Les Vikings étaient-ils aussi violents que nous l'imaginons ?

Souvent représentés dans les récits et témoignages comme un peuple violent et sans pitié, les Vikings n'employaient pourtant pas des méthodes de guerre si différentes de celles des autres peuples européens de l’époque.

De Christopher Shea
Publication 9 mai 2022, 17:01 CEST
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Cette image illustre le stéréotype des maraudeurs vikings faisant des ravages, même sur le clergé. La scène représente le monastère de Clonmacnoise, en Irlande.

ILLUSTRATION DE Tom Lovell

Les Vikings ne firent pas de quartier lorsqu’ils prirent d’assaut la ville de Nantes en juin 843, pas même lorsqu’ils trouvèrent des moines barricadés dans la cathédrale de la ville. « Les païens ont décimé toute la multitude de prêtres, de clercs et de laïcs », selon le récit d’un témoin. Parmi les victimes, qui auraient été tuées alors qu’elles célébraient la messe, se trouvait notamment un évêque qui fut canonisé par la suite.

Pour les lecteurs modernes, l’attaque semble monstrueuse, même selon les normes de la guerre médiévale. Mais le récit du témoin contient une bonne dose d’hyperbole, selon Anders Winroth, professeur d’histoire à Yale et auteur de l’ouvrage Au temps des Vikings publié en 2014. Cette exagération est souvent présente dans les écrits des Européens concernant les Vikings.

Lorsque l’on examine de plus près le récit de l’attaque de Nantes, « une image plus raisonnable émerge », écrit-il. Par exemple, après avoir déclaré que les Vikings avaient tué « toute la multitude », le témoin se contredit en notant que certains des clercs furent faits prisonniers. Et il restait suffisamment de personnes, parmi les « nombreux survivants du massacre », pour payer une rançon afin de récupérer ces prisonniers.

En bref, à part ignorer la règle implicite qui interdisait de traiter les moines et les prêtres d’une certaine manière, les méthodes des Vikings n’étaient pas si différentes de celles des autres guerriers européens de l’époque, affirme Winroth.

Par exemple, en 782, Charlemagne, qui est aujourd’hui dépeint comme le premier unificateur de l’Europe, fit décapiter 4 500 captifs saxons en un seul jour. « Les Vikings n’ont jamais atteint un tel niveau d'efficacité », déclare Winroth avec humour.

Erik le Rouge, célèbre explorateur viking qui découvrit le Groenland, construisit une église en bois (réplique ci-dessus) pour sa femme à Qassiarsuk, au Groenland.

PHOTOGRAPHIE DE tom lovell

L’HISTOIRE DES VIKINGS RACONTÉE PAR LEURS VICTIMES

Les Vikings étaient-ils vraiment cruels ? Winroth fait partie des spécialistes qui pensent que les Vikings n’étaient pas plus assoiffés de sang que les autres guerriers de leur époque. Mais ils ont souffert d’une mauvaise image auprès du public, notamment parce qu’ils s’attaquaient à une société plus instruite que la leur et que, par conséquent, la plupart des récits les concernant proviennent de leurs victimes. De plus, les Vikings étant des païens, ils firent l’objet d’un récit chrétien qui les présentait comme une force extérieure maléfique et diabolique.

« Il y a cette idée générale selon laquelle les Vikings étaient un peuple attrayant et étranger, comme quelque chose que nous ne pouvons pas comprendre de notre point de vue. Cela ne fait que poursuivre l’histoire racontée par les victimes à leur époque », explique Winroth. « On commence alors à les considérer comme des personnages de contes, ce qui est profondément injuste. »

En réalité, selon lui, « les Vikings étaient des sortes d’entrepreneurs du marché libre ».

Des preuves archéologiques suggèrent que les Vikings construisirent un camp de base pour la chasse et le commerce sur la côte de l'île de Baffin au Canada.

PHOTOGRAPHIE DE Tom Lovell

Pour s’en assurer, des spécialistes soulignent depuis des dizaines d’années les aspects de la vie des Vikings qui vont au-delà de l’aspect guerrier que nous connaissons bien. Ils mettent donc en avant l’artisanat de ce peuple nordique, mais aussi leur commerce avec le monde arabe, leurs implantations au Groenland et à Terre-Neuve, l’ingéniosité de leurs navires et le fait que la majorité d’entre eux restaient sur place après les raids.

Mais Winroth souhaite faire définitivement oublier la notion selon laquelle les Vikings étaient les « nazis du Nord », comme le soutenait un article du journaliste britannique Patrick Cockburn publié en 2014. Les atrocités commises par les Vikings étaient « l’équivalent de celles commises par les divisions SS qui ont envahi la Pologne il y a soixante-quinze ans », écrivait-il.

Peu d’universitaires partagent aujourd’hui l’avis de Cockburn. Certains pensent toutefois que la tendance que Winroth représente, qui consiste à atténuer l’image de violence extrême que nous avons des Vikings et à souligner leurs similitudes avec les autres Européens, va trop loin.

« Les autres Européens étaient eux aussi parfaitement horribles », convient Tom Shippey, professeur émérite d’anglais à l’université Saint-Louis, qui écrit souvent sur les Vikings. Il demande toutefois, en exagérant légèrement : qu’est-ce qui fait que les Vikings gagnaient toujours ?

Selon lui, une grande partie de la réponse à cette question réside dans une « philosophie qui ne ressemble à rien d’autre en Europe » : la vénération de l’idéal du guerrier, un humour macabre, mais aussi une absence de la peur de la mort.

En outre, comme le souligne Martin Arnold, professeur spécialisé dans l’ère des Vikings à l’université de Hull, le pape imposait des limites à la guerre menée par les Chrétiens, et menaçait d’excommunication les chefs qui devenaient trop agressifs. Aucune force n’imposait de telles règles aux Vikings.

Une autre théorie, à laquelle Winroth souscrit, tente d’expliquer le nombre de victoires et de défaites des Vikings : selon elle, leurs navires étaient si rapides et si furtifs qu’ils surprenaient presque toujours leurs ennemis. « Je n’y crois pas », dit Shippey.

Les navigateurs vikings utilisèrent des navires comme cette réplique moderne pour atteindre le Nouveau Monde.

PHOTOGRAPHIE DE MUSÉE DES BATEAUX VIKINGS, ROSKILDE DANEMARK

BERSERKERS ET AIGLES DE SANG

Les érudits avaient coutume d’affirmer que, pour exécuter certaines de leurs victimes, les Vikings utilisaient une méthode appelée « l’aigle de sang ». Cette pratique consistait à graver la forme d’un aigle sur le dos de la victime, d’ouvrir sa cage thoracique et d’arracher ses poumons par l’arrière.

Winroth soutient fermement l’idée, avancée pour la première fois par sa collègue de Yale Roberta Frank, que cette anecdote découle d’une mauvaise interprétation des vers vikings écrits par les « scaldes », qui étaient allusifs, grammaticalement ambigus et riches en métaphores.

Dans la poésie scaldique, il est courant de trouver des oiseaux, dont des aigles, qui dévorent les corps de leurs ennemis. Suite à des lectures grammaticales douteuses, les auteurs des sagas scandinaves, écrites des siècles après les raids vikings, transformèrent un aigle ouvrant le dos d’un homme en un aigle sculpté sur le dos d’un homme. D’autres embellissements et modifications découlèrent ensuite de cette première erreur.

Winroth souhaite également que nous transformions l’image que nous avons des berserkers : ces guerriers qui, selon la légende, étaient quasiment psychopathes, se trouvaient en première ligne des attaques vikings, et qui auraient été immunisés contre la douleur et peut-être même sous l’emprise de champignons hallucinogènes. Les récits les plus fantaisistes ajoutent qu’ils mâchaient leurs boucliers et mangeaient du charbon ardent. Winroth affirme que les références aux berserkers apparaissent pour la première fois dans la poésie islandaise des 13e et 14e siècles, et qu’ils y sont clairement décrits comme des personnes ayant vécu « il était une fois ».

Mais cela n’exclut pas nécessairement l’existence de guerriers à moitié fous, affirme Robert Ferguson, chercheur indépendant et auteur de The Vikings.

« Je n’ai pas particulièrement de mal à imaginer que les Vikings qui étaient en première ligne de leurs attaques étaient des hommes violents. Ils buvaient. Ils étaient presque des psychopathes. Je pense que nous avons des berserkers [dans les armées modernes] aujourd’hui. C’est juste qu’on ne les appelle plus comme ça. »

Ce camp viking géométrique situé sur la péninsule du Jutland, au Danemark, s'étend sur près de 130 mètres de diamètre.

PHOTOGRAPHIE DE Tom Lovell

LA VRAIE MOTIVATION DES RAIDS VIKINGS

Selon Winroth, les Vikings ne partaient pas au combat pour un amour irrationnel du chaos, mais plutôt pour des raisons pragmatiques, à savoir la constitution de fortunes personnelles et le renforcement du pouvoir de leurs chefs de clans. Pour preuve, Winroth énumère les cas où les chefs vikings négocièrent ou tentèrent de négocier un paiement.

Par exemple, avant la bataille de Maldon en Angleterre, un messager viking débarqua et s’écria devant plus de 3 000 soldats saxons : « Il vaut mieux pour vous que vous évitiez ce combat en nous payant un tribut… Nous n’avons pas besoin de nous entretuer ». Les Anglais choisirent de se battre, et furent vaincus. Comme tout le monde, les Vikings préféraient gagner par la négociation plutôt que de risquer une défaite, explique Winroth.

Tous les endroits attaqués par les Vikings ne furent pas décimés, malgré les nombreuses affirmations des scribes qui écrivaient « tout a été détruit ». Winroth remarque que Dorestad, un centre de commerce qui se trouvait dans ce qui est aujourd’hui les Pays-Bas, fut mis à sac quatre fois en l’espace de quatre ans à partir de 834, et qu’il continua malgré tout à prospérer. Les raids vikings étaient considérés comme des « frais généraux », selon Winroth, et un bon nombre de commerçants faisant des affaires à Dorestad étaient sans doute nordiques.

Dans le même ordre d’idées, Winroth souligne à quel point les Vikings étaient liés aux autres Européens. Dans les années 840, un Viking nommé Rörik, dont l’oncle avait été roi au Danemark, pilla les régions côtières du royaume de l’empereur Lothaire Ier, dans ce qui est aujourd’hui la Belgique et les Pays-Bas. Lothaire finit par engager Rörik pour défendre ses terres contre d’autres raids vikings, ce qui était une pratique courante à cette époque. Rörik devint alors l’équivalent d’un prince européen.

Cette plaque de casque du 6e siècle montre deux berserkers, l'un portant un casque à cornes et l'autre un masque de loup ou d'ours.

PHOTOGRAPHIE DE Tom Lovell

Les Nordiques étaient de prodigieux commerçants, vendant des fourrures, des défenses de morses et des esclaves aux Arabes en Orient. Winroth va jusqu’à affirmer que les Vikings apportèrent à l’Europe de l’Ouest un stimulant monétaire dont elle avait grandement besoin durant cette époque cruciale. Le commerce nordique permit une rentrée de dirhams arabes, ou de pièces de monnaie, qui contribuèrent à faciliter la transition vers une économie de commerce plutôt que de troc.

Pourtant, même parmi les spécialistes qui tentent de voir les choses du point de vue des Vikings, des désaccords persistent sur la nature de leur violence. Robert Ferguson, par exemple, ne minimise pas leur férocité, mais il la caractérise comme étant symbolique et défensive : une forme de « guerre asymétrique ».

En l’an 806, par exemple, le massacre de soixante-huit moines sur l’île d’Iona, au large de l’Écosse, sema la terreur en Europe. Selon Ferguson, cette action visait à convaincre Charlemagne, entre autres, qu’il serait très coûteux pour eux d’étendre le christianisme en Scandinavie par la force. Les Vikings « se battaient pour défendre leur mode de vie », explique Ferguson.

Stefan Nordgren vit dans une caravane lors de la reconstitution annuelle d'une bataille viking en Suède.

PHOTOGRAPHIE DE David Guttenfelder

Winroth n’emprunta pas une voie conventionnelle pour devenir spécialiste des Vikings. Lorsqu’il était étudiant en Suède, d’où il est originaire, il était frustré par le peu de connaissances qu’il avait sur les Vikings. Et les mauvaises interprétations sur ce peuple « sont tout aussi répandues en Scandinavie » qu’ailleurs, explique-t-il. « Peut-être même plus. »

Lorsque ses premiers travaux de recherche sur le droit ecclésiastique médiéval lui permirent de remporter la bourse MacArthur, attribuée sur cinq ans pour permettre aux lauréats de poursuivre et développer leur activité, il utilisa une partie des fonds pour se reconvertir dans l’étude des Vikings.

Lorsqu’on lui demande s’il pense que l’on risque d’aller trop loin dans la domestication des Vikings, Winroth répond : « Les domestiquer signifie les voir dans leur contexte ».

Pour un historien, replacer les gens dans le contexte de leur époque permet de les humaniser, ajoute-t-il. Et c’est un bien indéniable, même lorsqu’il s’agit de personnes connues pour leurs actes de pillage, de rapine et de massacre de moines.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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