Les apôtres ont façonné le christianisme. Mais ont-ils réellement existé ?

Les preuves historiques de l'existence des apôtres sont rares et certaines d'entre elles contredisent les croyances chrétiennes fondamentales.

De Simon Worrall
Publication 29 déc. 2023, 14:49 CET
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Cette image inspirée de « La Cène » de Léonard de Vinci montre Jésus-Christ et les douze apôtres. Judas Iscariote, le troisième à gauche du Christ, tient un sac contenant les trente pièces d'argent qu'il aurait reçues pour trahir Jésus.

PHOTOGRAPHIE DE Lebrecht Music and Arts Photo Library, Alamy

Dans la Bible, Jésus-Christ nomme douze apôtres chargés de répandre sa Parole. Le christianisme primitif doit son essor rapide à leur zèle missionnaire. Pourtant, pour la plupart des douze apôtres, il existe peu de preuves de leur existence en dehors du Nouveau Testament.

Dans le livre Apôtres : Sur les pas des Douze, l'auteur Tom Bissell a entrepris de découvrir si les douze apôtres avaient réellement existé ou s'ils se révélaient simplement être des personnages fictifs. Au cours de son voyage, il a parcouru un peu plus de 800 kilomètres sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle dans le nord de l'Espagne, visité l'endroit où Judas Iscariote se serait pendu et cherché en vain un mystérieux monastère au Kirghizstan où les ossements de Matthieu seraient enterrés. Son périple a été parsemé de faux départs, d'impasses et d'énigmes irrésolues qui l'ont laissé aussi perplexe qu'au premier jour.

Depuis Vancouver, Tom Bissell explique pourquoi le film « Monty Python : La Vie de Brian » a été l'une des sources d'inspiration de son livre et comment son point de vue sur le christianisme a changé au cours de son voyage.

 

Si au premier siècle de notre ère avait existé la liste des meilleurs livres selon le New York Times, dans quelle colonne le Nouveau Testament aurait-il dû figurer ? Fiction ou non-fiction ?

Je ne suis pas sûr que cette distinction aurait eu beaucoup de sens pour quiconque au premier siècle. Il n'y en avait aucune entre la propagande évangélique et ce que les auteurs eux-mêmes croyaient être vrai. D'un point de vue moderne, il est difficile de considérer les Évangiles comme des récits véridiques qui n'ont pas été enjolivés. Le journalisme d'impact n'existait pas à cette époque. Les croyances partisanes selon lesquelles la magie et la Divinité étaient à l'œuvre dans le monde primaient. Aujourd'hui, nous parlerions de « narrative non-fiction », en insistant sur le mot « narrative ».

 

Vous avez grandi dans le catholicisme, puis vous avez remis en question votre foi. Remontez à cette période et expliquez comment vous en avez tiré de l'inspiration pour écrire ce livre.

Je n'ai pas remis en question ma foi, j'ai simplement lu quelques livres qui m'ont fait réaliser que tout cela n'était probablement pas aussi vrai que je le pensais. J'ai pourtant continué à m'intéresser de près aux histoires que contenaient la Bible hébraïque et le Nouveau Testament. Mais je dois avouer que ce qui m'a davantage inspiré pour ce livre, c'est le film « Monty Python : La Vie de Brian ». Il s'agit notamment de cette scène dans laquelle Brian fuit les Romains, saute d'une tour, atterrit au milieu d'une place de marché remplie de prophètes qui déclament n'importe quoi et se met à captiver un auditoire en récitant des choses au hasard. Après avoir fait mon éducation dans une école catholique et regardé tous ces films chrétiens éducatifs aseptisés, cette partie du film m'a dépeint un portrait du premier siècle plus vivant, plus réaliste et plus crédible sur le plan psychologique que tout ce que j'avais vu jusqu'à présent !

L'auteur Tom Bissell qualifie le film satirique « Monty Python : La Vie de Brian » de « portrait vivant, réaliste et psychologiquement crédible du premier siècle de notre ère ».

PHOTOGRAPHIE DE AF archive, Alamy

Vous dites que « l'attrait particulier pour le christianisme tient en grande partie à ses prétentions à la légitimité historique… même si l'existence des témoins oculaires les plus importants de la foi est incertaine ».

Quelques-uns des noms cités dans le Nouveau Testament représentent probablement des personnes qui ont existé. Il y a sûrement eu un Thomas, un Pierre et un Jean, et certainement un Jacques, frère de Jésus. En dehors de cela, aucune preuve historique n'étaie leur existence en dehors des évangiles eux-mêmes. Je pense donc qu'il s'agit d'un mélange de réalité et de fiction.

Ce qu'il y a de plus mystérieux dans l'histoire du christianisme primitif, c'est qu'elle donne un certain nombre d’éléments sur Paul et qu'elle permet de dire que Jacques, le frère de Jésus, a réellement existé. Pourtant, ni l'un ni l'autre n'est membre des Douze. Les douze apôtres ont été les premiers disciples de Jésus mais il n'existe rien à leur sujet dans aucune source séculière. Les lettres de Paul mentionnent néanmoins Pierre et Jean, ce qui suggère qu'il s'agissait de personnes historiques réelles et non de simples noms de personnages.

 

Vous avez commencé vos recherches à Jérusalem pour trouver la dernière demeure de Judas Iscariote, que vous appelez « l'électro-aimant de la méchanceté ». Parlez-nous de ce voyage et dites-nous si vous pensez que Judas a réellement existé.

C'est une question très épineuse. Selon la tradition, bien que les Écritures ne soient pas claires à ce sujet, Judas s'est pendu à un endroit appelé Hakeldama dans la vallée de Hinnom, qui est une zone rocheuse et désertique située dans la partie sud de Jérusalem. Lorsque l'on s'y rend, on a vraiment l'impression qu'il s'agit d'un lieu maudit. C'est le pouvoir qu'ont ces histoires. On ressent des siècles de haine et de dégoût pour cette personne qui a trahi Jésus.

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    Selon la légende, Judas Iscariote s'est pendu à Hakeldama, également connu sous le nom de « Champ du sang », près de Jérusalem. « Lorsque l'on s'y rend, on a vraiment l'impression que c'est un lieu maudit », explique Tom Bissell.

    PHOTOGRAPHIE DE Duby Tal, Alamy

    Que Judas ait existé ou non, je pense qu'il est probablement vrai que Jésus a été trahi par quelqu'un. Quant à savoir si cette personne s'appelait Judas, c'est une question beaucoup plus complexe. Je pense que les grandes lignes de l'histoire de Judas, telles qu'elles ont été décrites par les auteurs des évangiles, sont probablement fictives. Pour beaucoup d'autres histoires autour de Jésus, les auteurs des évangiles semblent s'accorder. Mais dans le cas de Judas, je pense qu'ils disposaient de beaucoup moins de matière première pour travailler et qu'ils ont donc tous traité le sujet à leur manière. Cela me laisse penser qu'il s'agissait davantage d'un personnage fictif que d'une personne réelle.

     

    En 2006, une équipe de traducteurs et de chercheurs travaillant pour National Geographic a publié ce que l'on appelle l'« Évangile de Judas ». Cela a-t-il apporté un éclairage supplémentaire sur le sujet ?

    L'Évangile de Judas est un objet ancien datant du gnosticisme séthien, une forme très controversée de christianisme qui était minoritaire au deuxième siècle. Selon celle-ci, Judas aurait suivi une voie légèrement différente de celle que l'on lui prête conventionnellement. Il serait à la fois un objet de condamnation et d'illumination. Les adeptes du gnosticisme croyaient en un Dieu complètement différent de celui des chrétiens proto-orthodoxes de leur époque et détestaient le modèle de l'autorité apostolique que les autres formes du christianisme suivaient. Au cours des deux cents premières années de la foi, de nombreuses formes très diverses de christianisme existaient. Certaines d'entre elles étaient très étranges.

    L'existence de Jacques, le frère aîné de Jésus, ici dans une peinture de Le Greco, est étayée par des preuves historiques mais contredit l'idée d'une « naissance virginale ».

    PHOTOGRAPHIE DE Heritage Image Partnership Ltd, Alamy

    Le Kirghizstan n'est pas un endroit que la plupart d'entre nous associent aux récits bibliques. Pourtant, vous y êtes allé à la recherche de la tombe de Matthieu. Racontez-nous votre voyage et dites-nous si vous l'avez trouvée.

    Aujourd'hui, l'Asie centrale ne semble pas être la région du monde la plus accueillante pour les chrétiens alors que, jusqu'au Moyen-Âge, ceux-ci y étaient présents en grand nombre. Il n'étaient pas Romains ou Grecs, il s'agissait de chrétiens du Moyen-Orient qui continuaient à migrer vers l'est.

    Selon une carte médiévale espagnole, les reliques de Matthieu ont été enterrées dans un monastère arménien qui se trouverait sur les rives du lac Issyk-Koul, cette magnifique étendue d'eau située au milieu des montagnes du Kirghizstan. Un archéologue russe ayant affirmé l'avoir trouvé en 2006, je suis parti à sa recherche. J'ai vite découvert qu'il n'y avait jamais eu de monastère arménien à cet endroit mais seulement un monastère russe du 19e siècle. Cela reste néanmoins l'un de mes voyages préférés car le monastère était vraiment difficile à trouver et que c'est l'un des endroits les plus enchanteurs que j'aie jamais visités, même si ma quête s'est achevée de manière décevante. 

     

    Vous qualifiez l'apôtre Jacques de « personnage particulièrement insaisissable ». En 2002, un ossuaire a fait surface en Israël, semblant confirmer son existence. Y a-t-il quelque chose de vrai dans cette histoire ?

    Nous savons que Jacques, le frère de Jésus, existait réellement. Il est mentionné par Flavius Josèphe, un historien juif du premier siècle. Certains affirment que l'ossuaire est réel mais que l'inscription qui dit « Jacques, frère de Jésus » en araméen ne l'est pas. Personne n'a retrouvé son corps mais il s'agissait manifestement d'un personnage bien connu au premier siècle. Il apparaît très souvent dans les écrits des premiers chrétiens. Le fait que Flavius Josèphe et d'autres aient considéré la destruction de Jérusalem par les Romains comme une vengeance divine pour la mort de Jacques, qui a été tué vers l'an 66 juste avant la Grande Révolte juive contre Rome, souligne l'importance de ce personnage. 

    Je n'ai pas vu l'ossuaire et je ne suis pas archéologue de formation mais je suis tout à fait disposé à croire que Jacques aurait pu se trouver dans une tombe secrète, avec un ossuaire. Ses disciples lui auraient certainement donné un lieu de sépulture important. Mais le problème avec Jacques, c'est qu'il anéantit tout ce que les chrétiens orthodoxes acceptent au sujet de la naissance virginale. S'il était le frère aîné de Jésus, il s'agirait là d'un gros problème car Marie était censée être vierge. Je soupçonne Jacques d'avoir existé, il y a de fortes chances qu'il ait été le frère aîné de Jésus, et d'avoir été le personnage le plus important du christianisme du premier siècle. Mais la naissance virginale n'a pas vraiment de sens. Les lois connues de l'univers ne s'arrêtent généralement pas de fonctionner ainsi.

    Chaque année, des centaines de milliers de pèlerins parcourent les 800 kilomètres du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, dans le nord de l'Espagne, qui mènerait au lieu de sépulture de Jacques.

    PHOTOGRAPHIE DE Jennie Hart, Alamy

    Votre voyage vous a-t-il convaincu de la véracité historique de l'existence des apôtres ? Ou bien vous a-t-il rendu encore plus perplexe ?

    Je n'ai pas été convaincu, à vrai dire. L'une de mes bêtes noires est cette idée qu'il est bon de croire en quelque chose. J'ai beaucoup de mal à l'accepter car, que se passe-t-il si l'on croit en quelque chose de monstrueux ? De nombreuses croyances issues des religions monothéistes abrahamiques sont assez dérangeantes d'un point de vue moderne. La façon dont elles considèrent les femmes, les enfants et l'autorité : tout cela n'a pas vraiment sa place dans la société laïque d'aujourd'hui.

    Mais je suis devenu beaucoup moins hostile au christianisme au fil de ce livre. Quiconque aime l'opéra, le cinéma ou la fiction n'a pas beaucoup de raisons de remettre en question le sens que l'on tire de la religion. La recherche de sens dans les mots ou les images, ces désirs que nous avons d'être convaincu, ému ou inspiré par des œuvres tirées de l'imaginaire, ont bien plus en commun les uns avec les autres que le contraire. Les histoires des douze apôtres représentent en grande partie la façon dont le monde occidental a décidé d'expliquer ce qu'on entendait à travers les termes de communauté et de narration, et ce que signifiaient vérité, amitié et loyauté.

    Je me suis rendu compte que se mettre en colère contre des personnes croyantes pour leur croyances, c'est un peu comme s'énerver face à une pluie torrentielle qui mouille tout sur son passage. Il est préférable d'essayer de trouver un terrain d'entente sur l'importance du sens que l'on tire de la littérature ou d'œuvres issues de l'imaginaire. Je sais qu'il serait insultant pour la plupart des personnes chrétiennes de considérer le Nouveau Testament comme ce type d'œuvre. Je n'entends pas que tout est faux mais plutôt qu'il faut tirer une consolation de la tentative d’une autre personne d’ordonner l’univers. Peut-être qu'il est préférable que ce ne soit qu'une histoire.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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