Paracelse, le combat d’un médecin visionnaire

En guerre contre la médecine antique et médiévale, ce professeur suisse promut au xvie siècle une nouvelle manière de soigner, fondée sur l’usage de substances chimiques.

De Sergi Grau Torras

Un médecin menteur et un ivrogne : c’est ainsi que l’homme d’Église anglais Thomas Fuller présente Paracelse dans les notes destinées à son ouvrage The Holy State and the Profane State (1642).

À l’époque, le médecin suisse était encore un personnage controversé. Sa remise en question du système médical traditionnel en avait fait la bête noire des médecins conservateurs, pour qui les remèdes chimiques et minéraux qu’il prônait étaient une imposture. Comme l’écrivait un autre de ses détracteurs, le Français Guy Patin, « Paracelse était le plus grand et le plus dangereux des fanfarons, maître dans l’art d’assassiner les gens par la chimie ».

Au contraire, les rénovateurs l’ont considéré comme un pionnier de la médecine dite « chimique », qui a triomphé plus tard, au XVIIIe siècle. Né en 1493 ou 1494 à Einsiedeln, en Suisse, Theophrastus von Hohenheim passe la plus grande partie de son enfance avec son père, professeur de chimie à l’École des Mines de Villach, dans le sud de l’Autriche. Il apprend avec lui l’art de la médecine et de la minéralogie.

Dès l’âge de 14 ans, il mène une vie d’étudiant typique de son époque, se déplaçant d’une université à une autre à la recherche des meilleurs professeurs. Il semble qu’il ait étudié à Bâle, Tübingen, Vienne, Wittenberg et Leipzig. Mais, très vite, il se sent peu satisfait de l’enseignement scolaire que proposent ces centres, exclusivement fondé sur les traités d’Aristote, de Galien et d’Avicenne. On pense qu’il obtient son doctorat de médecine en 1516, à l’université italienne de Ferrare. C’est sans doute à cette époque qu’il adopte le surnom de Paracelse (« supérieur à Celse »), peut-être pour montrer qu’il a surpassé ce médecin romain et la médecine classique en général.

 

CONTRE LES EMPLÂTRES AU FUMIER

Au cours des années suivantes, Paracelse continue à voyager vers des terres toujours plus lointaines. Il aurait séjourné dans les îles Britanniques, aux Pays-Bas et même en Russie – où il aurait été capturé par les Tartares –, en Égypte, en Arabie, en Terre sainte, à Constantinople… Rentré en Allemagne en 1524, au moment de la guerre des Paysans, il est accusé de complicité avec les insurgés et incarcéré. Mais il s’échappe de prison et s’installe en 1526 à Strasbourg, où il commence à exercer en qualité de médecin chirurgien.

Dans la cité alsacienne, Paracelse ne tarde pas à acquérir une grande renommée. Au cours de ses années de pérégrination, il a accumulé une grande expérience médicale, par exemple dans le traitement des blessures de guerre, lorsqu’il était chirurgien de l’armée de Venise. Ainsi, au lieu de soigner les blessures avec des emplâtres de mousse et de fumier sec, selon les méthodes de l’époque, il recommandait de les drainer en faisant sortir le sang et le pus, avançant qu’il fallait laisser agir la Nature. Il rejetait également le recours traditionnel aux pilules, aux infusions, aux baumes ou aux purgatifs, et proposait à la place des médicaments à base de minéraux ayant des propriétés curatives, comme le mercure, le soufre, le fer ou le sulfate de cuivre.

La réputation de Paracelse en tant que médecin se répand rapidement sur les terres de langue allemande. Il reçoit un jour un message du célèbre imprimeur Johann Froben, qui lui demande de lui rendre visite de toute urgence : il souffre d’une grave infection à une jambe, peut-être une gangrène, et les médecins affirment que le seul remède est l’amputation. Paracelse accepte de se rendre à Bâle, où il lui prescrit ses propres médicaments, évitant l’intervention chirurgicale. En quelques jours, et à la surprise des médecins, Froben retrouve la santé et peut même assister à la foire du livre de Francfort.

Le grand humaniste Érasme de Rotterdam, qui loge chez Froben, son éditeur, loue cet exploit dans une lettre et en profite pour demander conseil sur la façon de soulager les indispositions dont il souffre régulièrement. Paracelse lui diagnostique une lithiase, connue comme le « mal de la pierre », et lui recommande un traitement spécifique. Les succès de Paracelse incitent le conseil de Bâle à lui offrir un poste de médecin municipal, charge qui va de pair avec l’enseignement à l’université. Bien que l’assemblée des professeurs et des médecins s’oppose énergiquement à cette désignation, celle-ci est rendue effective au début de l’année 1527.

À 34 ans, Paracelse a devant lui l’opportunité d’une situation stable et prestigieuse dans la société suisse, mais son caractère frondeur l’emporte. À peine entré en charge, il proclame de façon retentissante son opposition à la tradition médicale en vigueur. Dans la soirée du 24 juin, le jour de la Saint-Jean, il brûle le Canon d’Avicenne devant les étudiants et les professeurs, à la porte de l’université. Il lit également un manifeste dans lequel il condamne les enseignements de Galien et d’Hippocrate, et propose d’enseigner sa nouvelle médecine deux heures par jour à tous ceux qui voudront assister à ses cours. Ceux-ci seront donnés en allemand, et non en latin, car « la vérité ne peut s’apprendre qu’en allemand », dit-il.

Il n’est pas étonnant que beaucoup comparent Paracelse à Luther, le réformateur allemand qui, lorsqu’il était professeur à l’université de Wittenberg, s’est rebellé contre la doctrine traditionnelle de l’Église, a brûlé les bulles papales qui l’excom­muniaient et a revendiqué la prédication en langue allemande. Les professeurs réagissent en expulsant Paracelse de l’université de Bâle. Peu de temps après, Froben meurt brusquement d’une apoplexie, ce qui renforce les soupçons contre ses ordonnances miraculeuses. Dans la ville commencent à circuler des critiques violentes contre lui, comme un sonnet qui dénonce les fanfaronnades de « Cacophraste » et prie instamment qu’on lui offre une corde pour se pendre. La tension croissante aboutit à une accusation d’outrage à l’encontre de Paracelse qui, pour éviter la prison, doit fuir Bâle de nuit et en cachette.

 

PLUS DE 230 LIVRES

Paracelse voyage par la suite de ville en ville, exerçant comme médecin en même temps qu’il rédige ses grands ouvrages. L’un de ses élèves, Valentinus, affirme qu’il a écrit plus de 230 livres de philosophie, 40 de médecine, 12 de politique, 7 de mathématiques et d’astrologie, ainsi que 66 de magie et d’arts secrets.

Sa pensée présente beaucoup de points communs avec l’alchimie, bien que lui-même ne l’ait pas pratiquée. Il établit par exemple dans le Paragranum (1529-1530) que les quatre piliers de sa nouvelle médecine sont la philosophie naturelle, l’alchimie, l’astrologie et la vertu.

Selon lui, tout corps est composé de trois substances : le soufre, le mercure et le sel. Si l’on enflamme un bout de bois, par exemple, « ce qui brûlera, c’est le soufre ; ce qui s’exhale en fumée, c’est le mercure ; ce qui reste en cendres, c’est le sel ». Il en est de même avec le corps humain, raison pour laquelle il prescrit des médicaments ayant des composants chimiques, en particulier du mercure.

Le principe des trois substances, dit-t-il, « est très important, car il touche à la quête humaine de la santé, c’est son eau de vie, sa pierre philosophale, son arcane, son baume ».

Paracelse meurt en 1541 à Salzbourg, à 48 ans, dans des circonstances assez mystérieuses. Le bruit courut que, lors d’un banquet, les sbires de médecins rivaux l’avaient traîtreusement attaqué ; en tombant, il se serait tapé la tête contre une pierre, ce qui aurait causé sa mort peu après. Quelques jours plus tard, un examen de son crâne révéla la présence d’une fracture de l’os temporal. Mais le plus probable est qu’il soit décédé de maladie, car il venait de léguer ses rares biens aux pauvres de la ville. Sa dépouille repose dans le cimetière de l’église Saint-Sébastien de Strasbourg.

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