Angleterre : ce naufrage oublié a fait sombrer une dynastie toute entière

Le naufrage de la Blanche-Nef au large de la côte normande en 1120 fut le début d’une série de crises qui changèrent l’Angleterre à tout jamais.

De Kelly Faircloth
Publication 12 nov. 2025, 09:08 CET
Guillaume Adelin, unique héritier légitime du roi Henri Ier, donne l’ordre à ses rameurs de faire demi-tour ...

Guillaume Adelin, unique héritier légitime du roi Henri Ier, donne l’ordre à ses rameurs de faire demi-tour pour sauver sa sœur, la comtesse du Perche, après que la Blanche-Nef a heurté un rocher dans l’estuaire de la Seine. Guillaume est mort alors que le navire sombrait sous le poids des survivants qui s’accrochaient à la vie.

PHOTOGRAPHIE DE The Stapleton Collection, Bridgeman Images

Cela n’aurait dû être qu’un voyage de routine à travers la Manche banpour cette foule enivrée et excitée de jeunes nobles à bord de la Blanche-Nef. Parmi les membres de la noblesse présents sur le navire se trouvait Guillaume Adelin, unique héritier mâle du roi Henri Ier d’Angleterre.

Mais les évènements prirent une sombre tournure quand le navire quitta le port de Barfleur, en France actuelle, le 25 novembre 1120. L’équipage rama droit sur un rocher, la Blanche-Nef sombra, et près de 300 personnes tombèrent dans les eaux glacées de la mer. Tous, ou presque, perdirent la vie, et les répercussions pour l’Angleterre furent violentes, exposant la fragilité d’un régime politique bâti sur la succession héréditaire.

« C’est un scénario de cauchemar », décrit Hugh Thomas, professeur de l’université de Miami, spécialiste de l’histoire de l’Angleterre médiévale et auteur du livre The Norman Conquest: England after William the Conqueror.

Le désastre de la Blanche-Nef prolongeait le malheur de l’Angleterre après la conquête normande de l’Angleterre en 1066. Ce fut une histoire sanglante à l’origine d’un nouvel ordre politique dans le pays avec, à sa tête, Guillaume le Conquérant et son fils, Henri Ier. Et ce naufrage illustrait la vitesse à laquelle une dynastie pouvait perdre le contrôle du pouvoir.

 

LE NAUFRAGE QUI BOULEVERSA UNE DYNASTIE

La traversée de la Manche était nécessaire aux membres de l’élite anglo-saxonne, comme ceux qui naviguaient à bord de la Blanche-Nef. Leurs propriétés et leur pouvoir s’étendaient au-delà des eaux de l’Atlantique Nord après que Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, prit le contrôle du trône d’Angleterre en 1066. Le régime qui en découla s’étendait à travers l’Angleterre et une portion considérable de la France actuelle. En 1120, le pouvoir du plus jeune fils de Guillaume le Conquérant, Henri, était assuré en la personne de son fils de dix-sept ans, son héritier légitime, Guillaume Adelin. Le jeune homme attendait son heure et la dynastie semblait forte.

Du moins, jusqu’au désastre de la Blanche-Nef. Le récit le plus complet qui nous soit parvenu fut celui d’un moine du nom d’Orderic Vitalis, rédigé plusieurs années après le naufrage. Ces notes faisaient partie d’un travail de plus grande envergure traitant de l’histoire normande. Le moine tenait ses informations d’une source douteuse, un boucher qu’il identifia comme étant le seul survivant. Vitalis écrivit qu’un capitaine du nom de Thomas FitzStephen s’était lui-même recommandé auprès d’Henri Ier pour lui faire traverser la Manche. Il affirmait que son grand-père avait transporté Guillaume le Conquérant lors du voyage qui lui valut le trône. Le roi Henri refusa, mais lui assigna la tâche de faire traverser la mer à son fils, Guillaume Adelin, et à son entourage, qui comptait deux demi-frères du jeune prince.

Peinture à l’huile par un artiste de l’école anglaise dépeignant le roi Henri Ier apprenant la mort ...

Peinture à l’huile par un artiste de l’école anglaise dépeignant le roi Henri Ier apprenant la mort par noyade de son fils, Guillaume Adelin, à bord de la Blanche-Nef en 1120.

PHOTOGRAPHIE DE Hartlepool Museum Service, Bridgeman Images

Les membres de la noblesse et les marins commencèrent à s’enivrer et, selon certaines rumeurs, parièrent qu’ils pourraient dépasser le navire du roi Henri. D’aucuns affirmèrent que cette témérité causa l’accident. Les pertes humaines furent choquantes. « Même en cette époque, où il était assez commun de perdre la vie soudainement, voir autant de membres de la haute société mourir dans un accident dû à l’ivresse était dévastateur », explique Hugh Thomas.

 

LE CHOC DU NAUFRAGE DE LA BLANCHE-NEF

Un tel désastre était source d’inquiétudes pour les habitants de l’époque. Le professeur de l’université Fordham, Nicholas Paul, qui étudie la culture politique du Moyen Âge, explique : « Tout évènement de cette envergure ne pouvait être vu que comme une malédiction divine. » « En un sens, c’était Dieu qui portait un coup à la dynastie anglo-normande. Comment pouvaient-ils s’en relever et comment devaient-ils interpréter un tel acte ?

Les naufrages rendaient presque impossible la tâche de récupérer les corps des victimes, ce qui compliquait les questions de succession et d’héritage. Que faire si un défunt refaisait surface, bien vivant et en pleine forme ? Ou si quelqu’un se faisait passer pour une victime ? « Il est facile de comprendre que, d’une certaine manière, une dynastie est fondée sur la naissance », déclare Nicholas Paul. « Mais qu’elle repose également sur une mort sans conteste. »

Pis encore pour les chrétiens du Moyen Âge, quels problèmes cela pouvait-il engendrer dans la vie après la mort ? Selon leurs croyances, « pour être libéré de la grande douleur et des tribulations du Purgatoire, il fallait recevoir l’intercession de la part des vivants », continue Nicholas Paul. Cela demandait de connaitre la date de la mort et, en général, d’avoir le corps des défunts. « Sans ces deux éléments, il existait l’horrible possibilité que des membres de votre famille, des personnes de qui dépendait le futur politique, se trouvaient en enfer. »

Et toutefois, les conséquences étaient bien plus graves que la perte immédiate de la vie.

 

LES CONSÉQUENCES POLITIQUES DU DÉSASTRE DE LA BLANCHE-NEF

L’entièreté du système de monarchie héréditaire de l’époque dépendait d’un roi en vie, avec la bonne ascendance et la juste descendance. Engendrer et élever un héritier était une part cruciale et intégrante du maintien de la stabilité politique. « Tout dépend du corps humain », résume Nicholas Paul. « Comme il n’existe aucune garantie de savoir exactement ce qui arrivera à un corps, tout est incertain et rien n’est stable. »

Une combinaison de biologie et de malchance ne pouvait que trop aisément créer une crise ouverte de succession lors de laquelle les participants se battraient avec rage pour regagner le contrôle et feraient sombrer le pays tout entier dans la violence. Ce fut exactement ce qui arriva à la maison de Normandie.

Si Henri Ier avait engendré nombre d’enfants illégitimes, Guillaume Adelin était son unique héritier légitime mâle. Et sa mort présumée était un problème politique de premier ordre. Le roi Henri, âgé de plus de cinquante ans, retrouva une épouse peu après le naufrage de la Blanche-Nef, la mère de Guillaume étant morte. Mais aucun héritier ne naquit de cette nouvelle union, et il désigna sa fille, Matilda, comme celle qui devrait lui succéder.

Mais, dans une société patriarcale, un homme finit par croire qu’il pourrait faire mieux que Matilda. Et son cousin germain, Étienne de Blois, remit en question la succession.

Ironie du sort, Étienne de Blois aurait dû se trouver à bord de la Blanche-Nef. Mais il resta à terre, explique Hugh Thomas, sauvé par une diarrhée qui n’aurait su se déclarer à un meilleur moment dans toute l’Histoire. À la mort d’Henri Ier, en 1135, Étienne se précipita pour traverser la Manche et usurper le trône. Il parvint à se faire couronner avant que Matilda, à un stade avancé de sa grossesse, n’ait pu atteindre l’Angleterre à temps, raconte Hugh Thomas. Ces évènements dramatiques inspirèrent George R. R. Martin pour les livres sur lesquels sont basés la série télévisée HBO House of the Dragon.

Ce fut le début d’un tumulte politique et d’une guerre civile sanglante pour l’Angleterre qui dura des années. Une période baptisée l’Anarchie. « Il y eut beaucoup de batailles dans le pays, de raids, d’incendie et de pillages. C’était ainsi que se déroulaient les guerres au Moyen Âge », explique Hugh Thomas. Cette période ne prit fin que quand Étienne de Blois accepta de reconnaitre le fils de Matilda, Henri, comme son propre héritier en 1153. Henri II succéda à Étienne d’Angleterre en 1154.

Orderic Vitalis écrivit son récit des évènements au cœur de ce tumulte. Nicholas Paul remarque le parallèle puissant qu’il établit entre la traversée triomphale de la Manche de Guillaume le Conquérant, et le naufrage désastreux de la Blanche-Nef.

« Une seule traversée de la Manche couronnée de succès suffit à établir cette dynastie qui fut défaite par l’échec d’un autre voyage en mer », résume Nicholas Paul.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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