La pandémie de COVID-19 pourrait précipiter la fin des langues autochtones au Brésil

« Nous sommes très inquiets, » déclare la cheffe Hozana Puruborá quant au sort de ses aînés, vulnérables au coronavirus. « Ils ont encore tellement à nous apprendre. »

De Jill Langlois
Photographies de Rafael Vilela
Publication 16 nov. 2020, 17:20 CET
Chez les Guaranis Mbya, les enfants comme Manuela Vidal ci-dessus apprennent leur langue et leur culture ...

Chez les Guaranis Mbya, les enfants comme Manuela Vidal ci-dessus apprennent leur langue et leur culture dans des écoles publiques qui ont dû fermer à cause de la pandémie.

PHOTOGRAPHIE DE Rafael Vilela

Plus tôt cette année, au Brésil, la COVID-19 a emporté Eliézer Puruborá, l'une des dernières personnes à avoir grandi avec la langue des Puruborá. Son décès à l'âge de 92 ans a affaibli le lien déjà fragile entre ce peuple et sa langue.

Les langues autochtones du Brésil sont menacées depuis l'arrivée des Européens. Aujourd'hui, seules 181 des 1 500 langues qui existaient autrefois sont encore parlées, chacune par moins d'un millier de personnes. Certains groupes natifs ont réussi à pérenniser leur langue, c'est notamment le cas des plus peuplés comme les Guarani Mbya. En revanche, à l'instar des Puruborá qui ne comptent plus que 220 représentants, les groupes plus petits sont sur le point de voir leur langue disparaître.

La pandémie ne fait qu'aggraver cette situation. D'après les estimations, les peuples autochtones du Brésil compteraient 39 000 cas de coronavirus, dont six chez les Puruborá, et près de 877 décès au total. Les principales victimes de la COVID-19 sont les personnes les plus âgées comme Eliézer, souvent les derniers remparts contre la disparition de leur langue. Par ailleurs, face au coronavirus les membres d'une communauté sont contraints de s'isoler et de renoncer aux événements culturels qui empêchent leur langue de tomber dans l'oubli, ce qui entrave le long processus d'entretien de la langue.

La préservation de la langue et de la culture est une lutte de longue date pour les Puruborá. Il y a plus d'un siècle, la récolte du caoutchouc attirait sur leurs terres dans l'État amazonien du Rondônia des exploitants placés sous l'égide du Service de protection des Indiens, l'agence fédérale responsable de l'administration des peuples autochtones. Les hommes et les garçons, dont Eliézer, ont été mis au travail pour récolter le caoutchouc de l'hévéa et les femmes de tous âges ont été offertes en guise de récompense aux travailleurs non autochtones. Le portugais était la seule langue autorisée.

« Tout ce qui avait trait à notre culture était interdit, » témoigne Hozana Puruborá, devenu chef des Puruborá à la mort de sa mère Emilia. Emilia et Eliézer étaient cousins ; lorsqu'ils étaient enfants, tous deux orphelins, ils échangeaient dans leur langue en chuchotant quand personne ne pouvait les entendre. « C'est en se cachant qu'ils ont pu garder en vie cette langue. »

En 1949, le Service de protection des Indiens a annonçé qu'il n'y avait plus de natifs dans la région, car ils avaient été « mélangés » et « civilisés. » Officiellement, les Puruborá avaient donc disparu.

 

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En réalité, les Puruborá ont refusé de disparaître. Ils ont fondé Aperoi, leur dernier village, sur une parcelle de terre ancestrale achetée à des éleveurs et des agriculteurs. Avec ses 25 hectares, le village n'est pas assez grand pour accueillir tous les membres du peuple, c'est pourquoi Eliézer vivait à proximité avec sa fille dans la ville de Guajará Mirim.

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    Lors de la première visite de Galucio en 2001, les Puruborá comptaient neuf aînés enclins à renouer avec leur langue, dont Eliézer et Emília. La plupart vivaient loin d'Aperoi et n'avaient pas parlé le puruborá depuis des dizaines d'années.

    « Ce n'est pas juste qu'ils ne le parlaient plus » explique Galucio. « Ils ne l'entendaient plus ; ils n'avaient plus de contact avec leur langue. »

    Galucio a donc pris l'initiative de les réunir pour leur permettre d'échanger. Ils portaient un casque et parlaient dans un micro. Tout ce qu'ils disaient était enregistré afin de créer une archive audio de leur langue. Au départ, ils ne se rappelaient que de quelques mots. Les noms d'animaux sont revenus facilement ; la grammaire et la structure des phrases ont par contre représenté un réel défi. Mais plus ils parlaient, plus les mots leur revenaient.

    Ils ne sont plus que deux aujourd'hui à parler semi-couramment leur langue, Paulo Aporete Filho et Nilo Puruborá. Nonagénaires à la santé fragile, ils sont tous deux vulnérables au coronavirus. Ils n'habitent pas Aperoi et personne ne peut leur rendre visite à cause de la pandémie. Hozana craint que la COVID-19 ne les emporte avant qu'ils aient pu partager leur savoir.

    « Nous sommes très inquiets. Ils ont encore tellement à nous apprendre. »

     

    UN ENSEIGNEMENT PRÉCIEUX

    Plus au sud, la pandémie affecte également les Guaranis Mbya. Plusieurs centaines de membres des six villages qui composent leur communauté de São Paulo ont contracté la COVID-19, certains âgés de plus de 100 ans. Pour le moment, personne n'a succombé à la maladie.

    Les écoles primaires de la communauté, où sont enseignées la langue et la culture des Guaranis, ont fermé leurs portes, privant les enfants d'un cadre essentiel à l'apprentissage et au partage. De nombreux membres de la communauté ont perdu leur emploi.

    Cela dit, la langue guaranie a récemment reçu un coup de pouce inattendu. Lorsque la pandémie a éclaté, le jeune leader guarani Anthony Karai a commencé à donner des cours de langue en ligne afin de lever des fonds pour les membres sans emploi de sa communauté. Il s'estimait capable de gérer une centaine d'élèves et en moins de deux heures ils étaient plus de 300 à s'inscrire.

    Ne voulant refuser personne, Karai a fait appel à deux enseignants d'autres villages pour prendre en charge les 200 élèves supplémentaires. Le fait d'enseigner le guarani lui permet non seulement de maintenir la langue en vie mais aussi d'amener le public non natif à percevoir sa communauté sous un nouvel angle.

    « L'apprentissage d'une langue ne se limite pas au langage, » explique Karai. « Il faut aussi découvrir sa culture. »

    L'opposé est également vrai : la perte d'une langue peut aboutir à la disparition d'une culture et c'est bien ce qui inquiète Mario Puruborá, professeur de puruborá.

    Sans territoire, il est difficile de protéger une culture et sa langue. En 2017, des familles guaranies ont fondé un nouveau village au sein de l'état de São Paulo.

    À Aperoi, comme dans les villages des Guaranis Mbya, les enfants apprennent le Puruborá à l'école publique. Cependant, déjà avant la pandémie les autorités locales voulaient fermer l'école, car elle ne comptait qu'une poignée d'élèves.

    Mario s'est battu pour garder les classes ouvertes. Il ne parle pas couramment le puruborá et a appris ce qu'il sait des enregistrements audio réalisés par Galucio pour les archives du musée.

    Avant la pandémie, il pouvait compter sur ses visites régulières rendues aux aînés qui habitent en dehors du village, comme Paulo et Nilo, pour répondre à ses questions sur la langue. Le coronavirus a rendu ces voyages trop dangereux et il craint aujourd'hui de voir de nombreux détails linguistiques partir avec eux.

    Les Puruborá font de leur mieux pour assurer la sécurité de leurs membres. Ils ont reporté leur assemblée annuelle et leur festival culturel, pendant lequel ils partagent leurs histoires, chantent et organisent les efforts de préservation de leur langue. Ils ont aussi restreint leurs déplacements non essentiels. Lorsque la pandémie touchera à sa fin, ils veilleront à ce que la responsabilité de la préservation de leur culture et de leur langue ne repose pas uniquement sur les épaules fragiles de leurs aînés.

    « Beaucoup disent que nous sommes en train de renaître, mais je n'aime pas ce terme, » indique Mario. « Nous n'avons jamais oublié notre identité et nous n'avons jamais disparu. Nous serons toujours là. »

     

    Cet article a reçu la contribution du COVID-19 Emergency Fund for Journalists de la National Geographic Society.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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