Les manuscrits de Tombouctou, trésors de sagesse et d'érudition

Ancien camp de nomades, la ville malienne est devenue aux 15e et 16e siècles un carrefour cosmopolite de sagesse et d’érudition.

De Editors of National Geographic
Publication 3 oct. 2021, 10:00 CEST
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Les mains d’Ahmad Bul Araf, bibliophile tombouctien, caressent les pages d’un ouvrage médical du 16e siècle.

PHOTOGRAPHIE DE Horst Friedrichs, Alamy

Le nom de Tombouctou évoque parfois à certains l’imaginaire romantique de trésors enfouis dans une ville oubliée du nord-ouest de l’Afrique. C’est une association enchanteresse qui se rit toutefois de la véritable richesse de Tombouctou. L’authentique trésor de cette ville malienne nichée aux confins du Sahara réside dans l’ampleur de son histoire. Pendant son « âge d’or », aux XVe et XVIe siècles, Tombouctou a compté entre 50 000 et 100 000 résidents. Ses rues animées étaient bondées de marchands accompagnés de chameaux dont les caravanes marchandes s’étendaient à perte de vue aux abords de la ville.

De nos jours, la ville compte à peu près autant d’habitants mais les caravanes ont disparu. Le sable soulevé par les vents du désert a quasiment enseveli la route pavée qui traverse le cœur de la ville et l’asphalte n’est plus qu’une bande serpentine noire ; les chèvres paissent désormais en bordure de route juste devant les bâtiments en brique d’argile. Ce n’est pas la ville la plus coquette, avis partagé par les nombreux étrangers aux espoirs déçus qui s’y rendent depuis 1828, date à laquelle René Caillié est devenu le premier Européen à se rendre à Tombouctou et à réussir à en revenir vivant. Plutôt que d’or, Tombouctou s’est bâtie de teintes plus subtiles : celles du hâle couleur crème des parchemins, des briques d’argile, et du sable du désert.

Ce qui nous parvient de l’histoire de Tombouctou fait émerger une mosaïque qui la dépeint comme un nœud commercial abreuvé de richesses par la place qu’elle occupait, au carrefour de deux grandes artères économiques : l’itinéraire saharien emprunté par les caravanes et le fleuve Niger. Les marchands y importaient des tissus, des épices et du sel d’endroits aussi lointains que Grenade, Le Caire ou La Mecque, et les échangeaient contre de l’or, de l’ivoire et des esclaves issus des terres africaines.

Construite au 14e siècle l’aide de briques d’argile par le grand empereur malien Mansa Musa, la mosquée Djingareyber est aujourd’hui le plus ancien bâtiment de Tombouctou. Longtemps vénérée comme lieu de savoir, elle est l’une des trois mosquées appartenant à l’université de la ville.

PHOTOGRAPHIE DE Frans Lemmens, Alamy

Ces richesses ont nourri l’ascension de Tombouctou en tant que plaque tournante du commerce mais aussi en tant que carrefour du savoir. La ville a érigé des mosquées majestueuses qui attiraient les savants et qui à leur tour fondaient des académies et importaient des livres de l’ensemble du monde islamique. Parchemins et manuscrits sur vélin arrivaient par le réseau de caravanes qui reliait l’Afrique du Nord à la Méditerranée et à l’Arabie. Les familles fortunées, qui mesuraient leur statut au nombre de livres qu’elles accumulaient, faisaient copier et enluminer leurs œuvres par des scribes de la région. Les riches ont alors bâti de vastes bibliothèques abritant des ouvrages concernant la religion, les arts, les mathématiques, la médecine, l’astronomie, l’Histoire, la géographie et la culture.

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    PHOTOGRAPHIE DE The Metropolitan Museum of Art in New York

    FONDATIONS ET FOI

    Les origines de Tombouctou remontent au moins aux années 1100, quand un clan de Touaregs, peuple nomade du nord-ouest de l’Afrique, a levé le campement saisonnier qu’il avait installé sur les rives du Niger. D’après la légende, en partant vers le nord, ils ont confié leur campement à une femme du nom de Bouctou, qu’on pourrait traduire par « mère au nombril proéminent ». Quand vint le moment de retourner au camp, les Touaregs se sont mis à le désigner par le nom de Tin Buqt, « le puits de Bouctou ». C’est ce campement qui s’est développé et qui a donné la ville de Tombouctou dans les siècles qui ont suivi.

    Aux 8e et 9e siècles, l’islam commença à se répandre en Afrique du Nord, d’abord en Égypte, puis sur l’ensemble du littoral maghrébin, de la Lybie à la Mauritanie en passant par la Tunisie, l’Algérie et le Maroc. De là, les marchands musulmans traversaient le Sahara avec leurs caravanes pour aller trouver de l’or, de l’ivoire et d’autres marchandises précieuses sur les rives du Niger et du Sénégal. En plus des richesses que leur apportaient le commerce dans la région, les habitants ont commencèrent à se convertir à cette nouvelle religion. Les marchands finirent par atteindre Tombouctou et par y répandre leur foi.

    Au début du 13e siècle, les Malinkés peuplaient le petit royaume de Kangaba (situé près de l’actuelle frontière guinéo-malienne). Vers 1225, ils suivirent Sundiata, prince en exil et en rébellion contre Sumanguru, chef impopulaire ayant repoussé les marchands musulmans. Après s‘être emparé du pouvoir à Kangaba, Sundiata mena une guerre d’expansion et s’empara de l’ancien royaume du Ghana ainsi que de terres voisines regorgeant d’or et d’autres biens précieux. Tombouctou en faisait partie. Il se convertit à l’islam et accueillit les marchands musulmans sur ses terres.

    Plusieurs portes de la mosquée Sidi-Yahya de Tombouctou arborent des ornements d’influence marocaine qui contrastent avec l’austérité des autres bâtiments de la ville.

    PHOTOGRAPHIE DE Michel Renaudeau/Getty Images

    Sous son règne, la région devint prospère au point qu’elle finirait par prendre le nom d’Empire du Mali. On y pratiquait volontiers la tolérance religieuse et les religions polythéistes traditionnelles s’épanouirent aux côtés d’autres croyances. La popularité de l’islam grandit, surtout dans la classe marchande. Quand Mansa Musa, grand-neveu de Sundiata, devint empereur, il fit de Tombouctou sa capitale. Il repoussa les frontières de l’Empire du Mali et pris le contrôle de villes comme Gao, à l’est, Oualata, à l’ouest, et Djenné, au sud.

    Un manuscrit provenant de la collection de l’archiviste Abdel Kader Haidara.

    PHOTOGRAPHIE DE Xavier Rossi/Getty Images

    En 1324, Mansa Musa quitta Tombouctou pour s’embarquer dans un pèlerinage vers La Mecque qui renouvela l’attention portée au Mali et à ses richesses. Sa délégation comptait plusieurs milliers de personnes et quelque 500 esclaves portant chacun deux kilos d’or. D’après une source arabe, Mansa Musa et ses domestiques furent si dépensiers au Caire que le cours de l’or y fut dévalué pendant des années.

    Le voyage de Mansa Musa fit grandir la réputation savante de Tombouctou ainsi que son statut de ville commerciale. Des architectes firent le voyage du retour avec lui, et notamment un architecte cairote qui avait dessiné la mosquée Djingareyber, désormais inscrite au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Les savants du monde arabe se précipitèrent à Tombouctou et on orna la ville de mosquées et d’universités.

    Le savoir acquis par Mansa Musa fut peut-être la plus grande réussite de son voyage. Il rapporta toute une bibliothèque arabe de La Mecque ainsi que de la poésie de son passage en Andalousie. On construisit des bibliothèques plus vastes encore où des fragments des « Mille et une nuits », de la poésie lyrique maure et des exégèses coraniques de La Mecque côtoyaient les intrigues de cour et les aventures militaires des redoutables royaumes africains.

    Personne ne sait combien de manuscrits la ville abritait lors de son âge d’or aux XVe et XVIe siècles mais il y en avait presque certainement des centaines de milliers. À cette période, la ville était aux mains de l’Empire songhaï et attirait des savants du Caire et même de Cordoue. On ne cessa pas d’y chérir les livres et dans toute la ville, des myriades de scribes œuvraient à la copie et à l’écriture d’ouvrages. Les textes et traités islamiques étaient les plus en vogue mais les manuscrits de Tombouctou englobaient un large éventail de sujets (sciences, mathématiques, médecine, philosophie et astronomie) et d’auteurs, aujourd’hui considérés classiques, comme Ptolémée, Aristote, Platon et Avicenne.

    Un traité du 12e siècle sur l’art de la prophétie, conservé par l'archiviste Abdel Kader Haidara.

    PHOTOGRAPHIE DE Xavier Rossi/Getty Images

    La chute de Tombouctou survint en 1591 lors de l’invasion d’un sultan marocain qui voulait faire main basse sur le commerce de l’or. Ses troupes ont pillé les bibliothèques et rassemblé les savants les plus éminents pour les renvoyer au sultan. Les collections des bibliothèques de Tombouctou furent dispersées. Les familles possédant des bibliothèques privées cachèrent leurs livres : certains furent scellés à l’intérieur des murs en brique d’argile ; d’autres furent enfouis dans le désert ; mais beaucoup furent simplement perdus ou détruits pendant le transport.

    L’explorateur français René Caillié a croqué le paysage urbain de Tombouctou lors de sa visite en 1828. Les imposantes mosquées, bâties des siècles plus tôt sous le règne de Mansa Musa, sont toujours visibles.

    PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman, ACI

    Avec le temps, l’Europe se prit de fascination pour la ville. Engouement renforcé au 16e siècle par les écrits de Léon l’Africain, qui se rendit à Tombouctou et consigna ses impressions dans sa Description de l’Afrique. La difficulté d’accès à la ville n’enlevait par ailleurs rien à l’aura de mystère qui l’entourait, bien au contraire. En 1828, l’explorateur français René Caillié devint le premier Européen à s’y rendre et à en revenir ; il retrace son périple dans son Journal d’un voyage à Tombouctou.

     

    PROTÉGER ET PRÉSERVER

    À la fin du 19e siècle, Tombouctou était aux mains de l’Empire colonial français. Peu après avoir obtenu son indépendance en 1960, le Mali s’est mis à la recherche des manuscrits perdus de Tombouctou. L’Institut Ahmed-Baba (IHED-AB) a été fondé dans cette optique de recouvrement et de sauvegarde des anciens manuscrits. Il tire son nom du plus célèbre savant de Tombouctou, Ahmed Baba al Massufi, qui dut s’exiler à Marrakech après la prise de pouvoir marocaine au 16e siècle.

    Un technicien procède à la restauration d'un manuscrit fragile dans la bibliothèque Mamma Haidara de Tombouctou. La bibliothèque porte le nom du père du collectionneur de livres et érudit de Tombouctou Abdel Kader Haidara.

    PHOTOGRAPHIE DE Ensba, RMN Grand Palais

    En 2012, un autre péril a fait son apparition : des djihadistes ayant récupéré des armes libyennes après la chute de Mouammar Kadhafi ont envahi le nord du Mali. Du jour au lendemain, Tombouctou a été plongée dans un cauchemar et ses habitants se sont mis à craindre pour leur vie. Ils avaient également conscience que les manuscrits étaient en danger, au moins autant que l’héritage culturel des monuments de la ville. La police, l’armée, l’ensemble des représentants du gouvernement mais aussi des milliers de citoyens ordinaires ont dû s’enfuir. Les pilleurs se sont emparés des rues. Menacés de destruction par la charia, de nombreux manuscrits ont pu être exfiltrés de la ville et mis à l’abri.

    Pendant neuf mois traumatisants, on a pu sauver environ 350 000 manuscrits provenant de quarante-cinq bibliothèques de Tombouctou et de ses alentours ; ils ont alors été cachés à Bamako, la capitale. D’autres volumes ont été dissimulés à l’intérieur même de la ville. Les djihadistes ont été défaits en 2013. En fuyant Tombouctou, ils ont mis le feu à l’Institut Ahmed-Baba ; d’après les chercheurs chargés d’évaluer les dégâts, de nombreux manuscrits ont échappé aux flammes. Le travail de conservation de ces trésors fragiles se poursuit aujourd’hui, alors mêmes qu’ils sont en proie à l’instabilité politique. La recherche de textes anciens est réjouissante tant elle est inachevée. En effet, nous sommes loin d’avoir pris toute la mesure des trésors dont Tombouctou recèle encore.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.                     

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