De plus en plus de Français se détournent de la cigarette

On n’a jamais aussi peu fumé en France qu’aujourd’hui ! Selon une étude de Santé publique France, le pays compte quatre millions de fumeurs quotidiens de moins qu’il y a dix ans.

De Romane Rubion
Publication 12 nov. 2025, 10:42 CET
Selon le dernier baromètre de Santé publique France, la part de fumeurs quotidiens parmi les 18-75 ...

Selon le dernier baromètre de Santé publique France, la part de fumeurs quotidiens parmi les 18-75 ans est passée de 28,6 % en 2014 à 18,2 % en 2024.

PHOTOGRAPHIE DE Kenishirotie, Alamy Banque d'images

Fumer dans un train, un cinéma ou un supermarché ? Cela paraît impensable aujourd’hui et pourtant c’était autrefois très courant. Symbole de liberté, d’élégance ou de virilité, la cigarette incarnait un certain art de vivre à la française, au même titre que l’alcool. Des cafés enfumés d’après-guerre aux campagnes publicitaires des années 1990, « la clope », « la blonde » ou encore « la garo » étaient omniprésentes. Au début des années 1950, plus de sept hommes sur dix fumaient régulièrement, contre une femme sur dix.

La lutte contre le tabagisme s’est engagée progressivement à partir des années 1970, avec la loi Veil de 1976, première à restreindre la publicité pour le tabac et à imposer un avertissement sanitaire sur les paquets de cigarettes. La loi Évin de 1991, puis l’interdiction de fumer dans les lieux publics en 2007, ont été des tournants majeurs. Depuis le milieu des années 2010, le renforcement des politiques publiques, la hausse du prix du tabac et les campagnes de prévention ont fait reculer la consommation.

Selon le dernier baromètre de Santé publique France, la part de fumeurs quotidiens parmi les 18-75 ans est passée de 28,6 % en 2014 à 18,2 % en 2024, malgré une interruption pendant la période du Covid-19. Une bonne nouvelle, alors que le tabac, responsable de 75 000 décès par an, reste la première cause de mortalité évitable en France.

 

UNE BAISSE HISTORIQUE MARQUÉE PAR DES DISPARITÉS

Selon Anne Pasquereau, chargée d’études et de recherche à l’unité Addictions de Santé publique France, la forte baisse du tabagisme observée depuis 2016 s’explique par la mise en œuvre de trois plans nationaux de réduction du tabagisme lancés en 2014, 2018 et 2023. Ces plans s’articulent autour de trois axes : aider les fumeurs à arrêter, dissuader les jeunes de commencer et dénormaliser le tabac dans la société.

Parmi les mesures les plus marquantes figure un meilleur accès aux traitements de substitution nicotinique. « En 2016, davantage de professionnels de santé ont pu les prescrire. Depuis 2019, ils sont remboursés comme n’importe quel médicament sur ordonnance », souligne la chercheuse. L’instauration du paquet neutre, obligatoire depuis 2017, a également eu un effet notable. « C’est une mesure qui a un fort impact sur les jeunes, les plus sensibles au marketing », précise-t-elle. Mais la hausse des prix reste la mesure la plus efficace. « Entre 2018 et 2020, le prix du paquet est passé de 7 à 10 euros. En 2023, une nouvelle augmentation [l’a porté] à 12,50 euros en moyenne ».

Les campagnes de prévention ont aussi joué un rôle important, notamment avec la création du Mois sans tabac en 2016, reconduit chaque mois de novembre. « L’objectif est d’inciter les fumeurs à arrêter pendant un mois. Depuis 2016, plus de deux millions de tentatives d’arrêt ont été recensées », souligne Anne Pasquereau. Elle rappelle que « des études [...] montrent qu’arrêter pendant trente jours multiplie par cinq les chances d’un sevrage durable. Et un mois, c’est une durée acceptable pour beaucoup de fumeurs ».

Enfin, la dénormalisation du tabac s’est renforcée avec l’extension des espaces sans tabac. « Depuis juillet 2025, il est interdit de fumer sur les plages, aux abords des écoles et dans les parcs », rappelle-t-elle.

Arrêter de fumer améliore la santé de nombreux organes du corps, mais il faut être patient. ...

Arrêter de fumer améliore la santé de nombreux organes du corps, mais il faut être patient. Après l'arrêt du tabac, les bienfaits se font en effet sentir progressivement

PHOTOGRAPHIE DE icefront, Getty Images

Cette diminution touche aussi les jeunes adultes. Longtemps plus consommateurs que la moyenne nationale, les 18-29 ans ont depuis 2021 nettement réduit leur usage du tabac. Leur taux de tabagisme est passé de 29 % à 18 % en seulement trois ans. Selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives, seuls 3,1 % des adolescents de 16 ans fumaient chaque jour en 2024, contre 16 % en 2015. Cette baisse historique rapproche la France de l’objectif d’une « génération sans tabac » d’ici à 2032, que l’OMS définit par une prévalence inférieure à 5 %. « On est sur la bonne voie », estime Anne Pasquereau. Le député écologiste Nicolas Thierry partage cette ambition avec une proposition de loi visant à interdire la vente de cigarettes aux personnes nées après 2014.

Cette proposition de loi est« une bonne chose, mais illusoire », nuance Jean-Louis Roynard, cardiologue et ancien membre de la Ligue anti-tabac. « C’est une bonne idée pour continuer à faire baisser le nombre de fumeurs, mais croire qu’aucune génération née après 2014 ne fumera, c’est impossible. Et toutes les interdictions finissent par encourager les trafics », ajoute-t-il. Malgré la baisse du tabagisme, la vigilance reste de mise chez les jeunes, notamment face à la popularité croissante de la cigarette électronique. « La proportion d’adolescents qui vapotent est en forte augmentation et la consommation de nicotine peut entraîner une dépendance, voire favoriser un passage vers le tabagisme », alerte Anne Pasquereau.

Dans notre pays, le tabagisme reste marqué par de fortes inégalités sociales. Il est deux fois plus fréquent chez les ouvriers que chez les cadres (25 % contre 12 %) et trois fois plus élevé chez les personnes en difficulté financière (30 % contre 10 %). Les chômeurs sont également plus touchés (près de 30 % contre 19 % chez les actifs). « Les personnes les plus défavorisées ont un rapport à la cigarette un peu différent. Elles peuvent la percevoir comme un outil de gestion du stress et du quotidien. Elles se projettent moins dans l’idée d’arrêter de fumer, ont moins envie d’arrêter, font moins de tentatives et rencontrent plus de difficultés à y parvenir », explique la chercheuse.

Des disparités régionales persistent également. La prévalence du tabagisme quotidien est plus élevée dans le Grand Est, en Occitanie et en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Dans ces régions, « il peut exister des différences culturelles dans le rapport au tabac, mais aussi un effet lié à la proximité de pays frontaliers où le tabac est beaucoup moins cher. Les habitants ont ainsi tendance à s’approvisionner de l’autre côté de la frontière », que ce soit en Espagne, en Italie, en Allemagne, au Luxembourg ou en Belgique.

 

L’ARRÊT DU TABAC, ET APRÈS ?

La cigarette contient plus de 7 000 substances, dont 70 cancérogènes. « À 80 %, ce sont des goudrons, mais ensuite, c’est le musée des horreurs : benzène, arsenic, métaux lourds, polonium… », décrit Jean-Louis Roynard. Ces substances, présentes en très petites quantités, s’accumulent cigarette après cigarette, année après année. « Au-delà de cinq cigarettes par jour, on estime qu’il existe déjà des signes pathologiques », prévient-il.

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    La fumée du tabac provoque une atteinte directe de tout le système respiratoire, notamment sous l’effet du goudron. « Lorsqu’on pratique une endoscopie des bronches chez de gros fumeurs, on observe un dépôt de goudron semblable à une marée noire », explique le cardiologue. Les composants de la cigarette se fixent sur les muqueuses de la bouche, de la langue, de la gorge et des bronches. « Cela provoque une inflammation et une réaction des cellules normales de l’organisme, entraînant une hyperactivité de certaines d’entre elles, qui peuvent ensuite se transformer et devenir cancéreuses », ajoute le spécialiste.

    Sur le plan cardiovasculaire, le tabac agit de manière indirecte. « Le tabac en lui-même n’est pas directement nocif. Ce qui l’est, ce sont les dépôts de cholestérol qui viennent boucher les artères », explique-t-il. La nicotine contenue dans le tabac accélère ce phénomène en facilitant la fixation du cholestérol sur les parois des vaisseaux. Chez les fumeurs, et notamment ceux qui ont déjà un taux de cholestérol élevé, ces dépôts s’accumulent progressivement et rétrécissent les artères. « La paroi interne s’épaissit, la circulation se fait moins bien et cela provoque des infarctus, des AVC ou la formation de caillots », détaille Jean-Louis Roynard. À taux de cholestérol égal, « le risque d’accidents cardiaques et vasculaires est quatre fois plus élevé chez les fumeurs », précise-t-il.

    « Près de la moitié des patients [hospitalisés] pour un infarctus, une embolie pulmonaire ou un AVC sont fumeurs », rappelle le médecin. Selon lui, « il faut en moyenne une dizaine d’années de tabagisme, à raison d’un paquet par jour, pour développer une maladie cardiovasculaire, bronchique ou pulmonaire ». Le spécialiste souligne également les dangers du tabagisme passif, trop souvent minimisé, qui contribuerait encore à une part non négligeable des maladies du cœur et des poumons.

    Acupuncture, hypnose, sophrologie ou traitements de substitution nicotinique… Les solutions pour arrêter de fumer sont nombreuses, même si le sevrage reste difficile. « La nicotine est plus addictive que la cocaïne », souligne Jean-Louis Roynard. « Il y a des fumeurs qui adorent fumer, donc inutile de se battre contre eux. Mais il y en a quand même beaucoup qui aimeraient arrêter ». En 2024, 55 % des fumeurs quotidiens déclarent vouloir arrêter et 17,3 % affirment avoir tenté un sevrage d’au moins une semaine au cours des douze derniers mois. « Parmi ceux qui s'engagent avec sérieux et qui sont très motivés, la moitié arrive à se sevrer », souligne-t-il.

    Pour le cardiologue, la cigarette électronique peut aussi être une option au sevrage. « Elle ne contient pas de goudron et permet de réduire progressivement la nicotine », explique-t-il, même si son efficacité reste discutée. « Les autorités de santé en France recommandent de ne pas décourager les fumeurs qui l’utilisent dans une démarche d’arrêt, même si ce n’est pas la méthode à privilégier dans le cadre d’un suivi par un professionnel de santé », précise Anne Pasquereau.

    Après l'arrêt du tabac, les bienfaits se font sentir progressivement. « Au bout de six mois, on retrouve une respiration plus normale, qui permet de monter les escaliers ou de marcher vite sans être trop essoufflé », explique le cardiologue. « Sur le plan cardiaque, il faut environ cinq ans pour que le risque vasculaire redevienne [équivalent] à celui des non-fumeurs. Pour les atteintes ORL, pulmonaires ou des bronches, il faut compter entre dix et quinze ans », précise-t-il.

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