Pourquoi les étudiants d’Oxford avaient-ils un tel penchant pour le meurtre ?

Alcool ? Bravades masculines ? Couteaux trop nombreux ? Au Moyen Âge, plusieurs facteurs contribuèrent à l’épidémie de crimes majeure survenue dans cette prestigieuse université anglaise.

De Tom Metcalfe
Publication 5 oct. 2023, 13:06 CEST
Vue aérienne du All Souls College et des nombreux clochers de l'Université d'Oxford, Oxfordshire, Angleterre.

Vue aérienne du All Souls College et des nombreux clochers de l'Université d'Oxford, Oxfordshire, Angleterre.

PHOTOGRAPHIE DE Brian Jannsen / Alamy Banque D'Images

Au Moyen Âge, on pouvait mourir d’étudier à l’Université d’Oxford. Si l’on y étudiait, on avait trois fois plus de chances environ d’y commettre un meurtre ou d’être brutalement tué que les autres résidents de cette ville médiévale anglaise.

D’après des chercheurs, cette statistique déconcertante, obtenue à partir d’archives juridiques de l’époque, est probablement due au grand nombre de jeunes étudiants hommes et célibataires présents dans la ville et à l’omniprésence d’armes mortelles, d'alcool et de travailleuses du sexe.

Selon Manuel Eisner, criminologue à l’Université de Cambridge, ce problème ne concernait pas qu’Oxford, mais également, à la même période, plusieurs autres universités d’Europe continentale.

« Dans toute l’Europe, à Paris et à Bologne, on se plaignait fréquemment de la violence estudiantine, explique-t-il. Les étudiants étaient partout considérés comme un problème particulier. »

 

UN MEURTRE DES PLUS ODIEUX

Manuel Eisner est le chercheur principal d’un projet nommé Medieval Murder Maps dont l’objectif est de localiser des meurtres commis en Angleterre et archivés dans les « rouleaux » des coroners, des médecins légistes médiévaux.

À cette époque, il n’y avait pas de police, et chaque fois qu’une mort violente survenait, les coroners menaient une enquête (« inquest ») afin de découvrir qui en était le responsable. Selon Manuel Eisner, les rouleaux des coroners médiévaux constituent l’une des plus anciennes archives légales anglaises, et ils sont désormais une source importante pour les chercheurs.

Il y a peu encore, le projet ne concernait que la ville de Londres et les scènes de crime étaient placées sur une carte détaillée élaborée par la Fondation des villes historiques. Mais les chercheurs ont désormais pris en compte Oxford et York, de grandes villes anglaises à l’époque, afin de mettre au jour la trame des crimes qui y étaient commis.

Les registres des coroners identifient 75 % des meurtriers et 72 % des victimes de meurtre d’Oxford comme « clericus », un terme employé pour désigner les étudiants et les professeurs de l’université.

L’archéologue Julian Munby, qui n’a pas pris part au projet, explique qu’à ses débuts, l’université était financée par l’Église et que tous les étudiants étaient « clercs des ordres mineurs », le rang le plus bas pour les hommes d’Église, même lorsqu’ils n’avaient aucune inclination religieuse. Comme le fait remarquer Manuel Eisner, les étudiants homicides pouvaient plaider le « privilège du clergé », une faille juridique qui leur permettait de ne pas être exécutés en vertu du droit commun.

Cette dague à rognons du 14e siècle, nommée ainsi en raison de sa garde caractéristique, était couramment utilisée en Europe au Moyen Âge comme couvert de cuisine, comme outil ou encore comme arme. Souvent appelée « dague à reins », elle était portée par de nombreux étudiants d’Oxford, dont un nombre inhabituel nourrissait visiblement des desseins meurtriers.

PHOTOGRAPHIE DE The Metropolitan Museum of Art

À Londres, les rouleaux des coroners ont archivé 142 meurtres entre 1300 et 1340 (les registres des autres années ne nous sont pas parvenus), tandis que 130 meurtres ont été enregistrés dans la ville marchande d’York, plus au nord, de 1345 à 1385.

Cependant, à Oxford, les rouleaux des coroners ont enregistré 68 meurtres en l’espace de quelques années seulement, la plupart commis entre 1342 et 1348.

Étant donné la population bien moindre d’Oxford, les chercheurs estiment que le taux de meurtre y était cinq fois supérieur environ à celui de Londres et d’York au même moment. En outre, ils remarquent que le taux de meurtre dans ces villes médiévales était environ vingt fois supérieur au taux actuel, une différence due selon eux à l’absence de maintien de l’ordre et de traitements médicaux.

 

BRAVADES MASCULINES

Selon Manuel Eisner, la violence estudiantine à Oxford était principalement due à des rodomontades masculines et adolescentes : les étudiants de l’université quittaient souvent leur domicile pour la première fois vers l’âge de 14 ou 15 ans pour s’installer dans des logis surpeuplés en ville, et ils étaient ainsi susceptibles de se livrer à des comportements risqués.

Les tensions violentes entre étudiants pouvaient être exacerbées par des questions ethniques ou territoriales : le fait de venir d’Irlande, du Pays de Galles, d’Écosse ou encore du nord et du sud de l’Angleterre pouvait constituer un motif de rivalité. Selon Manuel Eisner, chacun était également porteur d’un petit couteau ordinaire qui servait à manger et, de fait, tout le monde était armé ; certains étudiants portaient même des couteaux plus grands, des épées et d’autres armes conçues spécifiquement pour se battre.

Pour ne rien arranger, on pouvait se procurer de l’alcool facilement dans les tavernes et dans les auberges de chaque rue ou presque ; plusieurs affrontements documentés entre étudiants d’Oxford concernent des « filles de joie », des travailleuses du sexe, dont la présence était banale dans les villes médiévales.

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    Pendant ce temps, de nombreux meurtres commis à York étaient liés au commerce du textile, ainsi que le fait remarquer Stephanie Brown, historienne de l’Université de Cambridge et co-chercheuse dans le cadre du projet. La ville était alors animée par l’industrie de la laine, et les rouleaux des coroners d’York révèlent des meurtres entre artisans de la même corporation, entre gantiers ou entre chapeliers, par exemple.

    Cette ville prospère attirait également des travailleurs étrangers, en particulier en provenance de régions de l’actuelle Belgique et des actuels Pays-Bas. Si les personnes immigrées ont pu servir de boucs émissaires aux populations locales, leurs noms ne sont toutefois pas surreprésentés dans les rouleaux des coroners. Selon Stephanie Brown, cela signifie qu’on les considérait comme des membres à part entière de la société.

    Elle ajoute que les rouleaux enregistrent parfois des homicides entre immigrés et autochtones, ce qui souligne le fait qu’ils vivaient et travaillaient tous aux mêmes endroits ; un niveau d’intégration jusqu’alors inconnu en ce qui concerne l’Angleterre médiévale.

    « L’homicide est une relation sociale, les gens ont tendance à se connaître avant que le conflit ne débute », fait-elle observer.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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