Le cœur vert de Bornéo : une oasis de biodiversité unique au monde

À l'origine simple réserve forestière, Gunung Palung, en Indonésie, est aujourd'hui un immense parc national qui protège certaines des plus importantes forêts tropicales humides de la planète et la faune qu'elles abritent.

De Jennifer Holland, photographies par Tim Laman
Publication 23 févr. 2024, 11:48 CET
Une femelle orang-outan cherche des figues dans la canopée à Gunung Palung, à Bornéo, en Indonésie. Les 1080 km2 de ce parc ...

Une femelle orang-outan cherche des figues dans la canopée à Gunung Palung, à Bornéo, en Indonésie. Les 1080 km2 de ce parc national abritent environ 2 500 de ces singes en danger critique, ainsi que 2 500 essences d’arbres.

PHOTOGRAPHIE DE RUSSELL LAMAN, AVEC LE PILOTE DE DRONE TRI WAHYU SUSANTO

Retrouvez cet article dans le numéro 293 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine

Suspendue à une corde à une douzaine de mètres de hauteur, au milieu d’un labyrinthe de branchages feuillus, je regarde le sol en m’interrogeant : ai-je vraiment bien fait de demander aux deux hommes tout en bas de me hisser dans la canopée de cette forêt tropicale humide ? L’un d’eux, le photographe Tim Laman, a attaché une corde à une flèche et l’a lancée par-dessus une haute branche. Ensuite, avec son assistant, il a installé un système de poulies pour me soulever jusqu’à un endroit que peu d’êtres humains ont eu l’occasion de visiter. À chacune de leur traction, la corde crisse et la branche ploie dangereusement. 

But de la manœuvre : atteindre une fourche dans un Shorea de 45 m de haut, genre qui comprend certains des plus grands arbres de la planète et poste d’observation idéal sur l’une des dernières forêts tropicales humides de plaine encore intactes en Asie du Sud-Est. Situé juste sous l’équateur, le parc national de Gunung Palung est une aire protégée de 1080 km2 qui comprend les monts Palung et Panti, dans la partie indonésienne de Bornéo – l’île étant divisée entre l’Indonésie, la Malaisie et Brunei. Une première zone autour du mont Palung avait été classée réserve naturelle en 1937 ; au fil des années, ses limites ont été étendues et, en 1990, le gouvernement indonésien en a fait un parc national. 

Aujourd’hui, celui-ci comporte neuf types de forêts distincts qui s’étagent sur les versants abrupts des montagnes, depuis la mangrove et les forêts de tourbières jusqu’aux forêts de mousses de haute altitude. 

Maintenant que mes équipiers m’ont hissée aussi haut qu’ils le pouvaient, je dois me débrouiller toute seule pour le reste de l’ascension. Alors que je grimpe péniblement le long de la corde, je songe que mes efforts seront récompensés grâce à toutes les créatures qui m’attendent dans le monde vert au-dessus de ma tête. Toute la semaine, j’ai été bercée par les caquètements des semnopithèques rubiconds, les ululements des gibbons et les aboiements des macaques, ainsi que par les chœurs des oiseaux et des grenouilles – avec, en arrière-plan, les bourdonnements des insectes. J’espère en apercevoir certains depuis un perchoir à leur hauteur.

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    Les semnopithèques rubiconds, comme cette femelle et son petit, mangent des figues toute l’année, et d’autres fruits au fil de leur mûrissement. Ces primates se sont bien adaptés aux forêts secondaires qui ont comblé le vide dû à l’abattage des vieux arbres.

    PHOTOGRAPHIE DE Tim Lamán

    À dire vrai, je suis surtout impatiente de rencontrer les plus grandes stars de l’île: les orangs-outans. Ces primates au pelage orange flamboyant sont les seuls grands singes originaires d’Asie, et l’orang-outan de Bornéo, Pongo pygmaeus, représente depuis longtemps l’âme de Gunung Palung. Il joue aussi un rôle crucial dans la santé de ses forêts. Quelque 2 500 individus en parcourent les cimes – un nombre rassurant pour une espèce en danger critique.

    À environ 30 m de hauteur, je suis bien au-dessous du sommet de la canopée, mais suffisamment haut pour distinguer la courbe d’une montagne nimbée de brouillard surplombant le parc et sa forêt dense. Au prix de quelques balancements, je réussis enfin à atteindre une fourche et m’y installe pour admirer la vue et, avec un peu de chance, apercevoir quelque créature à poils ou à plumes. Le temps passe, mais aucune ne se montre.

    Gunung Palung se trouve dans le sud-ouest marécageux de Bornéo, dans la province indonésienne du Kalimantan occidental. Pour les scientifiques, l’éloignement du parc et les restrictions imposées au tourisme sont des atouts : Gunung Palung est une véritable capsule temporelle de ce que fut l’île durant des millénaires. En explorant directement ce monde primordial, j’espérais comprendre la façon dont la vie continue d’y prospérer. Certains des indices les plus importants se trouvaient juste devant moi, mais ils m’avaient échappé. 

    La forêt tropicale de Bornéo évolue depuis des millions d’années, processus qui a donné naissance à une flore unique et abondante: il suffit de penser à ses orchidées, qui comptent plus d’un millier d’espèces, ou à ses dizaines de sarracénies carnivores, ou encore à ses 3000 espèces d’arbres, tel l’imposant méranti jaune dont certains spécimens peuvent s’élever aussi haut que la flèche de Notre-Dame de Paris.

    Rarement observée, peu étudiée et considérée comme en danger critique, une panthère nébuleuse de Bornéo déclenche un piège photographique près de la station de recherche de Cabang Panti. Grâce à leurs larges pattes, à leurs membres postérieurs souples et à leur longue queue, ces félins peuvent grimper aux arbres, descendre tête la première et se suspendre aux branches tout en agrippant leurs proies.

    PHOTOGRAPHIE DE Tim Lamán

    Au cœur de cette forêt vivent des panthères nébuleuses, des éléphants pygmées de Bornéo, des renards volants, des grenouilles volantes, des lémurs volants, des serpents volants, près de 700 espèces d’oiseaux, une centaine d’espèces de chauves-souris et plus d’un millier de fourmis. Sans oublier les innombrables autres insectes, reptiles, amphibiens, araignées, champignons et micro-organismes. 

    L’un des premiers botanistes à avoir éveillé l’imagination du monde occidental sur ces merveilles est un Italien, Odoardo Beccari, qui visita l’île en 1865. Tout juste sorti de l’université, il débarqua à Bornéo à l’âge de 21 ans. Le récit qu’il a laissé de ses voyages est rempli de descriptions d’une flore et d’organismes d’un autre monde. Il a pu admirer une rafflésie, imposante fleur au diamètre supérieur à 50 cm dont émane une odeur de cadavre en décomposition, ainsi qu’un champignon phosphorescent qui émettait suffisamment de lumière la nuit pour lui permettre de lire un journal. 

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