Momies du bassin du Tarim : le mystère reste entier

Ces énigmatiques momies chinoises extrêmement bien conservées défient toujours toute explication. Leur conservation et leur étude sont au cœur de tensions politiques.

De Erin Blakemore
Publication 19 sept. 2023, 17:41 CEST
Des centaines de corps ont été exhumés de cimetières comme celui-ci dans le bassin du Tarim, ...

Des centaines de corps ont été exhumés de cimetières comme celui-ci dans le bassin du Tarim, dans le Xinjiang, une région de l’ouest de la Chine. Connus sous le nom de momies du Tarim, ces corps datent d’il y a environ 4 000 ans. L’analyse de leur ADN ancien a donné lieu à des découvertes surprenantes.

PHOTOGRAPHIE DE Wenying Li, Xinjiang Institute of Cultural Relics and Archaeology

Les centaines de corps exhumés dans le bassin du Tarim, en Asie de l’Est, morts il y a des milliers d’années, semblent pourtant encore habités. Leurs coiffures, vêtements et accoutrements témoignent de leur appartenance à une culture très ancienne ; celle de migrants indo-européens qui se seraient installés il y a des milliers d’années dans ce qui est aujourd’hui la Chine.

Le parfait état de conservation de ces momies n’est pas la seule chose surprenante à leur sujet. Lorsque les recherches modernes sur l’ADN ont révélé que les corps préservés appartenaient à des populations indigènes du bassin du Tarim, pourtant génétiquement distinctes des autres populations voisines, le mystère s’est épaissi. Aujourd’hui, les chercheurs s’interrogent encore sur leurs pratiques culturelles, leur vie quotidienne et leur rôle dans l’expansion de l’Homme moderne à travers le monde.

 

COMMENT CES MOMIES ONT-ELLES ÉTÉ DÉCOUVERTES ?

Enterrés il y a 4 000 ans dans divers cimetières disséminés dans le bassin, les corps naturellement momifiés furent mis au jour pour la première fois par des explorateurs européens au début du 20e siècle. Au fil du temps, de plus en plus de corps du Tarim furent déterrés, aux côtés de spectaculaires reliques culturelles. À ce jour, des centaines de corps ont été découverts. Les plus anciennes momies datent d’environ 2 100 ans avant notre ère, et les plus récentes d’environ 500 ans avant notre ère.

L’une des momies les plus célèbres trouvées dans le bassin du Tarim est celle de la « princesse de Xiaohe », également connue sous le nom de « beauté de Xiaohe ». Nommée d’après le cimetière où son corps a été découvert, elle est remarquablement bien conservée : même ses cils ont survécu à l’épreuve du temps.

PHOTOGRAPHIE DE Wenying Li, Xinjiang Institute of Cultural Relics and Archaeology

 

QUI ÉTAIENT LES MOMIES DU BASSIN DU TARIM ?

Dans un premier temps, l’accoutrement de type occidental et l’apparence plutôt européenne des momies ont amené les scientifiques à penser qu’il s’agissait des restes d’un groupe de migrants indo-européens, peut-être apparenté aux éleveurs sibériens de l’âge du Bronze ou aux agriculteurs qui vivaient dans ce qui est aujourd’hui l’Iran.

Ils avaient des cheveux blonds, bruns et roux, de grands nez et portaient des vêtements clairs, parfois élaborés, faits de laine, de fourrure ou de peau de vache. Certains portaient des chapeaux pointus, comme ceux des sorcières, et certains vêtements étaient faits de tissu feutré ou tissé, ce qui suggère que ce peuple avait des liens avec la culture d’Europe occidentale.

D’autres encore portaient des vêtements à carreaux rappelant la culture celte, à l’image de l’une des momies connues sous le nom de Chärchän Man, qui mesurait plus de 1,80 m, avait des cheveux roux et une barbe fournie, et fut enterrée il y a plus de 1 000 ans avec une jupe en tartan.

Comme autre corps célèbre, citons celui de la « princesse » ou « beauté » de Xiaohe, une femme de 3 800 ans aux cheveux clairs, aux pommettes hautes et aux longs cils encore préservés, qui semble sourire dans la mort. Malgré son grand chapeau de feutre, ses vêtements raffinés et ses bijoux, on ne sait quelle put être sa position dans la société.

Depuis la publication d’une étude de l’ADN de treize des momies du Tarim, les scientifiques s’accordent désormais à dire que les momies appartenaient à un groupe isolé qui vivait à l’âge du Bronze dans cette région aujourd’hui désertique, et que ses membres avaient adopté les pratiques agricoles de leurs voisins tout en restant distincts sur le plan culturel et génétique.

Les scientifiques ont conclu que les momies descendaient des anciens Nord-Eurasiens, un groupe relativement restreint d’anciens chasseurs-cueilleurs qui a migré d’Asie occidentale vers l’Asie centrale et qui est génétiquement lié aux Européens et aux Amérindiens d’aujourd’hui.

 

COMMENT CES CORPS FURENT-ILS MOMIFIÉS ?

Ces corps ne furent pas momifiés intentionnellement dans le cadre d’un rituel funéraire. C’est plutôt l’environnement sec et salé du bassin du Tarim (qui contient le désert du Taklamakan, l’un des plus grands du monde) qui a permis aux corps de se décomposer lentement, voire très peu. Le froid hivernal extrême de la région pourrait aussi avoir contribué à leur préservation.

 

COMMENT FURENT-ILS ENTERRÉS ? 

Selon les chercheurs, de nombreux corps furent enterrés dans des « cercueils en bois en forme de bateau, recouverts de peaux de bovins et marqués par des poteaux en bois ou des rames ». La découverte d’éphédra dans les sépultures suggère que la plante devait avoir un intérêt médical ou religieux. On ne sait en revanche toujours pas quelle était cette religion ni pourquoi certaines sépultures comportent des anneaux concentriques de pieux en bois.

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    Des corps momifiés furent mis au jour pour la première fois dans le bassin du Tarim par des explorateurs européens au début du 20e siècle. Leur apparence et leurs vêtements de type occidental ont d’abord conduit les chercheurs à penser que ces anciens peuples étaient des migrants venus d’Europe, mais l’étude de leur ADN a par la suite démenti cette théorie.

    PHOTOGRAPHIE DE Wenying Li, Xinjiang Institute of Cultural Relics and Archaeology

     

    QUE MANGEAIENT-ILS ?

    Les masques, les brindilles, les objets possiblement phalliques et les ossements d’animaux retrouvés dans les cimetières donnent une idée de ce que pouvaient être leur vie quotidienne et leurs rituels. Si l’on ne sait presque rien de leur culture, les sépultures indiquent de quoi était composé leur régime alimentaire et tendent à prouver que ces gens étaient agriculteurs. Les momies furent enterrées avec de l’orge, du millet et du blé, et même avec des colliers comportant le plus vieux fromage jamais trouvé. Cela indique qu’ils ne se contentaient pas de travailler la terre, mais qu’ils élevaient aussi des ruminants.

     

    À QUOI RESSEMBLAIT LEUR VIE QUOTIDIENNE ? 

    Si les habitants du bassin du Tarim étaient génétiquement distincts, leurs pratiques, de l’enterrement à la fabrication du fromage, et leurs vêtements, reflets de techniques et d’arts pratiqués à l’époque dans des lieux éloignés, semblent témoigner de leur rapprochement avec d’autres cultures dont ils auraient adopté les pratiques au fil du temps pour les associer à une civilisation distincte. 

    Les chercheurs pensent aujourd’hui que leur vie quotidienne était notamment rythmée par l’élevage de ruminants ainsi que par la pratique de la métallurgie et de la vannerie ; des activités facilitées par le fait que le désert aujourd’hui désolé de la région du bassin du Tarim était autrefois beaucoup plus verdoyant et irrigué. 

    Les chercheurs soutiennent également que les habitants du bassin du Tarim commerçaient et interagissaient avec d’autres peuples dans ce qui allait devenir un corridor essentiel de la route de la Soie, reliant l’Est et l’Ouest à travers le désert aride.

    Mais les archéologues ont encore beaucoup à apprendre sur la vie quotidienne de ces anciens Hommes, notamment sur les peuples avec lesquels ils commerçaient, sur leurs croyances et sur la hiérarchisation sociale de leur société. 

    La plupart des corps furent retrouvés enterrés dans des cercueils en forme de bateau, comme celui-ci, dont l’emplacement est généralement marqué par des rames. Ce cercueil est recouvert d’une peau de bovin, ce qui suggère que les habitants du bassin du Tarim élevaient des bovins et d’autres ruminants.

    PHOTOGRAPHIE DE Wenying Li, Xinjiang Institute of Cultural Relics and Archaeology

     

    POURQUOI CES MOMIES SONT-ELLES SUJETTES À CONTROVERSE ? 

    Ces momies remarquablement conservées qui fascinent depuis longtemps les archéologues se trouvent aujourd’hui au cœur de tensions politiques. Le bassin du Tarim est situé dans l’actuelle région autonome ouïgoure du Xinjiang, territoire revendiqué par la minorité ouïgoure de Chine. Les nationalistes ouïghours soutiennent être des descendants de ces momies, ce que réfute le gouvernement chinois qui se montre réticent à laisser les scientifiques étudier les momies ou examiner leur ADN ancien.

    En 2011, la Chine a retiré un groupe de momies d’une exposition itinérante, affirmant qu’elles étaient trop fragiles pour être transportées. Certaines recherches sur l’ADN des momies ont été critiquées parce qu’elles minimisent la spécificité de la région et soutiennent les tentatives de la Chine d’assimiler le peuple ouïghour. Tout comme il reste encore beaucoup à apprendre sur ces énigmatiques momies, leur avenir en tant que symboles politiques et nationaux reste sujet à débat. 

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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