Brésil : enquête sur le business du steak

En 2012, le Brésil a devancé les États-Unis, devenant le premier exportateur de viande bovine au monde. L’exploratrice National Geographic Carolina Arantes a enquêté sur les dessous de ce juteux business.

De Manon Meyer-Hilfiger, National Geographic
Photographies de Carolina Arantes
Publication 30 juil. 2023, 09:54 CEST
Parc d'engraissement de bovins. Cette manière de confiner les bêtes s'est développé dans le pays, comme ...

Parc d'engraissement de bovins. Cette manière de confiner les bêtes s'est développé dans le pays, comme une alternative à la méthode traditionnelle d'élevage des animaux sur les terres arables. Elle devrait continuer de gagner en popularité, puisque l'industrie agro-alimentaire a l'intention de doubler le nombre de vaches élevées pour la viande, aujorud'hui au nombre de 220 millions. Pontes e Lacerda, Mato Grosso, Brésil, 2015

PHOTOGRAPHIE DE Carolina Arantes

Un steak sur cinq dans le monde vient du Brésil. Une fois cette information donnée, difficile d’imaginer les mécanismes titanesques à l’oeuvre derrière cette statistique. Le Brésil, pour parvenir au sommet de ce marché mondial, s’est donné les moyens de ses ambitions. Peu importe les conséquences. Déforestation massive, croisement méticuleux des individus, clonage…

À la clé, des bœufs « stars » qui peuvent valoir jusqu’à un million de dollars, et un marché qui se chiffre en milliards. L'exploratrice National Geograpic Carolina Arantes est parvenue à s’introduire dans ce milieu très fermé, au cours d'une enquête qui a duré huit ans.

L’Exploratrice National Geographic et photographe Carolina Arantes a enquêté pendant près de huit ans sur la viande bovine brésilienne destinée à l'export. 

PHOTOGRAPHIE DE Carolina Arantes

Pourquoi vous être intéressée à ce sujet ?

Je suis Brésilienne, et j’ai grandi dans une petite ville où le zébu [une espèce de bovin, ndlr] occupe une place essentielle. La plupart des habitants vivent de ce business, et se baladent en ville coiffés de chapeaux de cow-boy. L’une des radios locales s’appelle même « radio zebu ». En 2013, j’ai commencé à m’intéresser au sujet. J’ai découvert un empire qui dépassait largement ce que j’imaginais. Je voulais comprendre qui décidait de la qualité de la viande mangée dans le monde, et selon quels critères.

 

Quelles sont les qualités recherchées pour le bœuf destiné à l’export ?

Les agriculteurs, main dans la main avec les scientifiques, travaillent à la création de bétail toujours plus gras, plus fort et qui arrive plus rapidement à maturité, pour envoyer les bêtes le plus vite possible à l’abattoir. Ces acteurs de l’élevage intègrent également le changement climatique dans leurs considérations. Aujourd’hui, ils sélectionnent des animaux capables de supporter les tempêtes, ou les périodes de sécheresses.

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    Un employé du laboratoire international de génétique bovine (ABS PecPlan) collecte de la semence. Le matériel génétique est un élément central de l'industrie de la viande et constitue en soi un commerce majeur. Uberaba, Brésil, 2015

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    Comment arrivent-ils à « créer » de tels animaux ?

    Grâce à une sélection génétique méticuleuse ! Les croisements se font donc dans l’idée d’atteindre l’individu le plus rentable, à la viande appréciée de la clientèle internationale. Les entreprises américaines dominent le marché de la génétique bovine brésilienne. Les gènes des meilleurs animaux sont soigneusement stockés. Le sperme des taureaux stars s’arrache à prix d’or (5000 dollars pour une dose de 0,55ml). Il est utilisé pour féconder des milliers de vaches par insémination artificielle. Jabriel, un bœuf quasiment parfait selon les standards de l’industrie, estimé à un million de dollars, est le père de 600 000 veaux. Les bœufs deviennent de véritables banques génétiques, et certains de ces animaux prisés sont clonés. Un phénomène souvent passé sous silence. Les bovins brésiliens consommés à l’international peuvent être issus d’un parent cloné, et pourtant, rien n’oblige à le signaler.

     

    En quoi cette entreprise est-elle titanesque ?

    Le Brésil compte près de 220 millions de bovins. C’est plus que le nombre d’habitants du pays. Et les éleveurs ne comptent pas s’arrêter là : ils négocient avec le gouvernement pour doubler ce chiffre et passer à 400 millions d’animaux dans les prochaines années. 30 % des animaux en moyenne sont destinés à l’export. Il faut imaginer ce que cela implique en termes d’espace !

    Un mur avec les photos en taille réelle des principaux présidents de l'Association brésilienne des éleveurs de zébus (ABCZ). Environ 60 % des députés fédéraux à Brasilia défendent l'agro-business. De quoi prendre d'importantes décisions en matière de commerce et de législation environnementale. Association brésilienne des éleveurs de zébus, Uberaba, Brésil, 2014

    PHOTOGRAPHIE DE Carolina Arantes

    Vous dites qu’accéder à ce milieu a été difficile. Pourquoi ?

    D’une part, c’est un milieu très macho. J’ai pu y avoir accès parce que j’ai passé beaucoup de temps sur ce sujet, que je me suis déplacée jusqu’aux confins du pays pour rencontrer les éleveurs... J’ai aussi reçu quelques menaces ou intimidations, des gens qui me disaient suivre mon travail de près. Tout cela reflète bien la réalité de cet univers masculin qui préfère rester à l’abri des regards. D’ailleurs, les Brésiliens eux-mêmes ne savent que très peu de chose sur ces éleveurs. 

    Ces derniers se sentent de plus en plus pointés du doigt, avec les critiques sur l’empreinte carbone de la viande bovine et la déforestation. Pourtant, ils se vivent encore comme des pionniers, qui peuvent compter sur de puissants relais politiques. 60 % des députés brésiliens défendent l’agro-business. D’immenses profits sont en jeu. En 2016, le marché brésilien de la viande a rapporté 5,5 milliards de dollars. Et ça ne devrait pas s’arrêter de grimper.

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