Maladie rénale chronique : la rémission à portée de main ?
Selon certains spécialistes, nous vivons un âge d’or du traitement des néphropathies chroniques. Les dialyses et les greffes d’organes appartiendront-elles bientôt au passé ?

Un rein humain sain, comme celui montré ici, filtre les déchets du sang. En cas d’insuffisance, les recours étaient il y a peu encore très limités. Mais une vague de traitements contre la maladie rénale chronique s’avèrent capable de préserver la fonction rénale et, dans certains cas, de l’améliorer.
Nicolas Palacios a appris la mauvaise nouvelle le jour du premier anniversaire de sa fille en juillet 2020. L’homme, alors âgé de 28 ans, venait de perdre son emploi quelques semaines auparavant et éprouvait une fatigue intense qui, ainsi que son médecin le lui avait appris par téléphone, était en fait le symptôme d’une maladie rénale de stade 4. Nicolas Palacios était au bord de l’insuffisance rénale. « C’était le pire jour de ma vie », se souvient-il.
Se retrouver au bord de l’insuffisance rénale signifie faire face à deux perspectives : passer le restant de ses jours sous dialyse ou recevoir une greffe, option qui implique de passer plusieurs années sur liste d’attente. Pendant ce temps, le risque de mourir de crise cardiaque ou d’un AVC demeure extrêmement élevé.
Nicolas Palacios a fini par recevoir un traitement qui a stoppé la dégradation rapide de sa néphropathie et l’a ramené tant bien que mal au bord de l’insuffisance rénale. Mais il allait avoir besoin d’un miracle s’il voulait éviter la dialyse ou la greffe.
Ce miracle est arrivé et a pris la forme d’un essai clinique qui s’est penché sur les effets du tirzépatide, un agoniste des récepteurs du GLP-1 vendu sous le nom de Mounjaro, sur la maladie rénale chronique.
Lors de l’essai, Nicolas Palacius a vu sa santé et sa qualité de vie changer radicalement. Sa fonction rénale a commencé à s’améliorer de manière spectaculaire, si bien qu’il a désormais régressé au stade 3 de la maladie rénale, ce qui signifie que si celle-ci est bien prise en charge, il pourra vivre une vie longue et en bonne santé sans jamais avoir besoin de dialyses ou de greffe.
« Dire que cela a changé ma vie est un euphémisme, confie Nicolas Palacios. Cela me l’a rendue. » Il est passé de l’angoisse de ne pas vivre assez longtemps pour voir sa fille grandir à l’élaboration de projets pour un avenir dont il fera partie.
Ce qu’a vécu Nicolas Palacios n’a rien d’un cas isolé. Ces dix dernières années, on a vu déferler de nouveaux traitements pour lutter contre diverses formes de néphropathies démontrant une capacité remarquable à préserver la fonction rénale et, dans certains cas, à annuler les dégâts subis. Parmi ces traitements figurent deux classes de médicaments à l’origine conçus pour traiter le diabète de type 2, mais également plusieurs autres médicaments pouvant traiter des formes moins communes de néphropathies. « En quarante années de pratique de la néphrologie, je n’ai jamais vu un patient [s’améliorer comme Nicolas Palacios] », s’étonne Katherine Tuttle, chercheuse à l’Université de Washington. « Et ce n’est pas le seul. »
Lors de la réunion annuelle de la Société américaine de néphrologie, en novembre, Katherine Tuttle a présenté des données préliminaires prometteuses montrant que les patients traités par sémaglutide, un autre agoniste des récepteurs du GLP-1 vendu sous le nom d’Ozempic, voyaient leurs atteintes rénales se stabiliser et, dans certains cas, s’améliorer, comme dans le cas de Nicolas Palacios. Cela incluait des améliorations concernant l’inflammation et le tissu cicatriciel au sein du rein ainsi que des améliorations de la fonction rénale globale.
Ces résultats, et de nombreuses autres avancées, ont inauguré un âge d’or de la recherche scientifique en ce qui concerne la maladie rénale chronique, dont souffrent 700 millions de personnes environ dans le monde.
« Nous pouvons commencer, pour la première fois, à réellement envisager un traitement pour la maladie rénale », affirme Vlado Perkovic, chercheur à l’Université de Nouvelle-Galles du Sud, à Sydney, en Australie. « Pour la première fois, il existe une voie potentiellement visible et réaliste pour passer de la rémission à la guérison. »
DES OPTIONS HISTORIQUEMENT LIMITÉES
Il y a peu encore, les options de traitement de la maladie rénale chronique étaient limitées : la dialyse ou la greffe de rein constituaient l’essentiel du traitement. Jullie Hogan, à qui l’on a diagnostiqué une polykystose rénale en 1998, s’est entendu dire par son médecin de « revenir dans vingt ans quand [ses reins lâcheraient] ».
Bien que la dialyse puisse maintenir un patient en vie, c’est une solution chère et chronophage ; nombreux sont les malades qui doivent subir des traitements de plusieurs heures plusieurs fois par semaine. C’est aussi un traitement éprouvant pour l’organisme, car il provoque de nombreux effets secondaires (fatigue, crampes, nausées, troubles du sommeil, déséquilibres électrolytiques et risques d’infection). Seuls 35 % des patients débutant une dialyse sont encore en vie après cinq ans.
« Les personnes ayant une insuffisance rénale vivent quatre fois moins longtemps environ que celles dont la fonction rénale est normale et voient leur qualité de vie être spectaculairement réduite, explique Vlado Perkovic. Elles sont fatiguées, essoufflées et n’arrivent pas à penser clairement. »
L’autre option, jusqu’ici, était la greffe de rein, pour laquelle les délais sur liste d’attente sont longs, et qui nécessite la prise de médicaments immunosuppresseurs afin d’empêcher le corps de rejeter l’organe greffé. En outre, il ne s’agit pas d’une solution de long terme, car un rein greffé ne dure que douze à vingt ans en moyenne.
UNE VAGUE DE NOUVEAUX TRAITEMENTS POUR LA MALADIE RÉNALE CHRONIQUE
Ces dernières années, on a vu déferler une vague de nouveaux traitements pour lutter contre diverses formes de néphropathies chroniques. Cela a commencé en 2019, avec des essais montrant qu’une classe de médicaments contre le diabète, les inhibiteurs de SGLT2, était bénéfique pour les patients atteints de maladie rénale chronique diabétique, la forme la plus fréquente de maladie rénale chronique, qui touche 59 % des personnes souffrant d’insuffisance rénale.
Les inhibiteurs de SGLT2 empêchent les reins de réabsorber le glucose, ce qui peut faire baisser la glycémie. On ignore encore exactement pourquoi ils protègent autant les reins, mais selon Raphael Kramann, chercheur à l’École supérieure polytechnique de Rhénanie-Westphalie, c’est probablement dû au fait que les cellules épithéliales des tubes proximaux du rein utilisent beaucoup d’énergie pour réabsorber le glucose. « Si on les empêche d’utiliser cette énergie pour la réabsorption du glucose, ils ont probablement plus d’énergie pour réagir aux lésions et ils peuvent mieux s’adapter. »
Une chose est très claire toutefois, les inhibiteurs de SGLT2 ont un effet puissant sur la protection des reins ; on a interrompu de nombreux essais prématurément en raison de leur efficacité et de leur capacité à prévenir les insuffisances rénales et les décès dus à des crises cardiaques et à des AVC. Il a également été prouvé que les inhibiteurs de SGLT2 pouvaient être tout aussi bénéfiques chez les patients souffrant de maladie rénale chronique non diabétique.
Des chercheurs ont depuis observé le même phénomène avec la plus récente classe de médicaments contre le diabète, les agonistes des récepteurs du GLP-1, comme l’Ozempic.
En 2024, un essai clinique de phase 3 a montré que la sémaglutide était particulièrement efficace pour prévenir l’insuffisance rénale terminale et les décès liés aux maladies cardiovasculaires chez les patients atteints de maladie rénale chronique diabétique. Cet essai a été interrompu prématurément en raison de l’efficacité du traitement ; le taux d’insuffisance rénale et de décès était tellement plus faible dans le groupe à qui l’on administrait de la sémaglutide que l’on a considéré qu’il n’était plus éthique de continuer à donner des placebos aux patients.
REMODEL, l’essai randomisé, contrôlé par placebo et en double aveugle avec groupes parallèles mené actuellement par Katherin Tuttle, développe ces résultats et a pour but de comprendre ce qui exactement dans la sémaglutide améliore la fonction rénale. Ces résultats « s’expliquent par des changements profonds dans la fonction, ainsi que dans la structure, à un niveau moléculaire », révèle-t-elle. « Elle reprogramme le fonctionnement de ces organes. »
L’Ozempic a depuis été approuvé aux États-Unis pour la maladie rénale chronique diabétique, mais des essais cherchent encore à savoir si cet agoniste des récepteurs du GLP-1 et d’autres seront bénéfiques pour la maladie rénale chronique non diabétique. Les données préliminaires laissent penser que cela sera bel et bien le cas. Nicolas Palacios a par exemple constaté des bienfaits majeurs avec le tirzépatide, en dépit du fait qu’il ait une maladie rénale chronique non diabétique.
En plus des inhibiteurs du SGLT2 et des agonistes des récepteurs du GLP-1, il existe des classes de médicaments supplémentaires approuvées pour la maladie rénale chronique diabétique. Ces médicaments ont des mécanismes d’action différents, ce qui signifie que l’on peut tirer des bénéfices supplémentaires en les combinant. Des études suggèrent d’ailleurs que le fait de combiner les quatre médicaments approuvés (aux États-Unis) pour la maladie rénale diabétique peut réduire le risque d’insuffisance rénale jusqu’à 58 %.
« La question est : “Comment les utiliser pour un patient individuel ?” », se demande Prabir Roy-Chaudhury, néphrologue à la Faculté de médecine de l’Université de Caroline du Nord, à Chapel Hill. « Voilà le défi. »
INNOVATIONS FUTURES… ET REMÈDE POTENTIEL ?
Il n’existe pour le moment pas autant d’options pour traiter la maladie rénale chronique non diabétique, mais cela est en train d’évoluer rapidement et il y a des raisons de croire que la décennie qui vient sera une nouvelle décennie d’innovation pour ce qui est des traitements rénaux.
Cela comprend davantage de traitements pour la néphropathie à IgA, une maladie auto-immune qui entraîne souvent une insuffisance rénale. Ces dernières années, trois nouveaux traitements ont été approuvés aux États-Unis, dont certains permettent de faire entrer efficacement les patients en rémission. Ceux-ci ciblent de manière sélective le type de cellule à l’origine des dégâts, ce qui a pour effet de stopper net la progression de la maladie.
« Nous traitons en fait la cause de la maladie plutôt que seulement ses conséquences », souligne Vlado Perkovic.
À l’origine de ces innovations se trouvent notamment une nouvelle stratégie qui a rendu les essais cliniques sur la maladie rénale plus rentables. « Les essais sur les reins sont super coûteux, déplore Raphael Kramann. Vous avez besoin de beaucoup de patients et de beaucoup de temps pour détecter réellement des différences. »
Pour ce qui est de la néphropathie à IgA, les chercheurs ont échafaudé une nouvelle stratégie, plus rapide et plus précise, pour mesurer le déclin de la fonction rénale. Cela a permis de réaliser les essais cliniques plus efficacement, en l’espace de quelques années, alors qu’ils pouvaient durer des décennies auparavant et coûter des centaines de millions de dollars.
Conséquence, des centaines d’essais cliniques ciblant différents types de néphropathies sont en cours, dont soixante-dix se focalisent sur la néphropathie à IgA uniquement. Le monde de la néphrologie en est donc rendu à un point où chercheurs et cliniciens peuvent raisonnablement envisager de faire entrer leurs patients en rémission sur le long terme et, peut-être, un jour, les guérir pour de bon.
Le traitement à base de tirzépatide qu’a suivi Nicolas Palacios a modifié la trajectoire de sa maladie, il lui a rendu sa vie et lui a permis de s’occuper de sa famille. Il le suit encore à ce jour, bien qu’il doive le payer de sa poche, car ce médicament n’est pas encore approuvé pour le traitement de la maladie rénale chronique.
Malgré cet obstacle, il voit le tirzépatide comme un médicament salvateur et transformateur. « Il ne s’agit plus de retarder l’aggravation de son état, mais de savoir combien notre état va s’améliorer », conclut-il.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.