les années 1930. Mais les archéologues ne savent toujours pas qui les a fabriqués.

De Antonio Ratti
Publication 14 janv. 2022, 13:57 CET
A horned figure

Ce parement autrefois traversé par un mors de cheval représente un personnage cornu domptant des créatures légendaires. Il a été fabriqué vers l’an 700 av. J.-C.

PHOTOGRAPHIE DE Artokoloro, Alamy

À la fin des années 1920, de somptueuses sculptures de bronze firent irruption sur le marché des antiquités. Personne ne savait d’où venaient ces chefs-d’œuvre représentant humains et animaux, ni ces gobelets gaufrés et ces délicates broches qui faisaient le bonheur de revendeurs sidérés par leur beauté. On avait beau s’enquérir de leur origine, les réponses demeuraient vagues. Plutôt que de donner le nom d’un village ou d’une civilisation en particulier, les antiquaires se contentaient de désigner une région nichée au milieu des monts Zagros : le Lorestan, dans l’ouest de l’Iran.

Le phénomène des bronzes du Lorestan apparut à l’automne 1928 dans la ville paisible de Harsin, à une trentaine de kilomètres de Kermanchah, lorsqu’un fermier du coin découvrit dans ses champs plusieurs objets de bronze à l’allure splendide et décida de les vendre. La découverte de ce butin ne tarda pas à s’ébruiter. Bientôt, le bourg vit surgir des hordes d’antiquaires désirant acquérir ces œuvres d’art pour les vendre à des musées et à des collectionneurs privés. Beaucoup s’accommodaient de ces arrangements profitables, et on ne fit pas grand-chose pour y mettre fin.

Mais des universitaires et des habitants désireux d’en savoir plus sur ces sculptures de bronze voulurent organiser des fouilles. André Godard, directeur du Service iranien d’archéologie en 1928, décrivit ainsi la méthode par laquelle les habitants parvenaient à dénicher des sites dignes d’être fouillés :  on cherchait une source d’eau et, une fois qu’on en avait découvert une, il y avait de fortes chances qu’un village avec un cimetière se soit un jour trouvé dans les environs. La formule était simple et efficace : cherchez une source d’eau et vous tomberez sur une nécropole.

 

DES ARCHÉOLOGUES DANS LE CIEL

Le premier archéologue occidental à avoir suivi la piste de ces bronzes fut l’Allemand Erich Schmidt. Il se rendit pour la première fois au Lorestan en 1935. Grâce à une idée de sa femme Mary Helen, il inaugura sur le site une méthode de travail novatrice. Le couple était féru d’archéologie et s’était rencontré à l’occasion d’une visite sur le site iranien de Teppe Hissar.

Mary Helen voulait prendre de la hauteur afin d’avoir une vue d’ensemble sur les sites. Elle fit donc l’acquisition d’un avion. Le Friend of Iran prit son envol et survola le Lorestan ainsi que d’autres sites archéologiques iraniens que les Schmidt finiraient par étudier (comme la ville de Persépolis, ancienne capitale de la Perse achéménide). Après avoir obtenu l’autorisation des autorités iraniennes, des vols de reconnaissance eurent lieu en 1935 et en 1936, puis de nouveau en 1937. Les photographies aériennes des Schmidt s’avéreraient une documentation inestimable et fort utile pour la planification des fouilles.

Panorama de la plaine de Kermanchah, dans l’ouest de l’Iran. La région historique du Lorestan est caractérisée par une alternance de vallées et de chaînes montagneuses.

PHOTOGRAPHIE DE Georg Gerster, AGE Fotostock

En juin 1938 une équipe dirigée par Erich Schmidt explora le petit village de Surkh Dum, au Lorestan. Mais un certain nombre de sculptures de bronze avaient été pillées avant leur arrivée et des informations précieuses concernant l’histoire du site avaient disparu. Les autorités locales finirent par mettre fin aux pillages et Erich Schmidt put se concentrer sur la mise au jour de ce qui restait.

Malgré les dégâts et les pillages, son équipe fut en mesure de recouvrer des artéfacts en bronze, en ivoire et en céramique du même style que les sculptures découvertes et écoulées dans les années 1920. Ce travail exploratoire réalisé à Surkh Dum tourna en grande partie autour d’une structure de plusieurs chambres qui avait sans doute servi de temple ou de lieu de culte. Erich Schmidt recueillit également des objets à l’intérieur de tombeaux à compartiments dont les murs de pierre verticaux étaient couverts par des blocs plus imposants qui servaient de plafond.

Il est difficile d’établir une chronologie exacte concernant les bronzes du Lorestan. En effet, ces maraudages incessants détruisirent en grande partie la configuration stratigraphique dont les archéologues ont besoin pour établir une datation.

Cela ne fait que quelques dizaines d’années qu’on est en mesure de dater précisément les bronzes du Lorestan. Les analyses stylistiques et iconographiques existantes furent complétées par des campagnes de fouilles menées dans l’ouest du Lorestan entre 1965 et 1979 par l’Université de Gent et les musées royaux de Bruxelles. Celles-ci permirent de localiser un grand nombre de tombeaux collectifs remplis d’objets. Grâce à la stratigraphie intacte des environs, il est aujourd’hui possible de les dater. En se rapportant à ces études, les archéologues peuvent calculer avec davantage de précision la date de fabrication des sculptures de bronze : entre le 11e siècle et le milieu du 7e siècle avant notre ère, soit à la fin de l’Âge du Fer du Lorestan.

On ignore toujours l’identité de ceux qui ont fabriqué ces pièces magnifiques. Il pourrait s’agir des premiers Mèdes, peuple indo-européen qui vivait dans la région. Mais d’autres pensent qu’il s’agit plutôt des Cimmériens, peuple nomade originaire du sud de la Russie qui se serait déplacé vers le Lorestan au 8e siècle av. J.-C.

Mais des inscriptions cunéiformes présentes sur des épées découvertes dans la région ont peut-être trahi l’identité des artisans : il pourrait s’agir des Kassites, peuple ayant occupé le Lorestan dès le 16e siècle av. J.-C., puis la Basse Mésopotamie jusqu’au début du 12e siècle av. J.-C. environ.

 

UN BESTIAIRE SOMPTUEUX

La grande multitude d’artéfacts découverts au Lorestan se répartit en trois catégories principales : les pavillons (ou fleurons), les pièces de ferronnerie provenant du harnachement de chevaux, et les broches. On a aussi découvert différents types de pièces en bronze (dagues, lances et haches, entre autres) mais pas dans les mêmes proportions.

Hommes et femmes sont représentés sur des artéfacts reprenant le motif du « Maître des Animaux » comme cette broche ajourée en bronze fabriquée au Lorestan entre l’an 1 000 et l’an 650 avant notre ère.

PHOTOGRAPHIE DE Akg, Album

Les fleurons sont des objets qu’on plaçait au sommet de bâtons. C’est leur iconographie sophistiquée, inspirée par la faune et plus particulièrement par les bouquetins, qui les rend si uniques. Le « Maître des Animaux » en est une des versions les plus connues et les plus fascinantes. Ce motif représente un personnage humain tenant des animaux sauvages par le cou (généralement un homme, quoique certains soient à l’effigie de femmes).

Les types d’animaux varient. Cela va du gros chat à l’oiseau de proie en passant par des créatures légendaires comme le griffon et le sphinx. Ce motif apparaît d’ailleurs dans d’autres civilisations préhistoriques : on a découvert des Maîtres des Animaux dans l’art mésopotamien et dans l’art sumérien. Celui-ci symboliserait la domination de l’Homme sur la nature.

La découverte de magnifiques parements ayant orné des mors de chevaux corrobore le mode de vie nomade des personnes qui les ont fabriquées. Comme l’a écrit l’archéologue Paolo Matthiae : « Ce qu’on découvre le plus souvent, c’est un mors orné de parements faits de deux plaques perforées représentant des animaux au flanc troué et transpercé par la barre du mors. » Le répertoire iconographique inclut des taureaux, des lions et des bouquetins et parfois même des griffons et des sphinx.

 

DES SCULPTURES EN BRONZE MAGNIFIQUES

Il y a également des objets de la vie quotidienne. Les plus connus sont les broches, dont la raison d’être fait encore débat. Selon certains spécialistes, il s’agirait d’ex-voto. Selon d’autres, celles-ci avaient un but plus pratique et servaient simplement à attacher des vêtements. Ces broches couvrent une multitude de thèmes : on peut y voir des déesses, des animaux et même le motif du Maître des Animaux.

Enfin, dans une dernière catégorie, on trouve des gobelets cylindriques porteurs d’une petite nodosité à leur base. Ils sont ornés d’un gaufrage représentant des personnages importants accompagnés de serviteurs et de musiciens lors de banquets rituels.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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