FIV assistée par l'intelligence artificielle : les premiers bébés sont nés

Les médecins espèrent que l’IA rendra la fécondation in vitro (FIV) plus efficace. C’est un grand moment dans l’histoire de cette procédure, qui peut être compliquée et onéreuse.

De Caitlin Carlson
Publication 15 déc. 2025, 11:49 CET
Un spécialiste tient dans sa main une boîte de Pétri destinée à une FIV dans une ...

Un spécialiste tient dans sa main une boîte de Pétri destinée à une FIV dans une clinique. L’IA pourrait révolutionner cette pratique et la rendre plus simple et plus accessible aux patients.

PHOTOGRAPHIE DE Sophie Stieger, 13PHOTO, Redux

La fécondation in vitro (FIV) peut être un procédé long, incertain et, pour beaucoup, frustrant. Durant deux semaines, une femme ayant l’espoir de concevoir devra s’injecter des hormones afin que ses ovaires produisent plus d’ovocytes. S'ensuivent de nombreuses prises de sang et échographies pour surveiller leur progression. Quand les médecins le jugent opportun, elle doit ensuite être préparée pour une ponction folliculaire, une procédure sous anesthésie locale ou générale, lors de laquelle les ovocytes sont récupérés et envoyés dans un laboratoire. Ils y seront fertilisés pour créer des embryons.

Après tout cela, il n’y a que 50 % de chances qu’un embryon puisse s’implanter dans l’utérus. Et il faut souvent plusieurs cycles de FIV afin d’aboutir à une grossesse. Chez certaines femmes, la FIV n’aura jamais les résultats escomptés malgré le prix élevé de cette procédure.

Pourtant, les FIV ne sont pas rares. En France, environ 2,9% des nourrissons naissent de cette procédure et, au cours des quarante années qui ont suivi son invention, 10 millions de bébés à travers le monde sont nés par FIV. Pourrait-on rendre cette procédure plus simple et plus efficace ?

Plusieurs scientifiques spécialistes de la fertilité et médecins de renom ont confié à National Geographic qu’un nouveau jour se lèvera pour la FIV grâce aux avancées de l’intelligence artificielle. De récents développements dans le domaine de l'IA visent à rendre les procédures plus efficaces et plus accessibles aux patients. Les médecins pensent notamment au développement d’une technologie qui permet de détecter le sperme, d’évaluer les embryons et de les surveiller.

« L’utilisation de l’IA en médecine de la reproduction est une intersection incroyable qui est sur le point d’exploser et de révolutionner notre manière de pratiquer », se réjouit Victoria S. Jiang, médecin et endocrinologue de la reproduction au sein de la clinique Shady Grove Fertility à Atlanta.

 

LA SÉLECTION D’UN SPERME DE MEILLEURE QUALITÉ

Une équipe du centre de fertilité de l’université Columbia s’attend à ce que le premier bébé né par une FIV assistée par l’IA aux États-Unis voie bientôt le jour. La patiente est tombée enceinte en mars 2025 après quinze essais de FIV infructueux.

Zev Williams, directeur du centre de fertilité de Columbia, a eu recours à un système expérimental appelé STAR (Sperm Tracking and Recovery, Suivi du sperme et repos). Il voulait ainsi faciliter une étape critique de la FIV : l’identification du sperme en meilleure santé. Selon Zev Williams, l’intelligence artificielle utilisée par STAR permet de distinguer le bon spermatozoïde : un spermatozoïde vivant, mobile et à la structure intacte. Autant de facteurs que l’œil humain n’est pas capable d’identifier. Après l’avoir trouvé, un robot isole les cellules sans avoir besoin d’une centrifugeuse ou de passer par des traitements qui pourraient les endommager. Le procédé ne prend que quelques millisecondes.

Sans l’assistance de l’IA, un embryologiste aurait besoin de passer l’échantillon au microscope, ce qui prendrait des heures et pourrait s’avérer inutile. « Dans un cas, les techniciens expérimentés ont passé l’échantillon au peigne fin pendant deux jours et n’ont trouvé aucun spermatozoïde », se rappelle Zev Williams. « L’échantillon a ensuite été passé sous le radar de STAR, qui a trouvé 44 spermatozoïdes en une heure. »

À l’inverse des humains, l’IA est capable d’analyser des millions d’images sans se fatiguer, et de détecter des motifs subtils que l’œil humain pourrait manquer. « Dans des cas sévères d’infertilité masculine, les spermatozoïdes peuvent être si rares que même des embryologistes de renom passent à côté », explique Zev Williams. « Cela dépasse les capacités humaines, mais c’est facilement réalisable en utilisant les puces microfluidiques spéciales (utilisées pour photographier et analyser le sperme) que nous avons développées. Nous utilisons aussi des superordinateurs personnalisés et l’imagerie à haute vitesse, qui font partie du système STAR. » À partir de ce point, les humains reprennent la main. Toutes les étapes qui suivent dans la FIV sont réalisées selon les méthodes standards, assure Zev Williams.

Les « premiers résultats », continue-t-il, ont été « très encourageants ». Le système a découvert des spermatozoïdes de façon répétée dans des échantillons provenant d’hommes classés comme « n’ayant pas de spermatozoïdes visibles ». Ces mêmes échantillons ont permis la fécondation fructueuse d’ovules pour aboutir à des embryons.

 

SURVEILLER LES EMBRYONS EN MEILLEURE SANTÉ

Une fois que le spermatozoïde rencontre l’ovocyte, on place les embryons dans un incubateur pendant cinq jours. À ce stade, l’embryon devient un blastocyste et est noté selon la qualité de ses cellules internes et externes. Les deux composants reçoivent une note évaluant leur qualité : A, B ou C. Les deux lettres sont ensuite prises en compte. Ainsi, un blastocyste pourrait être AA si ses cellules internes et externes sont de très bonne qualité, ou BC si ses cellules internes sont moyennes et ses cellules externes sont de moins bonne qualité.

Pour noter un blastocyste, un embryologiste regarde des vidéos prises à intervalles réguliers, ou des images uniques des embryons, en plus de les observer au microscope. Le procédé est subjectif, chronophage, et n’a pas vraiment évolué depuis la première naissance par FIV en 1978. Mais l’IA pourrait changer tout cela. Une étude clinique réalisée en 2024 et parue dans la revue scientifique Nature Medicine a révélé qu’un système d’IA entraîné avec des données de plus de 115 000 embryons pouvait les évaluer presque aussi bien qu’un humain.

Après avoir noté les embryons, des tests génétiques sont souvent réalisés, afin de déterminer s’ils ne présentent pas d'anomalies. La plupart du temps, un embryologiste procède aux tests à la main afin de vérifier si chaque embryon présente le bon nombre de chromosomes. L’IA pourrait également intervenir lors de cette étape.

En 2023, Nikica Zaninovic, professeur associé d’embryologie au sein de la faculté de médecine Weill Cornell, a publié, avec ses collègues, une étude dans la revue scientifique The Lancet. Elle révélait qu’un algorithme d’IA était capable de déterminer si un embryon avait un nombre normal de chromosomes, avec une précision de 70 %, un taux qui a de la valeur, statistiquement parlant. Les méthodes de biopsie traditionnelles ont une précision de 90 % en conditions idéales. Mais dans des cas difficiles, elles peuvent être moins précises, comme pour des embryons mosaïques, qui contiennent un mélange de cellules normales et anormales.

Les chercheurs ont entraîné les systèmes d’IA en leur fournissant des photos d’embryons normaux et anormaux. À partir de ces images, l’IA a appris à prédire si un embryon qui n’était pas inclus dans sa base de données d’origine était normal ou non. L’IA évalue des images, et non l’embryon lui-même. Cette méthode est donc moins invasive qu’une biopsie traditionnelle, réduisant le risque de fragiliser l’embryon, qui reste fragile.

La prochaine étape, explique Nikica Zaninovic, est d’ajouter des couches à l’algorithme, afin qu’il puisse intervenir plus tôt dans le processus. Par exemple, pour qu’il puisse aider à identifier des cellules d’ovocyte en mauvaise santé, et prédire de combien d’ovocytes une femme aura besoin pour tomber enceinte.

L’IA pourrait également intervenir dans les étapes après la notation et le test génétique, comme dans l’évaluation de l’épaisseur de la paroi utérine, ainsi que de la réceptivité utérine après le transfert de l’embryon. « Même après [les tests génétiques préimplantatoires], le risque de fausse couche se situe entre 10 et 15 % », explique Nikica Zaninovic. « Et cela n’aurait peut-être pas de lien avec l’embryon lui-même, et davantage avec la santé générale de la patiente. »

L’IA pourrait aider à surmonter un autre défi qui concerne les confusions potentielles, comme le mauvais étiquetage d’un embryon qui conduit à son implantation dans l'utérus de la mauvaise patiente. Les embryons sont si petits, ils mesurent entre 0,1 et 0,15 millimètre de diamètre, que de telles confusions ont déjà eu lieu, bien qu’elles soient rares.

« Si un embryon devait se retrouver dans la mauvaise boîte de Pétri, les systèmes traditionnels ne le remarqueraient pas », explique Charles Bormann, directeur d’embryologie du centre de fertilité de l’hôpital Massachusetts General. « Les systèmes d’IA sont conçus pour surveiller les embryons au cours de leur développement et pour confirmer leur identité à chaque étape. On s’assure ainsi que chaque embryon est étiqueté correctement et est assigné aux bonnes patientes. »

Le procédé délicat de fabrication d’un embryon est au cœur des priorités de Conceivable, une société spécialisée en FIV basée au Mexique. Alejandro Chavez-Badiola, gynécologue et endocrinologue spécialisé en médecine de la reproduction, se sert d’un bras robotique guidé  par l’IA pour automatiser plus de 200 étapes du procédé de FIV, y compris la surveillance et le transport des spermatozoïdes, des ovocytes et des embryons. Par exemple, la technologie aide à identifier le sperme « optimal », avant qu’un système robotique ne prenne le relais et transfère les spermatozoïdes dans une seringue d’injection, positionne les ovocytes et combine les deux pour donner un embryon. Le robot accomplit ces tâches tout en veillant à l’intégrité des ovocytes et en s’assurant qu’ils ne sont pas endommagés au cours du processus.

Conceivable déclare que les résultats parlent d’eux-mêmes. En 2024, un premier bébé est né grâce à leur technologie. Depuis lors, dix-sept autres naissances ont été enregistrées, déclare Alejandro Chavez-Badiola.

 

LES EXPERTS INCITENT À LA PRUDENCE

Malgré les développements accomplis au sein des institutions de recherche et dans les start-ups, il subsiste des raisons de se méfier des limites de l’IA et de son usage dans les technologies de reproduction.

Aux États-Unis, le gouvernement ne surveille pas ce qui se déroule dans les laboratoires de FIV. Seules certaines étapes des procédures conventionnelles de FIV font l’objet de réglementations par la Food and Drug Administration (FDA, équivalent états-unien de l’ANSM). Cela comprend certains appareils médicaux et tests génétiques. Les cliniques ont la possibilité de rejoindre la Society for Assisted Reproductive Technology (SART, Société de technologie reproductive assistée), qui publie les taux de succès et s'assure que les cliniques membres adhèrent aux réglementations éthiques. Mais l’adhésion est optionnelle. Récemment, les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC, Centers for Disease Control and Prevention) ont fermé leur équipe spécialisée en FIV.

Le manque de surveillance concerne également les FIV assistées par IA. Le gouvernement fédéral américain ne régule pas la plupart des expériences en cours, si ce n’est pour les systèmes d’IA qui notent les embryons. La FDA prend en compte ces appareils médicaux et exige qu’ils soient approuvés avant leur usage. La seule manière d’accéder à certaines nouvelles technologies de reproduction assistée passe par la recherche. Par exemple, participer aux études en cours dans un laboratoire, comme celui de Charles Bormann ou de Nikica Zaninovic. Les start-ups comme Conceivable, situées en dehors des États-Unis, ne sont sujettes à aucune de ces réglementations.

En outre, les experts remarquent qu’il demeure toujours un grand nombre de questions éthiques autour de la sécurité des données, des biais algorithmiques et de l’équité.

Selon un article de 2025, publié dans la revue scientifique Journal of Gynecology Obstetrics and Human Reproduction, beaucoup d’algorithmes d'outils d'intelligence artificielle sont difficiles à interpréter, à la fois par les médecins et les patients. Ils fonctionnent essentiellement comme des « boîtes noires » à cause de leur manque de transparence. Cela pourrait poser problème, avertit Ali Abbara, professeur associé d’endocrinologie au sein de l’Imperial College, à Londres. L’IA pourrait prendre des décisions « illogiques » sans que les embryologistes le réalisent. Par exemple, si un grand nombre d’embryons normaux provenaient tous du même incubateur dans un laboratoire, par simple coïncidence, le modèle d’IA pourrait, à tort, croire que si un embryon se trouve dans cet incubateur, alors il ne présente aucune anomalie. Ou bien le modèle pourrait commencer à prendre en considération des facteurs comme la lumière et désigner un embryon comme anormal pour le simple fait qu’une image est plus sombre. De plus, l’article remarque que, les systèmes d’IA étant entraînés par des bases de données énormes et souvent sensibles, il existe un risque de vol ou de mauvais usage de ces données.

Les chercheurs partagent leurs inquiétudes relatives à la « boîte noire ». « Certains s’inquiètent de cela parce que dans le domaine de la santé, on veut évidemment être certain de comprendre [la machine] et de pouvoir lui accorder un certain degré de confiance », explique Ali Abbara. Utiliser des modèles d’IA transparents pourrait aider à résoudre ce problème, relève Nikica Zaninovic.

Victoria S. Jiang met en garde contre l’utilisation de nouvelles technologies avant qu’elles ne soient prêtes. C’est un problème fréquent dans le domaine de l’endocrinologie reproductive et de l’infertilité. Elle cite, par exemple, les tests génétiques préimplantatoires à score de risque polygénique (PGT-P). Ce sous-type de test génétique passe en revue les risques de malformation chromosomique et génétique, du syndrome de Down à la drépanocytose, en passant par les risques de maladies cardiovasculaires et le degré d'intelligence.

« Le PGT-P utilise un petit échantillon de quelques cellules que contient la couche du placenta de l’embryon afin de mener une analyse génétique sur des milliers de gènes », explique Victoria S. Jiang. Elle ajoute que le test fournit des probabilités, et non des prédictions, et que sa précision ne peut être garantie. « Je le considère comme une prévision météo. Un risque de pluie de 30 % ne veut pas dire qu’il va pleuvoir, et un risque de développer une maladie cardiovasculaire de 5 % ne signifie pas qu’une personne n’en développera pas. » Mais le test PGT-P est souvent vendu aux patients de FIV comme une garantie qu’un nourrisson sera ou non en bonne santé, ou qu’il présentera certains traits génétiques spécifiques, ce, malgré le manque d’études démontrant sa précision.

L’analogie est tout aussi vraie pour l’IA, et les experts mettent en garde les patients et les incitent à la prudence au vu des promesses de résultats garantis. Pourtant, les chercheurs regardent l’avenir avec enthousiasme. Alors même qu’ils insistent sur le fait que l’IA doit être intégrée au domaine de la santé, sans pour autant tout remplacer. « L’IA peut fournir des conseils et des options, mais la responsabilité médicale et l’autonomie des patients ne devraient jamais être laissées à un algorithme », estime Charles Bormann. Zev Williams abonde : « l’IA doit soutenir le jugement du médecin, pas le remplacer », dit-il. « Comme avec toutes les grandes nouveautés, un usage responsable, une transparence et une surveillance clinique sont essentiels. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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