Pourquoi nos ancêtres avaient-ils les dents mieux alignées que nous ?

Nous sommes de plus en plus nombreux à avoir recours à l’orthodontie. Pour comprendre la raison il faudrait, selon les scientifiques, regarder dans nos assiettes.

De Morgane Joulin
Publication 21 févr. 2024, 10:18 CET
La formule dentaire à trente-deux dents existe depuis l'Aegyptopithecus, un lointain ancêtre de l’Homme.

La formule dentaire à trente-deux dents existe depuis l'Aegyptopithecus, un lointain ancêtre de l’Homme. 

PHOTOGRAPHIE DE Wirestock, Inc. / Alamy Banque D'Images

Un Français sur deux aurait déjà eu recours à l’orthodontie, d’après un sondage de l’IFOP et du Syndicat des Orthodontistes de France (SODF). La nature, qui fait pourtant bien les choses d’habitude, semble défaillante sur ce point. Mais pourquoi ? 

« La majorité des problèmes dentaires actuels, notamment chez les enfants, proviennent du fait que les mâchoires deviennent de plus en plus petites au cours de l’évolution du genre Homo. », résume Jean-Jacques Jaeger, Paléontologue et professeur à l’Université de Poitier. Selon lui, cette évolution est en partie liée à « l’absence de sélection naturelle », car « ces anomalies se perpétuent de génération en génération. »

Autre raison avancée par les scientifiques : le changement de régime alimentaire. Il y a 3 à 4 millions d’années, les Australopithèques étaient principalement végétariens, d’après ce que les scientifiques ont pu déduire à partir des fossiles mis au jour. À partir de 2 millions d'années, la consommation de viande devient plus régulière, acquise par charognage, puis les Hommes du paléolithique deviennent chasseurs-cueilleurs.

La domestication du feu par l’Homo erectus, il y a environ 790 000 ans, couplé à l’invention de nouveaux outils et le développement de l’agriculture, ont profondément modifié le régime alimentaire des humains

À partir de 10 000 à 4 000 ans avant notre ère, la culture du blé et des céréales ainsi que l’élevage des principaux animaux de rente apparaissent au Proche-Orient, et se développent ensuite en Europe. L’Homo sapiens se sédentarise à partir de cette époque, pour prendre soin de son champ et de ses animaux. Avec l’arrivée des céréales et de la viande cuite, l’alimentation devient plus molle et la mastication moins longue. Et ce phénomène s’accentue encore davantage à partir du 18ᵉ et 19ᵉ siècle, avec l’industrialisation de la production alimentaire. 

Or « plus on va manger des aliments peu cuits qui nécessitent une mastication importante, plus on va avoir de l’espace dans notre arcade dentaire », indique Sandrine Prat, Paléoanthropologue au Muséum National d’Histoire Naturelle et Directrice de recherche au CNRS. Selon elle, la mastication « offre un large éventail de mouvement de la mandibule », ce qui entraîne « des mouvements de latéralité au cours du cycle de la mastication, qui va faciliter l’élargissement des arcades dentaires. »

Mais dans les régimes modernes d’aujourd’hui, « on mange des aliments relativement cuits, hachés, mixés, donc qui ne demandent pas beaucoup de mastication, cela provoque un rétrécissement de la mâchoire. », explique la paléoanthropologue. Les os de la machoire  ne travaillent pas autant qu’à l’époque de nos ancêtres.

Fossile humain préhistorique, mandibule d'Homo antecessor vieux de 850 000 ans.

PHOTOGRAPHIE DE DAVID HERRAEZ / Alamy Banque D'Images

Pour en avoir le cœur net, la chercheuse Noreen Von Cramon-Taubadel a publié en 2012 une étude dans laquelle elle a documenté la variation de mandibule entre des chasseurs-cueilleurs venant de Mongolie et d’Alaska, avec des Italiens et Japonais dont l’alimentation était issue de l’agriculture intensive. Lors de ses travaux, elle s’est rendu compte qu’il y avait bien une différence de forme de la mandibule entre les deux groupes, qu’elle a pu lier à la différence de comportement alimentaire. 

 

UN MANQUE DE PLACE

La composition de nos dents est restée la même depuis 200 millions d’années. « Elles sont faites de dentine recouverte d'émail pour les couronnes et d'os pour les racines », indique Jean-Jacques Jaeger. La raison de cette longévité est simple : « l’émail est un tissu très dur, fortement minéralisé (Hydroxyapatite) qui se conserve très bien. »

La taille de nos dents n'a, elle non plus, pas beaucoup changé. « La taille des dents, qui étaient bien plus grandes il y a 2 -1 million d'années […] a diminué progressivement, mais moins vite que leur place dans les mâchoires, d'où les problèmes », ajoute le spécialiste. « Et cela ne peut que s'accentuer au cours des siècles à venir, une tendance évolutive s'inversant rarement, sauf si les conditions de milieu changent de manière drastique. »

Ce n'est donc pas la taille de nos dents qui augmente, mais bien la taille de notre mâchoire qui diminue. L’exemple type est celui de la dent de sagesse, aussi appelée troisième molaire. Elle « existe chez les primates primitifs depuis plus de 55 millions d’années », relate Jean-Jacques Jeager. Elles font irruption entre dix-huit et vingt-cinq ans et de nombreux autres cas de figure, il est nécessaire de les enlever. « Les problèmes causés par les dents de sagesse sont clairement liés à la diminution de la taille de nos mâchoires, ce qui réduit la place nécessaire à leur éruption et conduit à des pathologies et à leur extraction », explique Jean-Jacques Jaeger. Avec le temps, Sandrine Prat estime même que l’« on va vers ce qu’on appelle une "perte de la troisième molaire" », c’est-à-dire dire une absence de formation des dents de sagesse

Nos dents sont également de plus en plus touchées par les maladies infectieuses, comme les caries. Selon Sandrine Prat, cette abondance de caries est récente. « Il y a eu des analyses génétiques sur le tartre sur des populations anciennes du néolithique et après la révolution industrielle. Certains chercheurs ont constaté qu’il y avait une bactérie responsable des caries, qui a commencé à envahir les bouches, il y a plus de 200 ans. » Cette bactérie, c’est le Streptococcus mutans. Si elle a pu se développer aussi rapidement, c’est en partie lié à « une chute de la diversité de notre flore bactérienne qui laisse la place à la domination des souches bactériennes qui sont responsables de caries. Cette bactérie transforme le sucre en acide lactique, qui attaque l’émail dentaire. » La prolifération des caries n’est donc pas uniquement liée à la forte teneur en sucre de notre alimentation moderne. 

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