Perspectives : la Terre de haut en bas
Un même sujet, deux perspectives opposées : le projet d'un astronaute de la Nasa et d'un photographe de National Geographic offre une vision inédite de notre monde.

Grand Canyon. Dans le cadre de leur projet, l’astronaute Don Pettit et le photographe Babak Tafreshi ont braqué leurs objectifs sur le désert du sud-ouest des États-Unis. Le premier a capturé les rubans de lumière formés par les éclairages intenses de Los Angeles. Dans le parc national du Grand Canyon, le second a quant à lui saisi (page précédente) la trajectoire de la Station spatiale internationale (ISS).
Retrouvez cet article dans le numéro 313 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine
Leur séance photo du Grand Canyon tout juste terminée, un peu plus tôt cette année, les deux amis photographes commencent déjà à discuter du prochain sujet qu’ils vont traiter. Impatient de pointer cette fois son objectif vers Madagascar, Don Pettit adresse à son ami Babak Tafreshi un SMS vantant la beauté de l’immense île de l’océan Indien. Ce dernier en convient volontiers : il imagine les fameux baobabs, avec leurs troncs épais et leurs branches filiformes, se découpant de manière fascinante sur un ciel sombre parsemé d’étoiles.
Babak Tafreshi embarque alors sur un vol de Boston à Paris, puis il enchaîne avec un autre long-courrier à destination d’Antananarivo, la capitale de Madagascar. Il doit ensuite passer une nuit sur place avant de gagner en voiture le domaine reculé où s’étire la fameuse « allée des baobabs », une piste bordée de dizaines de ces arbres vénérables.
L’entreprise s’avère bien plus simple pour Don Pettit : il lui suffit de flotter d’un compartiment à l’autre de la Station spatiale internationale (ISS) pour se rapprocher des hublots orientés vers notre planète. Au cours de sa mission de sept mois à bord de l’ISS, l’astronaute a travaillé avec Babak Tafreshi, photographe et Explorateur pour National Geographic, sur un projet original visant à photographier le même lieu ou le même phénomène de deux points de vue radicalement différents, l’un des deux se trouvant sur Terre et l’autre flottant au-dessus de lui, en orbite à 400 km. Ensemble, ils ont coordonné dix séances photo sur quatre continents avec, pour résultat, un album céleste aux images captivantes.
Les deux hommes se sont rencontrés en 2003, peu de temps après le premier séjour de Don Pettit sur la nouvelle ISS. Photographe amateur, scientifique de formation et astronaute à la Nasa depuis 1996, il avait pris avec lui ses appareils numériques. Il avait même récupéré du matériel à bord de la station pour fabriquer un support lui permettant de stabiliser son équipement et de capturer le ciel nocturne sans que la lumière des étoiles produise trop d’interférences. À l’époque, Babak Tafreshi travaillait pour le magazine iranien d’astronomie Nojum. Il s’était mis à la photographie plus jeune, s’intéressant particulièrement au ciel nocturne et aux merveilles qui apparaissent en l’absence de pollution lumineuse. Quand les photos de Don Pettit parvinrent sur Terre, Babak Tafreshi a envoyé un mail de félicitations à l’astronaute. C’est alors qu’ils ont commencé à s’écrire.
Des années plus tard, alors que leur correspondance se transformait en projet photographique, les deux hommes se dirent que, lorsqu’il s’agit de décrire visuellement la Terre, deux perspectives valaient mieux qu’une. Don Pettit estimait d’ailleurs de son devoir de partager la vue depuis son observatoire privilégié avec ses semblables sur Terre. Pendant toute la durée de leur entreprise, ils ont cherché à synchroniser leurs prises de vue, ce qui nécessitait à chaque fois une longue planification. Ils devaient tenir compte tant de la mécanique orbitale (avec l’ISS, Don Pettit faisait le tour du globe toutes les quatre-vingt-dix minutes) que de la trajectoire de la station spatiale.

Floride. Excités par la lumière du Soleil, les atomes et les molécules de la haute atmosphère terrestre forment un léger halo rouge, à très haute altitude au-dessus de la Floride (ci-dessus). Par une nuit étoilée, Babak Tafreshi a observé le lancement d’une fusée Falcon 9 de SpaceX, depuis le refuge faunique national de Merritt Island.
Quand ils ont commencé à réfléchir aux zones susceptibles de les intéresser, Babak Tafreshi débordait d’idées. « J’ai dit à Don : “Tu sais, l’Islande, c’est génial” », raconte-t-il. Mais l’ISS ne passe jamais au-dessus de l’Islande, lui a répondu son ami. D’autres considérations terrestres ont également influencé leurs choix : Don Pettit a proposé quelques sites qui lui semblaient photogéniques à des centaines de kilomètres d’altitude, mais ils jouxtaient les frontières de pays en conflit – l’Inde et le Pakistan, ainsi que les deux Corées. « Impossible de s’y rendre, pour des raisons de sécurité », souligne Babak Tafreshi. L’astronaute, quant à lui, devait s’organiser en tenant compte de ses obligations professionnelles. « À bord de la station, vous êtes très pris par votre travail quotidien », me confie ce dernier, qui a passé près de 600 jours dans l’espace au cours de quatre missions différentes. « Vous devez vous assurer qu’il y a un créneau dans votre emploi du temps pour pouvoir aller sous la coupole d’observation panoramique et y prendre des photos. »
Parfois, l’Univers leur a facilité la tâche. Comme cette fois où une comète, venue des confins du système solaire, a surgi, une semaine après l’arrivée de Don Pettit en orbite. Babak Tafreshi a observé l’objet lumineux de Porto Rico, mais son ami bénéficiait de « la meilleure vue », sans l’atmosphère brumeuse de la Terre. Peu de temps après, une puissante tempête solaire, accompagnée de son cortège d’aurores boréales, est survenue au-dessus de la maison de Babak Tafreshi, et les photographes ont immortalisé l’événement à quelques heures d’intervalle. Pour se
représenter ces halos verts fantasmagoriques, deux perspectives valent mieux qu’une. « Si vous observez la même ondulation en étant en orbite, vous vous direz peut-être qu’il s’agit en réalité d’un ovale », explique Don Pettit. C’est un peu comme s’ils avaient pris sous toutes ses facettes ce phénomène scintillant, révélant ainsi sa véritable nature.
