Natsuko Shoji, une cheffe à la conquête du monde

Il y a neuf ans, Natsuko Shoji s'est lancée dans une ambitieuse aventure en laquelle personne ou presque ne croyait. Le titre de « Meilleure cheffe femme d'Asie » est venu l'année dernière récompenser son parcours hors du commun.

De Rédaction National Geographic
La cheffe Natsuko Shoji, dans son restaurant Été, à Tokyo.

La cheffe Natsuko Shoji, dans son restaurant Été, à Tokyo.

PHOTOGRAPHIE DE thomas nicolon, National Geographic

Son restaurant est installé dans un beau quartier de Tokyo. Ici, pas d'enseigne voyante. Une simple écriture blanche se détachant sur un fond noir : Été. Le décor de ce restaurant singulier est sobre et épuré. Seuls quatre à six couverts sont dressés par service, pour une expérience gastronomique hors du commun.

Quelques rues plus haut se trouve l'autre partie d'Été, une pâtisserie où l'on vend des gâteaux mêlant gourmandise, art et haute-couture, qui ont fait le renom de la jeune cheffe Natsuko Shoji. Sa recette signature, un gâteau aux fleurs de mangue fraîche, témoigne à lui seul de la maîtrise et du soin apportés à chaque préparation.

La renommée de Natsuko Shoji est telle qu'elle est désormais connue dans le monde entier. Après le titre de « Meilleure cheffe pâtissière d'Asie 2020 », celui de « Meilleure cheffe femme d'Asie » est venu l'année dernière récompenser cette ambitieuse aventure commencée en 2014. 

Natsuko Shoji se prête au jeu du portrait, sous l'œil de notre photographe. Elle s'est rendue disponible malgré un emploi du temps chargé et de nombreuses sollicitations. 

Il y a neuf ans, à seulement vingt-trois ans, elle s'est lancée seule dans cette entreprise en laquelle personne ou presque ne croyait, après avoir travaillé dans le restaurant deux étoiles Florilège à Tokyo, dirigé par le chef Kawate Hiroyasu. Elle n'avait alors aucun apport financier et la mort de son père venait de plonger sa famille dans une situation précaire. Elle a contracté un prêt de 10 millions de yens (69 000 euros environ) pour ouvrir sa propre pâtisserie.

Malgré sa détermination, elle a mis du temps à convaincre et à recruter : la gastronomie est encore une histoire d'hommes pour beaucoup. Reconnue meilleure cheffe femme d'Asie, elle a désormais pour ambition de devenir la meilleure femme cheffe du monde, avant de faire tomber les distinctions de genres. 

 

En préparant cet entretien, j’ai découvert que le nom de votre restaurant, Été, était un trait d’union poétique avec votre prénom, qui signifie « Petite fille née en été ». Était-ce une façon pour vous de signer le début de votre aventure culinaire en solo ?

Oui, c’est tout à fait ça. « Natsu » signifie « été » en japonais. Je suis née en août, raison pour laquelle mes parents m’ont donné le prénom Natsuko. 

 

Le fait d’avoir été élue « Meilleure femme cheffe asiatique » a-t-il une valeur particulière pour vous, étant donné que vous évoluez dans un univers encore largement dominé par les hommes ?

J’espère sincèrement qu’à l’avenir, nous atteindrons une forme d’égalité des genres dans le monde de la gastronomie, et que le titre de « Meilleure femme cheffe » n’existera plus. Mais vous avez raison, pour le moment cet univers est encore largement dominé par des hommes, surtout lorsqu’on s’intéresse au ratio du nombre de femmes cheffes à la tête de leur propre restaurant. Donc pour le moment, je crois qu’il est encore nécessaire de récompenser la « meilleure femme cheffe » pour encourager les femmes à persévérer.

 

Oui en effet, même si l’on compte de plus en plus de femmes cheffes à travers le monde, être une femme dans le monde très masculin de la gastronomie reste un chemin difficile à emprunter. Peut-être plus particulièrement au Japon, où il existe peu de restaurants tenus par des femmes. Pensez-vous qu’il s’agit là d’une particularité culturelle ?

Oui.  Les stéréotypes ont la vie dure. Pour encore beaucoup [de Japonais] une femme ne peut être épanouie que si elle se marie et a des enfants. Et puis vous savez, obtenir un prêt au Japon quand on est une jeune femme cheffe reste très compliqué. Être sa propre patronne est une énorme responsabilité, et il est difficile de trouver le juste équilibre entre le travail et la vie personnelle. 

L'ambiance feutrée et sobre du restautant Été, à Tokyo, dirigé par la cheffe Natsuko Shijo, où seuls quatre à six couverts sont préparés par service.

PHOTOGRAPHIE DE Été restaurant

Une fois le prêt obtenu, a-t-il été compliqué pour vous de recruter une équipe d’hommes et de femmes prêts à vous suivre dans l’aventure Été ?

Quand j’ai ouvert Eté, il y a bientôt dix ans, c’était très compliqué de recruter, particulièrement des hommes. Je me suis tournée vers l’école où j’avais été formée pour m’adresser directement aux étudiants, en leur expliquant la vision que j’avais pour mon restaurant. Après un certain temps, ils m’ont comprise et c’est comme ça que j’ai constitué ma brigade.

 

Le Japon est le deuxième pays au monde (après la France, ndlr) comptant le plus de restaurants 3 étoiles, avec une cuisine aussi spectaculaire qu’audacieuse. Avant d’ouvrir votre propre restaurant, vous avez vous-même travaillé dans un restaurant tokyoïte 2 étoiles au guide Michelin, Florilège, avec le chef Kawate Hiroyasu. Quels souvenirs gardez-vous de cette expérience ?

C’était dur. Le restaurant avait pour ambition de devenir l’un des plus réputés au monde, et quand on y travaille, il faut vraiment avoir cette disposition d’esprit.

 

Est-ce une forme d’ambition dont vous vous êtes totalement détournée ? Pensez-vous possible d’être la cheffe d’un restaurant étoilé sans ressentir cette énorme pression ?

Je ne sais pas comment les inspecteurs Michelin sélectionnent les restaurants dont ils passent les portes, mais je garde l’espoir de cette forme de reconnaissance. Pour moi, il est impossible d’être à la tête d’un restaurant étoilé et de ne pas ressentir de pression. Mais vous savez, d’une certaine façon, tous les travails ont leur lot de responsabilités. Si les responsabilités qui vous obligent sont pour vous une forme de pression, alors vous ressentirez cette pression quoi qu’il arrive. En ce qui me concerne, j’ai les épaules pour assumer cette responsabilité et cette pression. Et puis si une étoile venait à briller au-dessus d’Été, un petit restaurant tenu par une femme cheffe, cela contribuerait à donner de l’espoir aux jeunes femmes voulant emprunter ce chemin.

La recette signature de Natsuko Shoji, le gâteau aux fleurs fraîches de mangue. 

PHOTOGRAPHIE DE Natsuko Shoji

Quand vous avez ouvert votre pâtisserie à Tokyo, vous vous êtes dédiée à des créations artistiques qui ont rapidement fait votre renommée. Pourquoi avoir pris la décision de faire de votre pâtisserie un restaurant de quatre, puis de six couverts ? Quelle expérience souhaitez-vous offrir à vos clients et clientes ?

J’avais d’abord l’idée d’ouvrir un restaurant, et pas une pâtisserie. Mais j’étais une jeune femme cheffe inconnue à l’époque, et le prêt qui m’était accordé ne me permettait pas d’engager du personnel. Je me suis alors mis en tête de créer une recette signature, mon gâteau aux fleurs de mangue fraîche. Le succès venant, j’ai décidé de garder la pâtisserie et d’ajouter quatre couverts dans une partie restaurant pour offrir une expérience de haute gastronomie sur mesure à nos clients. 

 

J’ai lu que vos clients pouvaient faire la demande de certains plats ou ingrédients à l’avance et que vous leur prépariez ensuite un menu sur mesure. Prenez-vous plaisir à revisiter des plats d’autres cultures dans votre propre style culinaire ? 

Oui, j’adore ça. La plupart de mes créations viennent de demandes de nos clients, qui sont souvent liées à un souvenir, ou à un désir de plat. 

 

Est-ce que cette offre exclusive vous a permis de trouver un équilibre vie professionnelle – vie personnelle plus satisfaisant ?

Pour être honnête, je ne pense jamais à cet équilibre-là. Mon but est d’ouvrir la voie pour les prochaines générations en devenant meilleure femme cheffe du monde, un modèle que les jeunes femmes cheffes et cuisinières pourront suivre. 

 

Savez-vous déjà comment atteindre ce but ?

Tout est question de stratégie. Même si vous n’avez pas d’apport financier conséquent, même si votre histoire familiale est complexe, si vous parvenez à créer votre « chef-d’œuvre » - dans mon cas, mon gâteau aux fleurs de mangue fraîche – et que vous avez une stratégie, le succès viendra.

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