Pourquoi cette tribu isolée s'est emparée des réseaux sociaux

Les peuples indigènes d’Amazonie utilisent les nouvelles technologies pour défendre leurs terres et leur mode de vie : « nous voulons que le monde nous voie et nous vienne en aide. »

De Rachel Hartigan
Publication 11 déc. 2023, 15:47 CET
Javari Valley-women-cutting-manioc

Dans la vallée de Javari, l'une des régions les plus isolées de l'Amazonie brésilienne, les femmes kanamari récoltent le manioc, tubercule qui constitue la base de leur alimentation. Les Kanamari vivent essentiellement de la terre, mais tout comme la forêt qui les nourrit, ils sont menacés par des étrangers désireux d'exploiter les ressources naturelles amazoniennes.

PHOTOGRAPHIE DE Lynsey Addario

Le rio Javari, qui s’enfonce dans la forêt amazonienne, constitue une frontière entre le Brésil et le Pérou. Le long du cour d’eau, on trouve comme seuls signes de vie humaine les bateaux et les quais occasionnels du côté péruvien. Sur la rive brésilienne, le gouvernement a installé des panneaux indiquant qu’il s’agit des territoires indigènes de la vallée de Javari, une réserve qui abrite la plus forte concentration de peuples indigènes isolés au monde. Ceux qui ne font pas partie de la communauté n'ont pas le droit d'y pénétrer, mais beaucoup ne résistent pas à l'attrait de l'abondance des minéraux, du bois et de la faune. 

Le gouvernement brésilien a pris contact avec les Kanamari pour la première fois en 1972, mais la tribu a probablement fait face à des exploitants d'hévéas bien plus tôt. Bien que des décennies de contact aient affecté de nombreux aspects de leur vie, les habitants du village de São Luís continuent de faire la plupart de leurs activités en groupe, de la pêche à la baignade dans un étang situé sur un affluent de la rivière Javari. Les villageois sont curieux de connaître leurs voisins plus isolés, notamment une tribu vivant à 15 kilomètres d’eux, dans la forêt. Les groupes de chasseurs repèrent parfois des signes de leur présence, mais n'essaient pas d’entrer en contact avec eux. Néanmoins, plusieurs Kanamari ont exprimé l’envie d’observer le mode de vie de leurs voisins par drone.

PHOTOGRAPHIE DE Lynsey Addario

Environ 6 000 personnes vivent dans la réserve, zone de forêt presque vierge dont la superficie est à peu près équivalente à celle du Portugal. Ce chiffre ne tient cependant compte que des membres des sept tribus en contact avec le monde extérieur. Je suis allé voir comment ces personnes, qui vivent sur une frontière assiégée, s'en sortent alors que l'exploitation forestière, la pêche et l'exploitation minière illégales grignotent leur terre ancestrale.

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    Des jeunes s’affrontent dans un match de ce qui pourrait s’apparenter à du rugby, mêlé à de la danse et des chants. Une sorte d’ananas fait office de balle et le jeu se termine souvent par un combat de lutte.

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    Teresa Kanamari, la femme du Chef Mauro Kanamari pare son petit-fils Permelo d’une coiffe et de peinture. 

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    Le village de São Luís se trouve à environ 300 kilomètres de la ville d'Atalaia do Norte, en amont de la rivière Javari. Il abrite environ 200 Kanamari, qui m'ont accordé, ainsi qu'à une équipe de tournage, l'autorisation de le visiter. Pendant huit jours, nous vivons dans leur campement ordonné de maisons sur pilotis en bois. Nous nous levons lorsque le chef Mauro Kanamari, dont le nom de famille est issu du nom de la tribu, souffle dans une corne et nous accompagnons les femmes dans la récolte du manioc et les hommes à la chasse et à la pêche.

    Nous sommes chaque jour témoins de personnes qui, inquiètes des incursions violentes dans leur forêt, trouvent de plus en plus de nouveaux moyens de défendre leur terre et leur mode de vie.

    Les jeunes de São Luís sont éduqués de façon traditionnelle, bien que certains, comme João Kanamari, soient envoyés dans la ville d'Atalaia do Norte, à neuf heures de bateau, pour y recevoir un enseignement complémentaire. João utilise son téléphone portable pour documenter le travail des patrouilles de lutte contre le braconnage et l'exploitation forestière du village, ainsi que pour communiquer avec d'autres communautés indigènes et partager des photos sur les réseaux sociaux.

    PHOTOGRAPHIE DE Lynsey Addario

    « Avant, peu d’envahisseurs illégaux, de pêcheurs et de bûcherons prenaient du bois sur nos terres, » raconte le chef Mauro. « Ils sont désormais de plus en plus chaque jour. »

    Pour les Kanamari, la forêt est comme un parent qui leur fournit tout. L'exploitation forestière et l'extraction d'autres ressources naturelles menacent la santé de ce parent et leurs propres moyens de subsistance. S’opposer à ces activités est néanmoins risqué. En 2022, Bruno Pereira, défenseur brésilien des indigènes, et Dom Phillips, journaliste britannique, ont été sauvagement assassinés sur une autre rivière de la région, apparemment sur ordre du chef d'un réseau de pêche criminel. « J'ai personnellement reçu de nombreuses menaces, » déclare le chef Mauro.

    Pourtant, les Kanamari refusent de se laisser envahir. Ils ont uni leurs forces à celles de la FUNAI, la Fondation nationale des (peuples) indigènes, et de l'UNIVAJA, une union des peuples indigènes de la vallée du Javari, pour organiser des patrouilles de surveillance et repousser les bûcherons qui enfreignent la loi. La FUNAI fournit des radios et du carburant pour un bateau motorisé, mais les armes des Kanamari, arcs, flèches et fusils de petit calibre, ne font pas le poids face aux intrus. Par défaut, leur philosophie est de ne pas entrer en conflit mais de rapporter ce qu'ils trouvent.

    Des enfants kanamari surveillent de petits feux. Les villageois utilisent des méthodes traditionnelles de culture sur brûlis pour défricher les terres et assécher la végétation, ainsi que pour rajeunir le sol. Il est prouvé que les populations indigènes cultivent l'Amazonie depuis plus de 10 000 ans.

    PHOTOGRAPHIE DE Lynsey Addario

    Cette barge de bois braconné en provenance de l'Amazonie flottait ouvertement sur le fleuve Javari près de São Luís, probablement à destination d'une scierie. Habituellement, de telles barges voguent de nuit, mais Addario et son équipe en ont vu trois sur le fleuve en plein jour.

    PHOTOGRAPHIE DE Lynsey Addario

    « Avant, on leur reprenait ce bois, mais depuis qu’ils sont plus nombreux, on a pris peur, » explique le chef Mauro. « Se rendre en ville, c’est se faire repérer et parfois être assassiné. »

    João Kanamari, neveu de vingt ans du chef Mauro, emmène son téléphone en patrouille pour récolter des informations qu’il partage sur les réseaux sociaux. À la fin de son adolescence, il a été envoyé à Atalaia do Norte pour apprendre le portugais et servir d'interlocuteur entre son peuple et le reste du monde.

    Afin de récolter les baies d'açaï, élément nutritif du régime alimentaire de la tribu, Romario Kanamari, au premier plan, a escaladé un palmier avec une machette dans la bouche. L’arbre est resté pratiquement intact.

    PHOTOGRAPHIE DE Lynsey Addario

    Un ouvrier coupe du bois dans une scierie d’Altamira, dans l’État de Pará, au nord du Brésil.

    PHOTOGRAPHIE DE Lynsey Addario

    « Nous voulons que le monde nous voie et nous vienne en aide, » dit João. « Si on patrouille ici, sur ces eaux dangereuses, ce n’est pas seulement pour nous mais aussi pour vous. L’Amazonie est notre gouvernement, notre père et notre mère. On ne peut pas survivre dans elle et, d’après ce que nous avons tous compris, vous non plus. »

    Teresa sert de la nourriture à sa famille. Les Kanamari cuisinent dans des casseroles en métal et utilisent des lampes frontales lorsque la lumière baisse car il n'y a pas d'électricité à São Luís. De nombreuses coutumes n'ont presque jamais changé. Les Kanamari se sont adaptés en alliant méthodes anciennes et outils modernes.

    PHOTOGRAPHIE DE Lynsey Addario

    « Je ne couvre pas les conflits simplement pour les couvrir. Je le fais parce que l'histoire de ce conflit doit être racontée », explique la photographe Lynsey Addario. Lauréate du prix Pulitzer, elle a raconté ces histoires à travers son appareil photo, de l'Afghanistan à l'Irak. Autrice du best-seller Tel est mon métier, Addario est devenue exploratrice National Geographic en 2020 et a reçu le prix Eliza Scidmore de la National Geographic Society pour ses reportages exceptionnels en 2022.

    National Geographic Society, société à but non lucratif qui œuvre à la conservation des ressources naturelles, a contribué au financement de cet article.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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