Après l'expulsion, le dur retour des immigrés dans un pays méconnu

Les Salvadoriens expulsés des États-Unis sont confrontés à un dilemme douloureux : retrouver illégalement la vie qu'ils viennent de quitter ou en construire une nouvelle dans leur pays natal.

De Anna-Catherine Brigida
Photographies de Cristina Baussan
Publication 19 août 2021, 10:43 CEST
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Alex Morales a passé son adolescence dans l'Arkansas, avant d'être déporté au Salvador il y a près de deux ans. Ci-dessus, le jeune homme de 29 ans et sa fille, Rose, assistent à un match de football à San Salvador, la capitale. Après avoir grandi avec des parents immigrés qui cumulaient les emplois pour subvenir aux besoins de sa famille, veiller à ce que sa fille ait les mêmes opportunités que lui aux États-Unis est la seule chose qui le préoccupe.

PHOTOGRAPHIE DE Cristina Baussan, National Geographic

À San Salvador, la capitale du Salvador, Mayra Machado passe ses journées à traiter les appels de parents vivant aux États-Unis qui tentent désespérément de faire venir leurs enfants. 

L'angoisse de ces parents, Mayra la connaît bien. Avant de travailler pour le programme Central American Minors afin de réunir en toute légalité les mineurs du Salvador, du Honduras et du Guatemala avec leurs parents qui ont émigré aux États-Unis, Mayra habitait elle-même aux États-Unis depuis ses cinq ans. En 2017, elle est déportée pour la première fois au Salvador et doit laisser derrière elle ses trois enfants, âgés de 11, 10 et 7 ans.

Déterminée à les rejoindre, elle ne met pas longtemps avant d'émigrer à nouveau, mais les agents de l'Immigration and Customs Enforcement (ICE) des États-Unis la retrouvent lorsqu'elle est impliquée dans un accident de voiture mineur en déposant ses enfants à l'école. Elle est reconduite une seconde fois au Salvador en janvier 2020. Depuis, Mayra n'a plus vu ses enfants en personne. Elle garde le contact via les messages et FaceTime. C'est ainsi qu'elle les aide à faire leurs devoirs, leur donne des conseils sur leur vie amoureuse ou fait office de médiatrice virtuelle lorsqu'ils n'écoutent pas leurs grands-parents qui les élèvent en Arkansas.

Mayra Machado, 36 ans, a été reconduite au Salvador pour la première en janvier 2017 à la suite d'un contrôle de routine qui a alerté les services d'immigration, car elle était sans-papiers et avait déjà été condamnée pour des chèques falsifiés à l'âge de 18 ans. Déterminée à rejoindre ses trois enfants, elle a de nouveau émigré aux États-Unis où elle a été déportée une seconde fois en janvier 2020 après avoir passé deux dans un centre de détention pour immigrants en Louisiane. Elle n'a pas vu ses enfants en personne depuis.



PHOTOGRAPHIE DE Cristina Baussan, National Geographic

Expulsée à deux reprises vers le Salvador, Mayra Machado a décidé qu'élever ses enfants à distance était la meilleure solution pour sa famille. Pour s'occuper de ses trois enfants qui vivent avec leur grand-mère en Arkansas, elle passe par les messages et FaceTime. « La communication, c'est tout ce que j'ai, » déclare-t-elle.

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Mayra Machado vivait aux États-Unis depuis ses cinq ans avant d'être reconduite à deux reprises au Salvador, la plus récente en janvier 2020. Elle passe désormais ses journées à San Salvador à traiter les appels de parents vivant aux États-Unis qui tentent désespérément de faire venir leurs enfants. Ci-dessus, elle rend visite à une famille récemment expulsée dans la ville de La Reina, au nord de San Salvador, dans le département de Chalatenango.

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Mayra Machado (à droite, au premier plan) regarde ses amis jouer au basket dans le parc Centenario de San Salvador. Depuis son expulsion, elle a retrouvé un sens de la communauté auprès des autres immigrés reconduits au Salvador et de la diaspora d'Amérique centrale qui transite par le pays.

PHOTOGRAPHIE DE Cristina Baussan, National Geographic

« Dis maman, j'ai rencontré une fille, » lui confiait son fils lors d'un récent appel vidéo. « Ah, dis-moi, à quoi elle ressemble ? Montre-moi une photo, » lui a-t-elle répondu, en essayant de trouver l'équilibre parfait entre mère et amie. Ses enfants n'ont pas répondu à ses appels pendant une semaine parce qu'ils trouvaient ses conseils maternels trop sévères.

« La communication, c'est tout ce que j'ai, » déclare Mayra, 36 ans, dans son bureau de San Salvador, en ne quittant que très rarement son téléphone des yeux pour ne rater aucun message. « Si je perds ces échanges avec eux, qu'est-ce qu'il me restera ? »

Mayra fait partie des plus de 100 000 Salvadoriens expulsés des États-Unis depuis 2015, selon les données les plus récentes fournies par les autorités du Salvador. Le nombre de Salvadoriens appréhendés par les services d'immigration des États-Unis au passage de la frontière sud était supérieur au nombre de déportés sur la même période. Cependant, suite aux nouvelles politiques favorisant les contrôles en dehors des régions frontalières pour cibler davantage de sans-papiers, les expulsions d'immigrants comme Mayra Machado, avec des racines profondément ancrées aux États-Unis, ont fortement augmenté.

De nombreux déportés arrivent dans un pays qu'ils connaissent à peine. Sans assistance, ils risquent de tomber dans la dépression. Pour ceux qui ont encore des attaches familiales fortes aux États-Unis, le retour au Salvador s'accompagne d'un dilemme particulièrement douloureux : doivent-ils prendre le risque de retourner illégalement à leur vie passée ou commencer à construire une nouvelle vie au Salvador ?

 

LE TEMPS DES PRIÈRES

Dans l'une des maisons en parpaing d'un quartier pauvre de la ville, 10 personnes assises sur des chaises en plastique se retrouvent dans un salon qui fait office de lieu de culte les samedis. Short de basket vert et débardeur rouge, blanc, bleu siglé USA, un prêtre s'adresse aux fidèles en posant chaque semaine la même question : « Pour qui voulez-vous prier ? »

« Je veux prier pour ma femme et ma fille, car je ne suis pas là-bas avec elles, » répond un homme de 43 ans, barbe naissante et visage fatigué, après être resté silencieux pendant la majeure partie de la messe.

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    Des hommes récemment expulsés arrivent au centre d'accueil des migrants de San Salvador. Ce jour-là en juin, plus de 70 hommes ont débarqué du même avion après avoir été déportés de différentes villes à travers les États-Unis.

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    À 40 ans, Mario Blanco Ventura se dirige vers la porte du centre d'accueil des migrants pour retrouver un membre de sa famille à San Salvador. Il est arrivé pour la première fois aux États-Unis à 16 ans et a été expulsé pour la seconde fois cette année.

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    Mario Blanco Ventura retrouve un membre de sa famille au centre d'accueil des migrants de San Salvador.

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    Santiago est l'un des derniers à avoir rejoint la Hungry Church, une organisation fondée par les déportés pour aider ceux qui n'ont ni famille ni soutien au Salvador. Elle offre un hébergement à court terme, aide ses membres à trouver un emploi et organise des activités pour souder la communauté. Santiago a demandé à être identifié uniquement par son prénom pour des raisons de sécurité. Il arrive que les déportés soient victimes de violence et d'extorsion pour l'argent qui leur serait prétendument envoyé par leurs proches restés aux États-Unis.

    Après 40 ans passés dans le sud de la Californie, Santiago est arrêté par les services d'immigration en décembre 2020 pour un ordre d'expulsion en suspens depuis le refus de son statut de réfugié en 1989. Le jour de son arrestation, il quittait sa maison, gamelle à la main, pour se rendre à son travail dans une station de lavage de voiture où il occupait un poste de manager après avoir grimpé les échelons. Il a trois enfants, âgés de 20, 17 et 13 ans, tous nés aux États-Unis.

    Les souvenirs d'une enfance passée au Salvador restent flous et lointains pour Santiago. Dans les semaines qui ont suivi son retour au Salvador, Santiago a erré d'un bout à l'autre du pays. Il a d'abord accompagné un ami du centre de détention pour migrants dans un village rural de l'est du Salvador où il n'a passé que quelques jours pour ne pas imposer sa présence. Il a ensuite pris la direction de la ville natale de sa mère, à près de 300 km de là, dans l'espoir d'y trouver de la famille éloignée, en vain. Finalement, il est retourné à la capitale.

    C'est là qu'il a entendu parler de la Hungry Church, grâce à un membre du gouvernement qu'il avait rencontré lors de son expulsion.

    « J'ai de la chance d'avoir un endroit où habiter, » indique Santiago, qui porte le short, les tongs et le t-shirt des Chicago Cubs qui lui ont été donnés à son arrivée au Salvador il y a 6 mois. « Parce que lors de mon expulsion, c'était plutôt "Autant appuyer sur la détente vous-même. Vous me renvoyez dans un pays où je ne connais rien, où je n'ai pas de famille." Vous voyez ce que je veux dire ? »

    « Je n'ai jamais imaginé que je reviendrais ici, » ajoute-t-il.

    Le jour se lève sur San Salvador, capitale du Salvador. Selon les données les plus récentes communiquées par les autorités du Salvador, plus de 100 000 Salvadoriens ont été expulsés des États-Unis depuis 2015.

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    Santiago cherche encore ses marques au Salvador, mais d'autres déportés ont trouvé le moyen de commencer une nouvelle vie sans oublier leur culture, leur famille et leurs liens avec les États-Unis. Ils sont avocats ou militants, chefs d'entreprise ou à la tête de projets qui combinent leurs deux cultures et leurs compétences linguistiques. Au moins l'un d'entre eux utilise ce qu'il a appris aux États-Unis pour s'investir dans la politique locale. Pourtant, même lorsque tout va bien, ces hommes et ces femmes se sentent tiraillés entre deux mondes. Ils savent qu'ils doivent aller de l'avant, mais craignent que chaque pas ne les éloigne des personnes et des lieux qu'ils affectionnent.

    Lorsque Santiago prie à la Hungry Church, il pense aux sacrifices que sa famille a dû faire depuis son expulsion. Son aînée a récemment renoncé à ses études pour aider sa mère sur le plan financier.

    « Je dois trouver le moyen de rejoindre ma famille, » dit-il.

     

    MAMAN VIRTUELLE

    Machado aussi était rongée par le besoin de regagner l'Arkansas après sa première expulsion en 2017. Un contrôle de routine avait alerté les services d'immigration sur le fait qu'elle était sans-papiers et qu'elle avait déjà été condamnée pour faux chèques à l'âge de 18 ans, un acte dont elle ne saisissait pas toutes les conséquences à cet âge. Après deux années passées dans un centre de détention pour migrants en Louisiane dans l'attente de sa seconde expulsion, avec seulement 10 minutes par jour pour appeler ses enfants, elle a décidé que les élever à distance depuis le Salvador était la meilleure solution pour sa famille. 

    Ce rôle de « maman virtuelle » est désormais ce qui motive Machado à aider d'autres familles à se réunir et lui permet de renouer avec le Salvador.

    « J'ai la chance de réunir des familles après que la mienne a été détruite par les services d'immigration. Alors, pourquoi ne pas essayer d'en réunir le plus possible ? » dit-elle. Peu de temps après, elle nous montre une photo de ses trois enfants dans l'un de ses musées préférés d'Arkansas qu'elle vient de recevoir sur son téléphone.

    « Je donnerais tout pour être à la maison, » souffle-t-elle.

     

    MAUVAISE DÉCISION  

    Aujourd'hui âgé de 29 ans, Alex Morales a passé son adolescence en Arkansas, à 10 minutes en voiture de l'endroit où vivait Mayra. Ils ont plus d'une centaine d'amis en commun sur Facebook mais ne s'étaient jamais rencontrés avant leur expulsion au Salvador.

    Alex Morales a émigré aux États-Unis à l'âge de 5 ans avec sa mère et son beau-père, dans un premier temps à Los Angeles, où il aurait été harcelé pour son côté geek, puis dans l'Arkansas, où il s'est bien mieux intégré et a même rejoint divers clubs de son école, notamment l'association Future Business Leaders of America et le club des libres penseurs.

    La tenue d'arts martiaux portée par Alex pendant son enfance en Arkansas est accrochée devant sa maison de La Libetard, au Salvador. Expulsé en 2019, Morales nous explique qu'il s'était inscrit aux arts martiaux aux États-Unis parce qu'il se sentait responsable de la protection de sa famille immigrante.

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    Alex Morales, 29 ans, devant sa maison de La Libertad, au Salvador. Il a émigré aux États-Unis à 5 ans avec sa mère et son beau-père, d'abord à Los Angeles puis en Arkansas. Deux ans après son retour forcé au Salvador, il commence à prendre confiance en l'avenir. L'année dernière, il a eu son premier enfant, Rosalyn, avec sa petite-amie salvadorienne et il gère à présent son propre AirBnb.

    PHOTOGRAPHIE DE Cristina Baussan, National Geographic

    Alex Morales retrouve son amie, Rachel Rose, après son match de foot à l'école Santa Cecilia de San Salvador. Ils se sont rencontrés grâce à des amis mutuels à La Libertad, une station balnéaire du Salvador.

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    D'après son témoignage, il ne lui manquait que quelques crédits pour obtenir son diplôme de commerce à l'université de l'Arkansas lorsqu'il a accompagné un ami parti réclamer de l'argent et s'est retrouvé dans une bagarre où il a dû se défendre. Il nous explique qu'il a accepté la négociation de peine parce qu'il craignait de passer plus de dix ans derrière les barreaux s'il ne le faisait pas, mais les accusations étaient fausses, insiste-t-il, il était tout simplement « au mauvais endroit, au mauvais moment, avec les mauvaises personnes. »

    Bien que Morales ait obtenu son statut de résident permanent, la tant convoitée green card, une condamnation pour crime grave constitue un motif d'expulsion pour les non-citoyens, y compris les immigrants dont le statut a été légalisé. « Ma vie est foutue, » s'est-il dit à l'époque.

    Aujourd'hui, après deux ans au Salvador, il commence à reprendre confiance en l'avenir. L'année dernière, il a eu son premier enfant, Rosalyn, avec sa petite-amie salvadorienne. Il gère à présent son propre AirBnb et vit dans une dépendance sur la propriété, où la petite Rosalyn fait joyeusement ses premiers pas. Il gère également d'autres propriétés de la ville côtière où sa mère a grandi. Jouer les traducteurs pour ses parents lorsqu'il vivait aux États-Unis et aider son père à échanger avec ses clients pour son activité de maçon était la préparation idéale pour sa nouvelle vie. Il passe beaucoup de temps à répondre aux questions des clients américains et aux e-mails.

    Alex Morales fait quelques achats à un stand devant l'école Santa Cecilia de San Salvador, au Salvador. Lorsque son emploi du temps le permet, il aime emmener sa famille visiter la capitale pour sortir de leur routine quotidienne.

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    Alex Morales regarde les championnats du monde de surf 2021 avec des amis à La Libertad, au Salvador. Après son expulsion des États-Unis en 2019, il a commencé une nouvelle vie.

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    « Dans la vie, il faut parfois oublier ce que l'on sait pour se tourner vers l'avenir et rester optimiste, » confie-t-il.

     

    POINT DE DÉPART

    À environ 160 km au sud de l'endroit où vit Morales se trouve Intipucá, une ville balnéaire paisible qui se revendique le point de départ de l'émigration salvadorienne. Lorsque Sigfredo Chávez quitte la ville en 1967 pour s'installer à Washington, il ouvre la voie à ses milliers de compatriotes. Une statue de Chávez trône aujourd'hui dans le centre-ville en hommage à la contribution des migrants au développement d'Intipucá.

    L'influence des États-Unis est omniprésente ici : les boutiques arborent des bannières rouge, blanc et bleu, chaque coin de rue a son vendeur de hot dog et les maisons fleuries témoignent des constructions rendues possibles grâce à l'argent envoyé par les proches travaillant aux États-Unis.

    Herson Mercado, 30 ans, fait partie de ceux qui ont émigré depuis Intipucá. Il a quitté la ville en 2007 pour rejoindre sa mère dans le New Jersey et laisser derrière lui la violence grandissante des gangs. Sa demande d'asile a été refusée et il a reçu à la place un ordre d'expulsion. Il a toutefois évité la reconduite immédiate à la frontière. Après s'être marié à une Américaine en 2017, il a supposé qu'il pouvait légaliser son statut.

    Malheureusement, lorsqu'il s'est rendu à l'entretien en septembre 2019 avec sa femme et leur fils âgé de 9 mois, les agents des services d'immigration l'attendaient pour le placer en détention. L'ordre d'expulsion leur permettait de l'arrêter à tout moment.

    Une jeune femme traverse la place d'Intipucá, une ville balnéaire paisible au Salvador qui se revendique comme le point de départ de l'immigration salvadorienne.

    PHOTOGRAPHIE DE Cristina Baussan, National Geographic

    L'expulsion revenait à lui couper les ailes au moment même où il s'apprêtait à prendre son envol, déclare Mercado dans un mélange d'anglais et d'espagnol. « Me cortaron las alas, » répète-t-il, ils m'ont coupé les ailes.

    À son retour à Intipucá, il a enfourché un vélo pour faire du porte-à-porte à la recherche des amis qu'il n'avait plus vus depuis ses 16 ans. Certains avaient quitté le pays, d'autres avaient été tués.

    Dans le New Jersey, Mercado menait une vie confortable. Son travail dans une société d'aménagement paysager allait pour le mieux et son nouveau rôle de père l'enchantait. Mais au Salvador, il enchaîne les déceptions. Malgré son profil bilingue intéressant pour les centres d'appel, ils ne peuvent pas l'embaucher tant qu'il n'a pas obtenu son diplôme d'études secondaires. Aux États-Unis, il avait quitté le lycée pour aider sa mère à payer les factures.

    « Là-bas, vos efforts sont récompensés, » dit-il des États-Unis. « Ici, si vous ne connaissez personne, vous n'avez pas de travail. »

    Néanmoins, cela ne l'a pas empêché de se présenter aux élections locales en février. Il commençait à trouver un sens à sa vie au Salvador, mais lorsque sa femme l'a appelé pour lui annoncer leur séparation, c'était comme si on lui coupait les ailes, une nouvelle fois.

     « Je voulais partir. J'étais désespéré, terrifié à l'idée que mon fils appelle un autre homme papa, » raconte-t-il. « Mais en même temps, quelque chose m'empêchait de partir. Je ne voulais pas abandonner ceux qui m'avaient fait confiance pour les représenter aux élections. »

    Il est donc resté et même si son parti n'est pas sorti vainqueur des élections, Mercado a tout de même remporté un siège au conseil municipal, un poste à temps partiel qu'il occupe depuis le mois de mai. Il espère ainsi être en mesure de faire pression sur les autorités municipales pour restaurer les infrastructures, revêtir les chemins de terre et lancer des programmes pour la jeunesse, comme les cours de musique qui lui ont permis d'apprendre la guitare aux États-Unis. Il pense encore à émigrer, mais plus autant qu'avant. « Je ne le ferai pas, sauf si un moyen légal se présente, » affirme-t-il.

     

    UNE VIE APRÈS L'EXPULSION

    À 50 ans, Walter Blanco croit à la vie après l'expulsion. « Aux États-Unis, il y a des médecins, des avocats et des ingénieurs, » nous disait-il il y a peu depuis son bureau d'Intipucá. « Ici aussi. »

    Il a été reconduit au Salvador en 2001, à l'issue d'un contrat d'informateur qui a tourné court, explique-t-il, ce qui a entraîné sa condamnation pour complicité de trafic de drogues et la révocation de sa green card. Il avait vécu aux États-Unis de ses 13 à ses 30 ans avec sa mère, plus tard devenue citoyenne américaine.

    Walter Blanco, 50 ans, a émigré dans le Maryland à l'âge de 13 ans avant d'être expulsé vers le Salvador en 2001 après avoir perdu sa green card suite à une condamnation. Au Salvador, il est retourné à l'école, a obtenu un diplôme de droit et dirige désormais un cabinet de droit privé de la famille et de défense juridique. « Les États-Unis, ce n'est pas pour tout le monde, » assure-t-il. « Il faut être prêt à faire des sacrifices. Il est impossible de s'en sortir là-bas sans faire de sacrifices. »

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    Une photo de famille de Walter Blanco avec ses frères dans leur maison du Maryland. Il vit aujourd'hui sur la côte du Salvador à Intipucá et ressent toujours une connexion forte avec les États-Unis.

    PHOTOGRAPHIE DE Cristina Baussan, National Geographic

    La mère de Walter Blanco, Elena Mejia, 91 ans, pose à côté de la machine à coudre sur laquelle elle travaillait avant de partir aux États-Unis. Elle est revenue au Salvador en 2013 pour être avec son fils après avoir été diagnostiquée de la maladie d'Alzheimer.

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    Walter Blanco et sa mère Elena Mejia se tiennent la main dans leur maison d'Intipucá, au Salvador. Le plus grand souhait de Walter Blanco est de voir sa mère vivre encore neuf ans pour devenir centenaire. Il a vécu aux États-Unis près de 17 ans avant d'être déporté en 2001.

    PHOTOGRAPHIE DE Cristina Baussan, National Geographic

    Walter Blanco et sa mère Elena Mejia, qui tient un portrait de famille de ses quatre fils. « Il ne faut pas attendre la mort pour prouver son amour, » dit-elle. « Il faut le faire tant que nous sommes encore sur cette terre. »

    PHOTOGRAPHIE DE Cristina Baussan, National Geographic

    Il se sent encore attaché aux États-Unis. Il a vu les tours jumelles s'effondrer derrière son écran à Intipucá et confie avoir été choqué par ses voisins qui brûlaient des drapeaux américains. « J'étais bouleversé, car j'ai beaucoup de gratitude envers les États-Unis, » dit-il.

    Au Salvador, Walter Blanco est retourné à l'école, il a obtenu un diplôme de droit et dirige désormais un cabinet de droit privé de la famille et de défense juridique tout en veillant sur sa mère qui l'a rejoint à Intipucá après avoir découvert qu'elle souffrait de la maladie d'Alzheimer. Parfois, il repense à ce qu'aurait pu être sa vie s'il était resté aux États-Unis. Mais tout comme il s'imaginait enfant voler aux côtés de Superman, il ne s'attarde pas bien longtemps sur ce qu'il sait impossible. Pour lui, cela signifie renoncer au rêve américain.

    « Il faut se connaître et prendre conscience que les problèmes viennent de soi, » conseille-t-il. « Et la solution également. »

    Pour Mayra Machado, notre maman virtuelle, renoncer à ce qui aurait pu être a été un moteur pour aller de l'avant dans son pays.

    « Si vous êtes heureux, si vous avez le soutien de votre famille pour vous aider à avancer, il existe une vie après l'expulsion, » conclut-elle. « On peut toujours envisager le meilleur. »

     

    Anna-Catherine Brigida est une journaliste indépendante qui couvre l'Amérique Centrale depuis 2015. En 2021, elle obtient une bourse de la Fondation Alicia Patterson pour un reportage sur la santé mentale au Salvador et au Honduras. Retrouvez-la sur Twitter @AnnaCat_Brigida

    Cristina Baussan est une photographe documentaire basée entre le Salvador et Haïti. Pour découvrir son travail, visitez son site Web ou son compte Instagram.

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