Wounded Knee : 130 ans après, la vérité sur le massacre de centaines d'Amérindiens

En 1890, des soldats américains ont tué plusieurs centaines de Lakotas dans le but de réprimer un mouvement religieux. Ils furent décorés de la médaille d'honneur pour leurs actes de violence.

De Erin Blakemore
Publication 25 nov. 2021, 09:29 CET
Return of Casey's scouts from the fight at Wounded Knee, 1890-91. Soldiers on horseback plod through ...

Par une journée glaciale de décembre 1890, des soldats américains ont encerclé et massacré 300 hommes, femmes et enfants lakotas à Wounded Knee, dans le Dakota du Sud. Bien que les soldats aient été acclamés à l'époque, Wounded Knee est aujourd'hui perçu comme une terrible atrocité.

PHOTOGRAPHIE DE Nat Geo Image Collection

Janvier 1891, un groupe de soldats de l'armée des États-Unis défile devant leur général pour une dernière revue des troupes. Malgré un décor austère, celui d'une vallée déserte balayée par les vents dans le Dakota du Sud, l'événement est festif. Une compagnie après l'autre, les soldats paradent sous l'œil attentif de leur général et le regard perdu de ceux qu'ils viennent de soumettre par la force.

Quelques semaines plus tôt, 500 de ces fantassins avaient massacré au moins 300 hommes, femmes et enfants lakotas. Vingt soldats allaient bientôt recevoir la Medal of Honor, la plus haute distinction de l'armée des États-Unis, pour leurs actes à Wounded Knee.

Plus d'un siècle plus tard, des législateurs et des activistes en appellent au président Joe Biden pour révoquer les médailles accordées aux soldats impliqués dans le massacre. Autrefois célébré comme le triomphe d'une nation sur un ennemi implacable, Wounded Knee est aujourd'hui commémoré comme le massacre qu'il a toujours été. 

Après le massacre de Wounded Knee, une délégation funéraire est allée collecter les cadavres. Une tempête de neige a retenu le groupe pendant trois jours, si bien qu'à son arrivée les dépouilles étaient gelées.

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DANSE DES ESPRITS

Le massacre de Wounded Knee a été perpétré en réaction à un mouvement religieux porteur d'espoir pour les peuples des plaines dont l'existence avait été bouleversée par l'arrivée des colons blancs. Le mouvement de la Danse des Esprits s'était propagé à travers les tribus amérindiennes à partir des années 1870. Il s'appuyait sur une série d'enseignements des guérisseurs païutes, dont les prophéties annonçaient un soulèvement à venir qui entraînerait l'éradication de l'Homme blanc et la résurgence des peuples natifs de l'Amérique.

Le mouvement a rapidement pris une signification spéciale pour les peuples lakotas établis dans le Dakota du Nord et du Sud. En l'espace de quelques décennies, le territoire de ces peuples avait perdu plus de 24 millions d'hectares et ils étaient désormais contraints de le partager avec de nombreuses autres tribus. En 1889, les Lakotas étaient répartis sur cinq réserves distinctes dans le Dakota du Nord et le Dakota du Sud.

Les adhérents au mouvement pensaient que les chants et les cérémonies pouvaient précipiter le soulèvement annoncé, ramener les morts à la vie et garantir la récupération de leurs terres. Chez les Lakotas, les adeptes portaient des chemises spéciales censées repousser les balles et certains atteignaient un état de transe suscité par les chants répétitifs et les longues danses circulaires auxquelles participaient les fidèles.

 

« ENVOYEZ PROTECTION »

À l'espoir porté par ces danseurs des esprits, les colons répliquèrent par la peur, craignant que ces rituels n'incitent à la violence contre l'Homme blanc. À l'époque, un agent fédéral était affecté par le gouvernement des États-Unis à la surveillance des peuples natifs. Pour les Lakotas, cet agent était Daniel F. Royer qu'ils surnommaient avec humour « Jeune homme effrayé par les Indiens ». En stationnement dans la réserve de Pine Ridge au cœur des Badlands dans le Dakota du Sud, Royer voyait lui aussi d'un mauvais œil le mouvement de la Danse des Esprits. En décembre 1890, il envoya un télégramme à ses supérieurs du Bureau des affaires indiennes à Washington :

« Les Indiens dansent dans la neige, ils sont sauvages et agités, » écrivait-il. « Envoyez protection le plus vite possible. »

Les autorités fédérales des autres réserves lakotas étaient également préoccupées par l'identité du plus éminent adhérent à la Danse des Esprits : le chef Sitting Bull. En 1876, c'était lui qui avait mené l'offensive contre les troupes du lieutenant-colonel George Armstrong Custer durant la bataille de Little Bighorn, connue sous le nom de Custer’s Last Stand aux États-Unis (L'ultime bataille de Custer, ndlr) au cours de laquelle Custer et l'ensemble de ses soldats furent tués.

Bien que techniquement retenu prisonnier à la Standing Rock Agency dans le Dakota du Sud, Sitting Bull avait reçu l'autorisation de voyager à travers le pays en tant que membre du Wild West Show de Buffalo Bill Cody en 1985. Cependant, lorsque Royer envoya le télégramme à ses supérieurs en 1890, Sitting Bull était rentré à Standing Rock et avait annoncé son intention d'autoriser les Danses des Esprits sur son campement.

 

EN GUERRE CONTRE UNE DANSE

Convaincue de la menace que représentait le mouvement pour les colons, l'armée des États-Unis ordonna l'interdiction de la Danse des Esprits dans toutes les réserves à compter de décembre 1890 et commença à déployer des troupes à travers la région. Le gouvernement fédéral avait initialement prévu de solliciter Buffalo Bill Cody pour convaincre Sitting Bull d'apaiser les danseurs, mais il fut intercepté par des soldats qui lui ordonnèrent de rebrousser chemin. L'armée envisageait désormais d'arrêter Sitting Bull.

Le 15 décembre 1890, une quarantaine de policiers natifs employés par l'Indian Agency se rendent auprès de Sitting Bull pour tenter de le placer en détention. Lorsqu'il résiste, une escarmouche éclate et Sitting Bull est abattu par Bull Head, le lieutenant de la police. Une partie du groupe de Sitting Bull prend la fuite pendant la nuit pour rejoindre le frère du défunt, le chef Spotted Elk, dans une autre réserve.

Persuadés que les troupes fédérales vont s'en prendre à d'autres chefs, Spotted Elk et ses alliés quittent la réserve pour Pine Ridge en quête de protection. Ils sont toutefois ralentis par les conditions hivernales et la maladie. Le 28 décembre, leur chemin croise celui de troupes militaires qui leur demandent de se diriger vers Wounded Knee Creek. Cette nuit-là, alors que les Lakotas ont installé leur camp à Wounded Knee, près de 500 soldats encerclent les 300 hommes, femmes et enfants.

 

CARNAGE À WOUNDED KNEE

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    Wounded Knee est devenu un point de ralliement pour les peuples natifs. En 1973, une occupation de la vallée par des activistes conduit à un affrontement avec les autorités fédérales. Ci-dessus, les membres de la tribu Sioux Oglala marchent vers le cimetière où leurs ancêtres ont été enterrés par le massacre.

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    Le lendemain matin, le colonel James W. Forsyth ordonne aux Lakotas de déposer leurs armes et leur annonce qu'ils vont être emmenés vers un nouveau camp. Les Lakotas supposent qu'ils vont devoir quitter leur territoire et certains se mettent alors à fredonner les chants de la Danse des Esprits.

    Aux yeux des troupes qui entourent les Lakotas, la Danse des Esprits et ses rites sont un préambule à la guerre. Lorsque l'un des danseurs ramasse de la poussière pour la jeter au vent, les soldats interprètent ses mouvements comme une sorte de signal et ouvrent le feu.

    Le résultat fut un véritable carnage. Bien qu'ils se soient défendus, les Lakotas étaient en infériorité numérique et militaire, surtout face aux premières mitrailleuses utilisées par certaines troupes.

    Quelques heures plus tard, lorsque les coups de feu cessent, le sol est recouvert de cadavres. La plupart ont été abattus à bout portant, y compris des femmes et des enfants. Certains corps sont retrouvés à plus de cinq kilomètres du camp, ceux de Lakotas pourchassés par des soldats hors de contrôle.

    L'armée des États-Unis a récupéré ses propres victimes et abandonné les cadavres des Lakotas à la tempête de neige qui allait balayer la région pendant trois jours. Avant de jeter les corps gelés dans une fosse commune, de nombreux soldats ont dépouillé les Lakotas afin de garder en souvenir leurs chemises des esprits.

    Pendant le massacre, 25 soldats ont trouvé la mort, la plupart sous le feu ami. Malgré l'absence de données fiables sur les victimes lakotas, les historiens modernes estiment que plus de 300 d'entre eux ont perdu la vie ce jour-là.

    Cheyennes et Araphos reconstituent une Danse des Esprits, généralement pratiquée autour d'un mât, lors du Congrès national indien en 1898 à Omaha, dans le Nebraska. À l'époque, ce congrès était le plus grand rassemblement de peuples natifs d'Amérique.

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    BATAILLE OU MASSACRE ?

    Aussitôt la nouvelle de l'incident arrivée aux oreilles de la population, les débats ont éclaté à travers le pays pour savoir comment qualifier ce qui était survenu à Wounded Knee. Forsyth a été démis de son commandement après le massacre. Sa conduite a fait l'objet d'une enquête, mais après s'être défendu il a promptement été réintégré. Les journaux américains qui avaient suivi sans relâche le déploiement des troupes à travers les Dakotas ont qualifié l'épisode de bataille nécessaire ; les colons blancs l'ont célébré telle une victoire sur un peuple guerrier.

    « Nous devrions, afin de protéger notre civilisation… débarrasser la terre de ces créatures indomptées et indomptables, » écrivait en réaction à la nouvelle Frank L. Baum, alors journaliste dans le Dakota du Sud et futur auteur du Magicien d'Oz.

    Aux yeux des peuples amérindiens, cet acte de violence signifiait que le gouvernement des États-Unis ne reculerait devant rien pour les éradiquer. « Je ne mesurais pas à l'époque ce qui venait de s'achever, » écrivait Black Elk, médecin lakota et survivant du massacre. « Le cercle de la nation est brisé, éparpillé. Il n'y a plus de centre et l'arbre sacré est mort. »

    Ce massacre marque la fin d'un siècle de conflit armé entre les peuples natifs et les troupes américaines.

     

    MÉDAILLES D'HONNEUR

    En 1891, l'armée distribua 20 médailles d'honneur aux soldats qui avaient participé à ces atrocités.

    Au fil du temps et des études menées par les historiens sur les événements gravitant autour de l'incident, l'opinion publique a évolué. En 1970, Dee Brown publie Enterre mon cœur à Wounded Knee dans lequel il décrit les exactions commises par les Américains blancs à la Frontière et leurs terribles conséquences pour les peuples autochtones. L'ouvrage se vend à plusieurs millions d'exemplaires et fait entrer le douloureux souvenir de Wounded Knee dans les foyers américains. Dans le cadre de la lutte pour la souveraineté des peuples natifs aux États-Unis, les membres de l'American Indian Movement attirent également l'attention sur le massacre, notamment lors de l'occupation de Wounded Knee en 1973 où deux activistes sont abattus.

    Wounded Knee est devenu un cri de ralliement pour les activistes déterminés à exhiber les stigmates infligés aux peuples natifs par les siècles d'assimilation forcée, de terres volées et de traités brisés. En 1990, le Congrès des États-Unis présente officiellement ses excuses pour le massacre.

    Les appels à révoquer les médailles se font de plus en plus pressants. En janvier 2021, le Sénat de l'État du Dakota du Sud a adopté un projet de loi appelant le Congrès des États-Unis à ouvrir une enquête officielle sur les médailles. Dans le même temps, un groupe d'avocats américains tente de relancer une précédente proposition visant à révoquer les médailles. Aujourd'hui, alors que le projet de loi tarde à être approuvé, les élus en appellent directement au président Joe Biden.

     « Vous avez le pouvoir de révoquer ces médailles sans plus attendre, » écrivaient les législateurs, dont la sénatrice du Massachusetts, Elizabeth Warren, et la représentante du Kansas au Congrès, Sharice L. Davids, dans une lettre adressée au président américain le 2 novembre 2021. « Il est grand temps de laver cette tache dans l'histoire de notre nation. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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