L'épave d'un navire légendaire vient d'être retrouvée au large de la côte antarctique

L'épave de l'Endurance a été découverte sous la glace, à plus de 3000 mètres de profondeur.

De Simon Worrall
Publication 9 mars 2022, 12:12 CET, Mise à jour 9 mars 2022, 16:43 CET

 

À l'automne 1915, le navire de l'explorateur polaire Ernest Shackleton, l'Endurance, a sombré au large des côtes de l'Antarctique. Son équipage s'est échoué sur une banquise à la dérive, donnant corps à l'un des récits les plus dramatiques de l'histoire, fait d'obstacles apparemment insurmontables. Si les vingt-huit membres de l'expédition ont finalement été sauvés, le lieu de repos final du navire est resté un mystère maritime très discuté - le dernier chapitre non écrit d'une légendaire histoire de survie. Du moins, jusqu'à aujourd'hui. Une équipe de chercheurs a annoncé avoir localisé l'épave au fond de la dangereuse mer de Weddell, à proximité de la partie la plus septentrionale de l'Antarctique.

Les premières images du navire ont été transmises par des véhicules sous-marins autonomes (AUV) à près de 3000 mètres de profondeur le 5 mars 2022. Lorsque la caméra glisse sur le pont en bois du navire, la vidéo montre des cordes centenaires, des outils, des hublots, des rampes et même les mâts et la barre, tous dans un état de conservation exceptionnel en raison des températures froides, de l'absence de lumière et du faible taux d'oxygène propres à ce lieu de repos aquatique.

« Je chasse les épaves depuis que j'ai 25 ans, et je n'ai jamais trouvé d'épave aussi bien conservée que celle-ci » s'enthousiasme l'archéologue marin Mensun Bound, 69 ans, contacté par téléphone satellite alors qu'il entamait, avec ses collègues, son long voyage de retour vers Le Cap après plus d'un mois de recherche de l'épave du navire. « On pouvait voir les trous de boulons et tout ! »

Directeur de l'exploration pour l'expédition Endurance22, Mensun Bound explique que lorsqu'ils ont vu les premières images transmises par l'AUV, lui et les autres membres de son équipe de 65 personnes étaient convaincus qu'il s'agissait de l'Endurance et non d'une autre épave. Mais la preuve irréfutable n'a pas tardé à apparaître : un gros plan de la poupe a révélé des lettres en laiton brillantes, formant le mot Endurance au-dessus d'une étoile polaire. « Quand on voit ça, on a les yeux qui sortent de leurs orbites », rit Bound. C'était « l'un de ces moments de vortex où l'on remonte le temps. Je pouvais sentir le souffle de Shackleton sur ma nuque. »

 

QUEL ÉTAIT LE BUT DE SHACKLETON ?

L'Endurance faisait partie de l'expédition impériale transantarctique de l'explorateur Ernest Shackleton. Soutenue par le gouvernement britannique et des donateurs privés, ainsi que par Winston Churchill, alors Premier Lord de l'Amirauté, l'expédition avait pour but d'amener un groupe d'explorateurs jusqu'à la côte antarctique, où ils devaient débarquer pour ensuite traverser le continent par voie terrestre en passant par le pôle Sud.

Trois-mâts goélette de 44 mètres de long spécialement construit pour les eaux polaires, l'Endurance avait une coque en chêne massif de 76 centimètres d'épaisseur. Il est parti de la Géorgie du Sud le 5 décembre 1914, peu après le début de la Première Guerre mondiale. Même aux confins du monde, la guerre était proche. Alors que l'Endurance entrait dans la mer de Weddell, les flottes britannique et allemande s'affrontaient au nord dans la bataille des îles Falkland.

Malgré les tentatives pour libérer l'Endurance de la glace les 14 et 15 février 1915, le navire resta inextricablement coincé. « Ce que la glace prend, la glace le garde », aurait dit Shackleton. Dans les jours brumeux qui ont précédé le naufrage de l'Endurance, le capitaine et navigateur expert Frank Worsley n'a pas été en mesure d'effectuer un relevé précis de sa position. Sans données fiables, l'emplacement du navire est resté un mystère pendant plus d'un siècle.

PHOTOGRAPHIE DE FRANK HURLEY, ROYAL GEOGRAPHICAL SOCIETY, GETTY IMAGES

Mais l'ennemi que Shackleton et ses hommes affrontèrent était d'une autre nature. La mer de Weddell, qui couvre une superficie de plus de 2,8 millions de kilomètres carrés, est l'un des environnements les plus isolés et les plus impitoyables au monde, jonché d'icebergs et agité par de forts vents de surface. Shackleton l'appelait « la pire mer du monde ».

Mais si quelqu'un était préparé à une telle aventure, c'était bien cet explorateur polaire : vétéran des précédentes explorations de l'Antarctique, il avait participé à la grande course pour atteindre le pôle Sud avant que l'explorateur norvégien Roald Amundsen ne le revendique. 

Pour cette ambitieuse traversée du continent, il avait sélectionné chaque membre de l'équipage et dînait avec ses hommes, animant les repas de chants et organisant des jeux. Ils l'appelaient affectueusement « le patron ». 

L'expédition progressa bien au début, mais à l'approche de l'hiver antarctique de 1915, les hommes se retrouvèrent piégés dans la glace de mer. « À 19 heures, une pression très forte s'est fait sentir, avec des tensions qui ont fait tanguer le navire de l'avant à l'arrière », écrivit Shackleton le mardi 26 octobre 1915. « Nous pouvions voir depuis la passerelle que le navire pliait comme une proue sous une pression titanesque. »

Le lendemain, les hommes prirent leurs outils, instruments et provisions et établirent un camp sur la banquise. Shackleton écrivit : « Mais bien que nous ayons été contraints d'abandonner le navire, qui s'est écrasé au-delà de tout espoir de redressement, nous sommes vivants et en bonne santé, et nous avons des provisions et un équipement pour la tâche qui nous attend. »

L'Endurance a finalement coulé le 27 novembre 1915. « Ce soir, alors que nous étions couchés dans nos tentes, nous avons entendu le patron crier : "Ça y est, les gars !", » écrivit un membre de l'équipage. « Nous sommes sortis en une seconde et sommes montés sur le poste de vigie et d'autres points d'observation, et, bien sûr, notre pauvre navire se trouvait à deux kilomètres de là. Il a coulé la proue la première, la poupe levée en l'air. Il a ensuite plongé d'un coup sec et la glace s'est refermée sur lui pour toujours. »

 

POURQUOI CETTE ÉPAVE A-T-ELLE ÉTÉ SI DIFFICILE À TROUVER ?

Et c'est là que l'Endurance est resté enseveli sous la glace polaire à une profondeur de 3 000 mètres. En 2019, le Falklands Heritage Maritime Trust a monté sa première expédition pour retrouver l'épave du navire, mais n'a pas réussi à la localiser. Cet hiver, ils ont essayé à nouveau, en organisant et en finançant l'Endurance22. 

L'un des problèmes les plus épineux était d'établir l'emplacement de ladite épave. Après que l'Endurance a été initialement piégée dans la glace, il a continué à dériver au gré des flots. Lorsque le navire a finalement coulé, le capitaine de l'Endurance, Frank Worsley, a pris des mesures de l'emplacement à l'aide d'un sextant et les a consignées dans son journal. Mais en raison de la mauvaise visibilité le jour où les hommes ont abandonné le navire, Worsley n'a pas pu prendre les mesures appropriées qui auraient permis de calculer la direction et la vitesse de déplacement des floes.

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    Ernest Henry Shackleton a laissé derrière lui l'équipage de l'Endurance désormais prisonnier de la glace, sur l'île de l'Éléphant, partant chercher de l'aide avec cinq autres personnes dans une station baleinière de l'île de Géorgie du Sud. Lorsqu'il est arrivé, il était si décharné et négligé qu'il en était devenu méconnaissable.

    PHOTOGRAPHIE DE PA IMAGES, GETTY IMAGES | FRANK HURLEY, SCOTT POLAR RESEARCH INSTITUTE, UNIVERSITY OF CAMBRIDGE

    L'une des premières tâches de l'équipe de scientifiques et d'experts d'Endurance22 a été d'examiner les archives de Worsley afin de trouver une localisation plus précise. 

    « La dernière observation de Worsley remonte au 18 novembre 1915, puis il en a fait une autre le 20 novembre, au lendemain du naufrage du navire », explique Bound. « Il en a fait une autre le 22, mais il était alors à une certaine distance. Il a donc dû deviner la vitesse de la dérive des glaces.

    Il y avait aussi la question des chronomètres de l'équipage. En utilisant les cartes du ciel actuelles bien plus précises, les chercheurs ont calculé que les horloges de l'Endurance tournaient plus vite que ce que l'équipage avait reporté, une erreur qui déplaçait la position du navire à l'ouest de la dernière position enregistrée par Worsley. Grâce à ces calculs, l'expédition a pu restreindre ses recherches, mais les chances de retrouver le navire étaient encore grandes. 

    « Il ne nous restait plus que trois ou quatre jours et nous ne l'avions toujours pas trouvé », se souvient Bound. « Il y avait encore trois zones à examiner. Mais souvent, c'est la glace qui décide où va se poser notre regard. Et la glace allait d'ouest en est, ce qui nous a fait traverser la partie sud de notre zone de recherche. Et elle était là ! »

    « Elle n'était en fait qu'à 4,16 miles nautiques de la position de Worsley, ce qui montre l'incroyable précision de ses calculs », ajoute John Shears, le chef de l'expédition Endurance22.

    Outre la position de l'épave, le plus grand défi de l'expédition a été la glace de mer. « Un expert londonien nous a dit qu'il n'y avait que 10 % de chances de passer à travers la glace », se souvient John Shears en riant. Heureusement, leur navire de recherche, le S.A Agulhas II, était capable de briser une glace de 90 centimètres d'épaisseur à une vitesse de cinq nœuds. Mais cela ne l'a pas empêché de se faire brièvement « pincer » par la glace en février, lorsque la température est descendue à -10 degrés Celsius. « La presse en a fait tout un plat », relève Shears. « Mais nous ne sommes restés coincés que quatre heures environ, sur une petite plaque de glace, jusqu'à ce que la marée nous emporte. »

    Le navire de recherche a finalement atteint la zone de recherche désignée le 18 février, et l'équipe a commencé la chasse sous-marine pour mettre au jour l'épave de l'Endurance. Pour fouiller les fonds marins à 3 000 mètres de profondeur, ils ont utilisé deux AUV équipés d'un sonar et d'une technologie d'étude visuelle. Largement utilisés dans l'industrie pétrolière offshore, ces gadgets de 3,6 mètres de long ressemblent à des disques durs géants. Capables de fonctionner de manière autonome à 150 kilomètres d'un navire en activité et de résister à des pressions et des températures extrêmes, ils ont permis de filmer les toutes premières images du site de l'épave. 

    Bound et Shears se promenaient sur la glace lorsque les premières images ont été relayées par les AUV. « Dès que nous sommes revenus sur le navire, nous sommes montés sur le pont » se souvient Bound. « Un des gars du service sous-marin était là, souriant jusqu'aux oreilles. Lorsqu'il m'a montré une capture d'écran, c'était comme si toute ma vie pouvait se résumer à ce moment-là. »

    Pendant plus d'un siècle, l'Endurance est resté prisonnier de la mer de Weddell, qui s'étend sur plus de 2,8 millions de kilomètres carrés. Le navire a été retrouvé à plus de 3 000 mètres de profondeur, dans un état de conservation remarquable.

    PHOTOGRAPHIE DE THE FALKLANDS MARITIME HERITAGE TRUST, National Geographic

    LE DÉNOUEMENT 

    Shackleton aurait dit : « Ce que la glace attrape, la glace le garde. » Mais l'histoire de l'Endurance ne s'est pas terminée avec le naufrage du navire. Le voyage retour de Shackleton à travers la mer de Weddell pour aller chercher de l'aide pour son équipage échoué est devenu l'un des récits les plus célèbres d'exploration et de survie. 

    Le 4 avril 1916, Shackleton laissa son équipage sur l'île de l'Éléphant et partit avec cinq autres personnes dans l'un des canots de sauvetage de l'Endurance en direction de la Géorgie du Sud. Un voyage de 16 jours et de 1 300 kilomètres sur une mer glaciale et agitée, fouettée par des vents de la force d'un ouragan. « Le vent hurlait en arrachant le sommet des vagues », écrivit Shackleton. « Notre petit bateau montait et descendait, se tordait jusqu'à ce que ses coutures s'ouvrent. »

    Arrivés sur la côte sud de la Géorgie du Sud, ils durent faire une randonnée de 36 heures à travers l'île accidentée et montagneuse pour atteindre une station baleinière à Stromness. Shackleton s'efforça d'y arriver, même si, comme le suggèrent de nouvelles recherches, il souffrait alors probablement d'un problème cardiaque.

    Lorsque les hommes arrivèrent en titubant, le directeur de la station, Thoralf Sorlle, eut du mal à en croire ses yeux. « Nos barbes étaient longues et nos cheveux étaient emmêlés », écrivit Shackleton. « Nous n'étions pas lavés et les vêtements que nous avions portés pendant près d'un an sans nous changer étaient en lambeaux et tachés ».

    Près de six ans plus tard, alors qu'il se préparait à une autre expédition en Antarctique, Shackleton mourut d'une crise cardiaque en Géorgie du Sud. Il y fut enterré le 5 mars 1922. Exactement 100 ans plus tard, l'équipe d'Endurance22 a capturé ses premières images de l'Endurance

    Mensun Bound indique que lui et les membres de l'équipage s'arrêteront en Géorgie du Sud sur le chemin du retour pour se recueillir sur la tombe de Shackleton. « Nous sommes tristes de quitter le site », révèle-t-il. « Mais il y a un grand sentiment de fierté et d'accomplissement. Et nous nous arrêterons pour présenter nos respects au patron. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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