Transcender la tradition

Avec leurs habits et leurs coiffures, de jeunes boliviennes élargissent l'horizon du skateboard.

De Paula Ramón
Publication 27 janv. 2023, 18:46 CET
Huara Medina, 25 ans, pratique le skateboard avec un groupe de femmes qui organise des spectacles ...

Huara Medina, 25 ans, pratique le skateboard avec un groupe de femmes qui organise des spectacles pour promouvoir l’identité des autochtones en Bolivie. Elle pose ici avec les tresses en l’air. Dans le pays, la coiffure est un symbole de fierté et d’émancipation.

PHOTOGRAPHIE DE Luisa Dörr

Dans les campagnes, en bolivie, les polleras aux couleurs vives constituent un symbole d'identité culturelle. Ce sont les volumineuses jupes traditionnelles des femmes autochtones d’origines aymara et quechua. Un vêtement à l’histoire complexe : les polleras remontent au XVIe siècle et à la conquête espagnole. Les colons les imposèrent pour honorer un style vestimentaire à la mode dans leur pays. Ces jupes ont fini par intégrer le costume andin le plus souvent associé aux cholitas, les femmes amérindiennes des hauts plateaux. Elles exaltent la fierté culturelle, mais rappellent aussi l’oppression subie par les paysans. 

Et voilà que des sportives boliviennes ont introduit la mode des polleras à la ville. Les jupes qu’elles portent pendant leurs démonstrations de skateboard veulent célébrer les cholitas, tout en modernisant ce vêtement ancien. 

« La pollera est associée aux campagnes, aux gens ignorants et sans ressources, remarque Daniela Santiváñez, cofondatrice d’ImillaSkate, une troupe d’artistes de la planche à roulettes. Nous voulons faire comprendre qu’il n’y a aucun mal à porter la pollera. Elle fait partie de nos racines. Nous devons plutôt en être fières. »

Les skateuses modifient leurs jupes, tout comme leurs ancêtres donnèrent leur identité aux polleras en les associant avec des blouses à motifs, des bijoux locaux et des chapeaux. Deysi Tacuri López, 28 ans, autre membre du groupe de skate créé en 2019 dans la ville de Cochabamba, considère ainsi les polleras comme une expression culturelle et une forme d’émancipation.

 

Au marché La Cancha, plusieurs membres d’ImillaSkate viennent chercher des tenues traditionnelles.

PHOTOGRAPHIE DE Luisa Dörr

Tacuri et ses comparses pratiquent le skateboard au parc Ollantay, l’un des deux lieux de Cochabamba disposant de rampes et d’autres structures conçues pour les sports de glisse. Les polleras tourbillonnent et tournoient à chaque virage, saut et chute occasionnelle. Mais Tacuri l’admet : au départ, s’élancer et effectuer des figures complexes revêtue de ces lourdes épaisseurs de tissu n’a pas été facile.

Daniela Santiváñez, 26 ans, a appris la planche à roulettes enfant, avec son frère. À l’époque, il était « rare de voir des filles sur un skate ».

En Bolivie, le skateboard est populaire depuis environ deux décennies. Mais, faute de modèle féminin dans ce sport à Cochabamba (et parce qu’elle en avait assez d’entendre sa mère déplorer ses ecchymoses), Santiváñez a cessé de pratiquer à l’adolescence. Elle a recommencé après le lycée et l’obtention d’un diplôme de graphiste. Elle avait découvert entre-temps qu’elle n’était pas la seule fille à se passionner pour ce sport.

Le nom du groupe reflète ses aspirations : en aymara et en quechua, les deux langues amérindiennes les plus parlées en Bolivie, imilla signifie « jeune fille ». Ses fondatrices ont commencé à pratiquer ensemble, attirant d’autres participantes. Depuis trois ans, ImillaSkate réunit neuf skateuses. Être membre active implique un entraînement hebdomadaire et un respect partagé pour la diversité et la tradition.

Le groupe est basé à Cochabamba, mais les réseaux sociaux lui offrent un public bien au-delà de la Bolivie. ImillaSkate compte plus de 24 000 abonnés sur Instagram et plus de 8 000 sur Facebook. Certaines de ses vidéos ont des milliers de vues sur une chaîne YouTube. Sur TikTok, il attire environ 4 500 personnes.

 

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    Deysi Tacuri López, 28 ans, veut contribuer à populariser son sport et à aider les jeunes Boliviennes à mieux connaître leurs racines : « Je suis fière de porter les polleras. »

    PHOTOGRAPHIE DE Luisa Dörr

    ImillaSkate a également aidé ses membres à comprendre leurs racines, ajoute Deysi Tacuri López : « Nous avons décidé d’apprendre à connaître notre culture et notre identité. Nous  avons décidé de réévaluer notre habillement et d’encourager les nouvelles générations. »

    La jeune femme s’est même mise en congé de son travail dans la menuiserie. Son objectif : s’entraîner à plein temps pour une compétition nationale de skateboard – qui s’est tenue en novembre 2021 à Tarija, dans le sud de la Bolivie. 

    Un autre défi s'est présenté lorsque les skateuses ont décidé d’utiliser les polleras pour témoigner de la fierté qu’elles éprouvent pour leur héritage rural : elles ont dû se familiariser avec les jupes elles-mêmes. 

    Elles ignoraient où trouver des polleras et ont donc demandé de l’aide à leurs grands-mères. Les jeunes femmes ont cherché des boutiques qui vendaient les jupes, mais aussi des chapeaux et les rubans que l’on mêle aux chevelures. Elles se sont alors rendues au Mercado de Punata, un marché alimentaire et de fripes, à Cochabamba.

    « Tout le monde était surpris de nous voir venir chercher ce type de vêtements. Nous sommes de jeunes citadines. Les gens ne saisissaient pas pourquoi nous voulions nous habiller ainsi », se rappelle Daniela Santiváñez. « Nous essayons d’expliquer en quoi notre démarche nous permet de comprendre nos mères, nos tantes et nos grands-mères », renchérit Deysi Tacuri López.

     

    Elinor Buitrago Méndez, 25 ans, se laisse flotter, vêtue d’une jupe traditionnelle. L’origine de la mode de la pollera en Bolivie remonte à la conquête espagnole, au XVIe siècle.

    PHOTOGRAPHIE DE Luisa Dörr

    Selon elle, l’ostracisme attaché aux polleras a évolué en 2006 avec l’élection d’Evo Morales, le premier président autochtone de la Bolivie.

    Sous son mandat, les électeurs ont approuvé une nouvelle Constitution. Celle-ci reconnaît formellement trente-six langues autochtones et garantit aux peuples nationaux des droits tels que la propriété collective de la terre. En 2019, Evo Morales a été poussé à la démission, accusé de chercher à miner la démocratie pour prolonger ses presque quatorze années de pouvoir.

    Deysi Tacuri López estime que le groupe pourrait promouvoir davantage la reconnaissance culturelle des peuples autochtones. « Les polleras sont portées lors d’expositions et d’événements culturels, précise-t-elle. Les femmes ont davantage de pouvoir, mais c’est un travail en cours. » Pour l’heure, les imillas observent un changement dans leur propre ville.

    « Quand j’étais petite, il ne me serait pas venu à l’esprit que les filles pouvaient pratiquer le skate, confie Tacuri. En fait, c’est à cause de ça que j’ai arrêté pendant plusieurs années. Avec ImillaSkate, nous avons fondé un réseau. Il n’est plus aussi rare de voir une fille sur un skate. »

    Sept membres du groupe se sont lancées dans une tournée en Bolivie pour réaliser un petit documentaire. La bande-annonce de six minutes postée sur YouTube les montre vêtues de jupes colorées et s’adonnant à la glisse dans des zones industrielles ou rurales, des parcs et ailleurs.

    « Notre but, c’est de promouvoir et d’encourager le skate, de développer ce sport et, en même temps, d’ouvrir de nouveaux espaces de pratique, affirme Tacuri. Mais nous voulons aussi envoyer un message : n’oublions pas nos racines. »

     

    Extrait de l'article publié dans le numéro 280 du magazine National Geographic.  S'abonner au magazine

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